Début février, fin février et depuis hier une nouvelle fois. Le Sahara n’en finit plus de nous envoyer son sable. Pour mieux comprendre l’origine du phénomène et ses éventuelles conséquences, nous avons rencontré Vincent Guidard, chercheur au Centre national de recherches météorologiques de Météo France.
au sommaire
Un ciel qui se teinte de jaune ou d'orangé. De la poussière qui se dépose sur les voituresvoitures ou sur les fenêtresfenêtres. Depuis quelques semaines, les nuages de sable en provenance du Sahara se succèdent au-dessus de nos têtes. Un troisième d'entre eux, de moindre importance que celui que nous avons connu fin février, arrive d'ailleurs par le sud du pays. Il ne devrait pas s'aventurer beaucoup plus loin. « Trois événements ne suffisent pas à établir une tendance. La seule chose dont nous soyons sûrs, c'est que les conditions hivernales sont plus favorables à voir se produire ce type d'événements sur la France », souligne Vincent Guidard, chercheur au Centre national de recherches météorologiques de MétéoMétéo France.
Le saviez-vous ?
Un premier épisode de remontée de sable — de poussières de sable plus exactement — du Sahara avait attiré l’attention des Français début février. Le samedi 6 février, notamment, le ciel avait pris une étrange couleur orangée. Un deuxième épisode avait débuté autour du 21 février pour durer quasiment une semaine, à la faveur de vents tourbillonnants. Et un troisième épisode est actuellement en cours : selon les prévisions, il sera plus court et de plus faible intensité que les précédents, concentré sur le sud de la France.
Les poussières du Sahara avaient beaucoup moins touché la France en février 2020, tout comme en février 2019. Mais les Canaries et le sud de l’Espagne sont régulièrement touchés. Il reste donc difficile, sans étude visant à qualifier la fréquence de ces événements, de conclure sur leur potentielle recrudescence.
Ces nuages sont le résultat de la coïncidence de deux phénomènes naturels. D'abord, la production de poussières de sable au-dessus du désert du Sahara. Puis le transport de ces poussières jusqu'à nos régions. « Dans les médias, il est souvent question de sable du Sahara. En réalité, il s'agit de particules plus fines que le sable, des poussières produites en surface lorsque le vent souffle fort au-dessus du désert, nous précise Vincent Guidard. Ces poussières désertiques sont facilement soulevées par ces mêmes vents jusque dans l'atmosphère. Mais il faut ensuite des conditions météorologiques particulières pour qu'elles soient transportées vers l'Atlantique ou la Méditerranée parfois jusqu'à la France, voire bien plus au nord, comme nous l'avons vu début février, jusqu'à la Scandinavie. »
Pendant leur long périple, les poussières de sable du Sahara peuvent rencontrer des zones de précipitation. « Elles sont alors entraînées vers le sol par la pluie. » Sinon, elles finissent par se déposer. « Plus le panache est loin de sa zone de production, plus il perd donc naturellement en intensité. »
Nuages de sable du Sahara : l’importance de bien les prévoir
Ce phénomène de remontée de poussières de sable du Sahara peut avoir diverses conséquences. Sur la météo, par exemple. Car la présence d'aérosolsaérosols -- quelle qu'en soit l'origine -- dans l'atmosphère interagit avec le processus de formation de gouttelettes d'eau dans les nuages. Ou encore sur la production d'énergieénergie. « Ces particules diffusent le rayonnement du soleilsoleil et les productions photovoltaïques peuvent donc être impactées », nous fait remarquer Vincent Guidard. Mais ce n'est pas l'essentiel.
« Dans le cadre de notre mission de sécurité des personnes et des biens, nos prévisions sont avant tout destinées à l'aviation -- un ciel trop chargé en poussières pourrait en effet rendre un voyage périlleux -- et à l'armée. Mais elles alimentent aussi ceux qui suivent la qualité de l'airair. Car les remontées de poussières du Sahara ont beau être tout à fait naturelles, elles participent, lorsqu'elles se produisent, à une augmentation de la pollution aux particules finesparticules fines. Nous savons modéliser la production et le soulèvement des poussières désertiques et nous disposons de modèles que nous qualifions de chimiechimie transport qui montrent le déplacement des aérosols qui nous permettent de prévoir ces phénomènes de remontée de poussières de sable du Sahara de manière plutôt efficace. Les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA) s'appuient, entre autres, sur ces modèles pour proposer leurs prévisions. »
Quels risques pour la santé ?
Ces AASQA, justement, donnent quelques précisions quant aux risques pour la santé de ces nuages de poussière. La quantité de particules fines qu'ils transportent n'est en effet pas toujours anodine. On y trouve du pollenpollen, des moisissures, des nitrates, des sulfates, du cadmiumcadmium, du phosphorephosphore, de l'ammonium, du ferfer, de l'uraniumuranium, du carbonecarbone ou encore du sodiumsodium. Le tout venant généralement s'ajouter à d'autres pollutions.
Concernant l'épisode de début février 2021, le service européen de surveillance de l'atmosphère Copernicus rapporte un dépôt de plusieurs microgrammes de particules par mètre carré sur une grande partie de l'Europe du sud. C'est plusieurs centaines de fois plus que la moyenne. Ces particules entraînent, chez les personnes fragiles, des irritations et des troubles respiratoires. Des études ont montré qu'elles pouvaient être à l'origine d'une augmentation des cas d’asthme et de conjonctivites.
Ces épisodes de pollution semblent toutefois moins problématiques que ceux liés au trafic routier, à l'activité industrielle ou même au chauffage au boisbois, par exemple. Les particules impliquées seraient en effet moins toxiques pour notre organisme. Pour éviter la survenue de problèmes sérieux, les experts recommandent toutefois de limiter les activités physiquesphysiques pendant les alertes.
Et les particules radioactives, dans tout ça ?
Ce que le sable en provenance du Sahara nous apporte également, ce sont quelques particules radioactives. Du césiumcésium 137 pour être précis. Celui qui a été produit au début des années 1960, par les essais nucléaires réalisés par la France dans cette région du globe. Et le césium 137, c'est une substance radioactive qui émet des rayonnements gamma pénétrants qui n'existent pas dans la nature.
Mais les quantités de césium 137 mesurées en France, fin février notamment, restent très faibles. Insignifiantes, même. L'Association pour le contrôle de la radioactivitéradioactivité dans l'ouest (Acro) a ainsi annoncé un chiffre de 80.000 becquerelsbecquerels (Bq) par kilomètre carré, soit 0,08 Bq/m2. Un chiffre difficile à comparer avec les chiffres de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) qui lui, réalise des mesures, non pas sur la poussière déposée au sol, mais à partir d'un air aspiré directement dans l'atmosphère avec un résultat en microbecquerel par mètre cube (µBq/m3).
Selon les analyses de l'IRSN réalisées fin février, justement, à l'exception de l'Essonne (0,25 µBq/m3) et Clermont-Ferrand (0,76 µBq/m3), les niveaux ne se sont pas particulièrement élevés au-dessus de ceux qui caractérisent le bruit de fond -- résultat des divers essais nucléaires effectués au cours du XXe siècle ou de quelques accidentsaccidents --, soit 0,15 µBq/m3. Pour se faire une idée, au moment de l'accident de Fukushima, le nuage qui avait survolé la France avait fait monter les niveaux à quelque 100 à 200 µBq/m3. Quant au fameux nuage de Tchernobyl, il avait été responsable de mesures allant jusqu'à 1 Bq/m3 !
Pas de crainte particulière à avoir donc, de ce côté. Juste un rappel que plus de soixante ans après les essais nucléaires français dans le Sahara, le sable de la région garde encore les traces d'une contaminationcontamination radioactives.
“Le ressenti du public est difficile à prévoir.”
« Nos modèles prévoient efficacement la survenue de ces phénomènes de remontée de poussière en provenance du Sahara. Mais il est plus difficile de prévoir le ressenti du public. Il dépend de données très subjectives. Lorsque vous êtes confinés et que vous vous levez un samedi matin avec un ciel apocalyptique, vous ne pouvez pas ne pas vous poser des questions. Les scientifiques et les médias sont là pour démystifier ce genre de phénomène tout à fait naturel. Et permettre au grand public de les appréhender plus sereinement fera avancer les choses », conclut Vincent Guidard.