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Quand on prend connaissance du projet tout à fait sérieux que Ha-Phong Nguyen a étudié pour son master de génie civil à l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), on ne peut s'empêcher de penser à Vannevar Morgan, le personnage principal du célèbre roman de science-fiction d'Arthur Clarke, Les Fontaines du paradis (The Fountains of Paradise). Celui-ci est présenté comme un brillant ingénieur dont l'ambition est de construire au XXIIe siècle un ascenseur spatialascenseur spatial, fort de sa précédente réalisation, un pont reliant l'Europe à l'Afrique au niveau du détroit de Gibraltar. Le projet de Ha-Phong Nguyen est tout aussi pharaonique et lui ressemble beaucoup puisqu'il s'agissait de faire une étude de faisabilité d'un barrage au même endroit, en connectant l'Espagne et le Maroc.
Les courants de Gibraltar et la circulation thermohaline
Mais pourquoi entreprendre un tel ouvrage d'art ? On peut bien sûr, comme Ha-Phong Nguyen l'indique, avancer qu'il serait un moyen de produire de l'électricité. Après tout, c'est bien la fonction principale d'un barrage même s'il peut aussi servir de pont. Il existe en effet un courant de surface dit entrant qui fait pénétrer en permanence les eaux de l'Atlantique dans la Méditerranée, auquel s'ajoutent des maréesmarées. On peut donc les l'utiliser pour faire tourner des turbines hydroélectriques. Les océanologuesocéanologues ont débattu pendant longtemps de l'origine du courant entrant et du paradoxe qui en résultait. Car même en tenant compte de l'évaporation, où pouvaient bien donc aller ces eaux dans une mer fermée partout ailleurs qu'à Gibraltar ? On pouvait postuler l'existence d'un courant profond sortant, mais comment expliquer sa présence ?
Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle pour que la précision des mesures finisse par imposer l'existence de ce courant et permettent de l'expliquer à l'aide du concept de circulation thermohaline. L'eau de l'Atlantique qui se déverse dans la Méditerranée et qui compense aussi l'évaporation de la mer est certes plus froide, mais elle est surtout moins salée, donc moins dense, ce qui explique qu'elle va rester en surface. A contrario, les eaux méditerranéennes chaudes sont plus salées et plus denses que les eaux atlantiques. Elles coulent donc à 200 mètres de profondeur pour ressortir ensuite dans l'océan Atlantique en constituant ce qu'on a appelé la Veine d'eau méditerranéenne (VEM, en anglais MOW pour Mediterranean Outflow Water)
Cette simulation numérique conduite par des géophysiciens italiens et espagnols montre l’écoulement des eaux de marée stratifiées. En butant sur Camarinal Sill, l’endroit le moins profond du détroit de Gibraltar, des ondes complexes sont générées. © Gofima UMA, YouTube
Deux barrages pour contrôler le niveau de la Méditerranée
L'autre motivation avancée par Ha-Phong Nguyen est liée au réchauffement climatique. On sait qu'il s'accompagne d'une élévation du niveau des océans. Il en sera donc de même avec la Méditerranée ce qui va entraîner de multiples problèmes pour les populations vivants sur ces côtes. Il y a bien sûr le cas très emblématique de Venise qui est déjà menacée pour de multiples raisons. Mais le Delta du Nil lui-même est menacé par une montée des eaux globale dont les plus optimistes pensent qu'elle ne sera que de 30 cm à l'horizon 2100 alors que les plus pessimistes estiment qu'elle pourrait atteindre 1 m.
Selon Ha-Phong Nguyen, un barrage permettrait de contrôler les échanges entre l'Atlantique et la Méditerranée, ce qui permettrait de maintenir constant son niveau. « En fermant le détroit de Gibraltar à 90 % et en laissant une ouverture d'un kilomètre, on arrive à maintenir constant le niveau de la Méditerranée, en supposant que l'augmentation du niveau de l'Atlantique se situerait à 50 cm » affirme-t-il. Pour les mêmes raisons, il envisage aussi la constructionconstruction d'un second barrage qui serait situé, quant à lui, entre Djibouti et le Yémen. Il s'agirait cette fois de contrôler la mer Rouge qui communique avec la Méditerranée par le canal de Suez.
De prime abord, on pourrait penser qu'il faille construire le barrage de Gibraltar à l'endroit où le détroit est le moins large avec seulement 14 km. Malheureusement la profondeur à cet endroit et de 800 m. Pour être réaliste, il faudrait qu'il soit construit là où cette profondeur n'est que de 400 m, mais cela implique qu'il soit long de 27 km.
Dans son travail, Ha-Phong Nguyen s'est appuyé sur un modèle numériquemodèle numérique des courants dans le détroit de Gibraltar, ce qui a nécessité qu'il obtienne une dérogation de la part de la marine espagnole pour obtenir certaines données confidentielles concernant le relief de cette région. Il faut dire que c'est un lieu stratégique particulièrement important, notamment à cause des déplacements de sous-marins russes.