Ce sont de vraies filatures, dignes d'équipes de police, qu'effectuent les océanographes des campagnes Nectalis près de la Nouvelle-Calédonie. Paradoxalement, dans ces eaux très pauvres, les thons parviennent très bien à se nourrir. Pour comprendre ce vaste écosystème, complexe et économiquement important, il faut pêcher sélectivement les plus petits habitants de ces eaux, qui forment le plancton, et les suivre au sonar. Les auteurs eux-mêmes nous expliquent ici leurs techniques de pêche. Embarquez avec eux.

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    Le sud-ouest du Pacifique est une zone particulièrement pauvre de l'océan mondial avec une productivité primaire limitée par des concentrations très faibles en éléments nutritifs de base. On parle d'ultra-oligotrophie. Cependant, dans ce désert biologique, des pêcheries locales sont observées. Ainsi, la pêche au thon germon en Nouvelle‐Calédonie extrait 2.000 tonnes de poissons par an. Cette filière est importante socialement et économiquement ; elle fournit le marché local et l'exportation de qualité vers le Japon. Deux pics de captures de thons germons sont observés en décembre et en août, les individus oscillant saisonnièrement entre deux habitats, l'un favorable à leur alimentation (ce sont les eaux subtropicales du sud) et l'autre est un bon milieu pour leur reproduction (les eaux chaudes de la « warm pool », au nord).

    Cependant, on ne savait pas encore quels étaient les facteurs imposant ce comportement saisonnier, sans même parler de sa variabilité liée au phénomène El NiñoEl Niño-La NiñaLa Niña (ou ENSO, El Niño SouthernSouthern Oscillation). Parmi les variables environnementales de la zone, l'hydrodynamique, les sels nutritifs et le phytoplancton étaient les mieux connues et simulées. Mais l'obstacle majeur à la compréhension de la distribution observée était le manque de connaissance sur les distributions respectives des petits organismes pélagiquespélagiques dont se nourrissent les thons. Ces grands poissons se nourrissent de micronecton (poissons, mollusques et crustacés, principalement de 1 à 20 cm de longueur) et de proies zooplanctoniques (copépodes, autres crustacés, mollusques, tuniciers de 0,2 à 20 mm).

    Chaque jour, le zooplancton (les animaux planctoniques) monte au coucher du soleil (<em>sunset</em>) vers la surface où il passe la nuit à manger (<em>night</em>) et descend jusqu'à 100 m ou davantage au lever du soleil (<em>sunrise</em>). © IRD-SPC

    Chaque jour, le zooplancton (les animaux planctoniques) monte au coucher du soleil (sunset) vers la surface où il passe la nuit à manger (night) et descend jusqu'à 100 m ou davantage au lever du soleil (sunrise). © IRD-SPC

    Suivre le plancton grâce... aux sondeurs acoustiques

    Pour mieux comprendre ces distributions, deux campagnes océanographiques (Nectalis 1 et 2) regroupant des océanographes physiciensphysiciens et biologistes de plusieurs organismes et laboratoires (Locean, MIO, CPS) ont été conduites en 2011 pendant les pics de capture des thons germons, aux saisonssaisons chaudes et froides, montrant des conditions océanographiques contrastées dans les eaux de Nouvelle-Calédonie.

    Au cours de ces campagnes, la mesure des paramètres physico-chimiques (courants, température, salinitésalinité, oxygène) et de production primaire (lumièrelumière, sels nutritifs, fluorescence, pigments photosynthétiques, abondance phytoplanctonique, production primaire, communautés phytoplanctoniques) a permis de décrire l'environnement abiotiqueabiotique et trophique du zooplancton et du micronecton. La distribution de ce dernier a pu être caractérisée par des mesures acoustiques (TAPS, S-ADCP, L-ADCP, EK 60). Les fréquences de ces différents instruments permettent en effet de différencier selon leurs tailles ces petits organismes qui se déplacent en bancs. Cette technique sophistiquée n'empêche pas le recours aux échantillonnageséchantillonnages classiques à l'aide de filets à zooplanctonzooplancton et à micronecton. Des relations significatives ont été constatées entre les différents estimateurs de biomassebiomasse du zooplancton enregistrés pendant les stations d'échantillonnage (poids sec d'échantillons prélevés au filet à planctonplancton et biovolume déterminé par le TAPS) et entre les signaux acoustiques d'instruments non dédiés au zooplancton (ADCP et échosondeur) enregistrés en continu pendant le trajet de toute la campagne.

    Une récolte de micronecton lors de la campagne Nectalis 1 : des petits poissons, des crustacés (euphausiacés) et un céphalopode (calmar). Ce sont les prédateurs du zooplancton, dont celui-ci se protège en plongeant le jour à l'abri de la lumière du soleil. © IRD-SPC

    Une récolte de micronecton lors de la campagne Nectalis 1 : des petits poissons, des crustacés (euphausiacés) et un céphalopode (calmar). Ce sont les prédateurs du zooplancton, dont celui-ci se protège en plongeant le jour à l'abri de la lumière du soleil. © IRD-SPC

    La vie du plancton fortement influencée par les grands courants océaniques

    Il est donc possible d'exploiter les très nombreuses données des instruments acoustiques, ce qui a permis d'examiner en détail la variabilité spatiale et temporelle du zooplancton. Il a ainsi été possible de mettre en évidence, dans toute la région, des variations nettes de la biomasse du zooplancton dans la couche 0-100 m. Les pics nocturnesnocturnes et les minimas diurnesdiurnes correspondent au schéma classique de migration verticale nycthémérale du zooplancton caractérisé par la remontée d'une grande partie des organismes vers la surface pendant la nuit pour se nourrir de phytoplanctonphytoplancton abondant dans les eaux superficielles, et leur redescente en profondeur au lever du jour pour éviter les prédateurs.

    Un résultat original de l'étude est la mise en évidence d'un lien entre les migrations verticales quotidiennes, la température de l'eau et la composition du plancton. Dans les eaux plus froides et plus riches au sud du secteur d'étude, les amplitudes de ces migrations sont plus élevées, et associées à une prédominance de gros organismes (chétognathes, siphonophores, euphausiacés et larveslarves de décapodes). Elles sont en revanche plus faibles au nord, dans des eaux plus chaudes et moins riches, et associées à une abondance plus élevée de petits organismes (petits copépodes des genres Oncaea, Corycaeus, Paracalanus et Clausocalanus). La biomasse du zooplancton et sa composition dans la région sont donc largement influencées par la circulation à grande échelle des massesmasses d'eau en mer de CorailCorail avec une nette différenciation de part et d'autre du front subtropical (aux alentours de 20° sud) séparant les eaux chaudes du nord-est des eaux plus froides du sud-ouest.

    Deux animaux du plancton bien différents. Parmi les poids plume, le copépode (dont il existe un grand nombre d'espèces) fait partie des plus abondants. Le redoutable chétognathe est, lui, un grand prédateur de ce petit monde, capable de nager vite et armé de crochets autour de la bouche (d'où son nom). Autour de la Nouvelle-Calédonie, les chercheurs ont découvert des différences dans leurs populations respectives entre les eaux chaudes et pauvres du nord et les eaux froides et riches du sud. © IRD-SPC

    Deux animaux du plancton bien différents. Parmi les poids plume, le copépode (dont il existe un grand nombre d'espèces) fait partie des plus abondants. Le redoutable chétognathe est, lui, un grand prédateur de ce petit monde, capable de nager vite et armé de crochets autour de la bouche (d'où son nom). Autour de la Nouvelle-Calédonie, les chercheurs ont découvert des différences dans leurs populations respectives entre les eaux chaudes et pauvres du nord et les eaux froides et riches du sud. © IRD-SPC

    Des remontées d'eaux profondes en pleine mer

    La variabilité à méso-échelle (quelques dizaines de kilomètres) est également très importante dans cette distribution avec des spots d'abondance zooplanctonique observés à la périphérie de tourbillonstourbillons où des remontées d'eau profonde fertilisent les eaux de surface permettant le développement du réseau trophique.

    Les résultats montrent ainsi le rôle prédominant de ces structures à méso-échelle qui constituent de véritables oasis de productivité planctonique dans cette région pauvre et qui contribuent à expliquer la distribution et l'abondance des niveaux trophiques supérieurs (c'est-à-dire le micronecton et les thons) utilisant cette richesse ponctuelle. Les résultats d'une nouvelle campagne sont en cours d'analyse (Nectalis 3, en novembre 2014) et une campagne supplémentaire sera réalisée (Nectalis 4 en octobre 2015) afin d'élargir la zone échantillonnée et ainsi mieux comprendre le rôle de l'océanographie et des tourbillons sur tous les échelons du réseau trophique et leur impact potentiel sur les grands prédateurs et la pêche.

    Les auteurs

    H. Smeti, M. Pagano, C. Menkes, A. Lebourges-Dhaussy, B. P. V. Hunt, V. Allain et M. Rodier.

    • Locean : UMR 7159, Laboratoire d'Océanographie et du ClimatClimat : Expérimentations et Approches NumériquesNumériques ;
    • MIO : UM 110 Mediterranean Institute of Oceanography.