Alors que la température de surface des océans bat des records, le fond marin subit lui aussi de profonds changements qui affectent sévèrement les habitats de nombreuses espèces. En cause, bien sûr, le réchauffement climatique que nous avons provoqué.


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    Les conditions physico-chimiques de l'océan sont loin d'être uniformes. Si l'on prend une colonne d'eau qui va de la surface jusqu'au fond océanique, on peut ainsi observer un gradientgradient de pressionpression et de température bien sûr, mais aussi une variation de la teneur en oxygène et du pH.

    Ces conditions, qui varient notamment avec le climat, vont fortement influencer la répartition des organismes vivants, en particulier ceux possédant une coquille ou un test calcaire. Alors que la calcite est en sursaturation dans la partie supérieure de cette colonne d'eau, ce qui permet aux mollusques, coraux, phytoplanctonphytoplancton, etc. de fabriquer leur coquille, l'augmentation de la pression et la diminution de la température avec la profondeur va faire augmenter la solubilité de ce minéralminéral dans l'eau de mer.

    Une profondeur limite pour les organismes à coquille carbonatée

    Alors que les coquilles et tests des organismes morts vont s'accumuler sur le fond des zones océaniqueszones océaniques peu profondes comme les plateformes continentales, entraînant la formation de sédimentssédiments puis de roches carbonatéesroches carbonatées, dans les zones qui dépassent 4 000 mètres de profondeur, ces coquilles vont commencer à se dissoudre. Cette zone d'instabilité des carbonates s'appelle la lysocline. Vers 5 000 mètres, la dissolution est totale. Plus aucun grain de calcite ne peut se déposer sur le fond.

    Cette profondeur limite que l'on appelle la profondeur de compensation des carbonatesprofondeur de compensation des carbonates (CCD pour Carbonate Compensation Depth)) est donc une limite naturelle, qui permet, lorsqu'elle est identifiée dans les séries sédimentaires anciennes, de retrouver les conditions de pression-température et acidité du milieu océanique dans des périodes reculées. Océan et atmosphèreatmosphère étant liés, il est alors possible à partir de ces paramètres de reconstruire l'état climatique du passé.

    Schémas présentant l'évolution de la profondeur de la lysocline et de la CCD avec le réchauffement climatique. Les zones en jaune sont les régions du fond océanique qui sont affectées par cette évolution chimique. © Mark John Costello et Peter Townsend Harris, CC BY-SA
    Schémas présentant l'évolution de la profondeur de la lysocline et de la CCD avec le réchauffement climatique. Les zones en jaune sont les régions du fond océanique qui sont affectées par cette évolution chimique. © Mark John Costello et Peter Townsend Harris, CC BY-SA

    Globalement, plus les océans sont chauds et acidesacides, plus la CCD est haute. À l'inverse, plus le climat est froid, plus la CCD est profonde. On voit donc que lors des épisodes climatiques chauds, où les taux de CO2 sont élevés dans l'atmosphère, le milieu de vie des organismes utilisant la calcite pour se protéger se réduit. Et c'est bien ce que l'on observe aujourd'hui.

    Des habitats qui se réduisent comme peau de chagrin

    Une étude récente publiée dans Marine Geology révèle ainsi que l'acidification des océans aurait déjà induit une élévation moyenne de la lysocline de près de 100 mètres depuis l'époque préindustrielle. Dans certaines zones, notamment de l'Atlantique Nord-Ouest, la lysocline est même montée de 300 mètres ! Cette zone pourrait d'ailleurs encore s'élever de plusieurs centaines de mètres au cours du prochain siècle en raison de l’accroissement toujours plus rapide des taux de CO2 atmosphériques.

    Carte A : en rouge, les zones du fond océanique qui se retrouve aujourd'hui sous la CCD par rapport à l'ère pré-industrielle. Carte B : en rouge, les zones qui seraient affectées dans le cas d'une hausse de 300 mètres de la CCD. © Mark John Costello et Peter Townsend Harris, CC BY-SA
    Carte A : en rouge, les zones du fond océanique qui se retrouve aujourd'hui sous la CCD par rapport à l'ère pré-industrielle. Carte B : en rouge, les zones qui seraient affectées dans le cas d'une hausse de 300 mètres de la CCD. © Mark John Costello et Peter Townsend Harris, CC BY-SA

    Si une élévation de 100 mètres peut sembler minime, sur une colonne d'eau de 5 000 mètres, cela représente un volumevolume d'eau gigantesque lorsque l'on considère l'ensemble des océans. Des millions de kilomètres carrés de fonds océaniques pourraient ainsi basculer rapidement dans cette zone d'instabilité chimique de la calcite, affectant sévèrement l'ensemble des organismes marins qui y vivent.

    Effet de l’acidification des océans sur les coquilles calcaires des organismes marins. © <em>NOAA Environmental Visualization Laboratory</em> (EVL), <em>Wikimedia Commons</em>, domaine public
    Effet de l’acidification des océans sur les coquilles calcaires des organismes marins. © NOAA Environmental Visualization Laboratory (EVL), Wikimedia Commons, domaine public

    Actuellement, environ 41 % du volume des océans se trouvent sous la limite critique de la CCD. Si elle s'élève encore de 300 mètres, 51 % du volume des océans entreraient dans cette zone acide qui marque le fond océanique, réduisant drastiquement les habitats de nombreuses espècesespèces comme les coraux mous, les moules, escargots de mers et bryozoaires. Autant d'espèces qui sont d'ailleurs déjà menacées par le réchauffement de la surface des océans et la chute du taux d’oxygène dans l’eau. Leur habitat se réduit ainsi à la fois par le bas et par le haut, les prenant en étaux.