À quel point les processus tectoniques régissant la surface de la Terre impactent-ils la dynamique du manteau profond ? Une nouvelle étude illustre l’importance des zones de subduction lors des grands cycles tectoniques.


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    La sismologie nous en apprend toujours plus sur l'architecture et la composition de notre Planète. C'est l'étude de la propagation des ondes sismiques qui a permis d'établir le modèle interne de la Terre et la caractérisation de ses différentes enveloppes. Aujourd'hui, les investigations se font de plus en plus précises. Ainsi, les scientifiques ont découvert que le manteaumanteau était loin d'être homogène. Les variations de vitessevitesse à l'intérieur du manteau témoignent de la présence d'hétérogénéités qui peut être liée à différents processus : remontée de panache mantellique chaud, plongée d'une plaque froide au niveau d'une zone de subductionzone de subduction...

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    Dans la partie la plus profonde du manteau, à l'interface avec le noyau externe, les scientifiques ont d'ailleurs découvert il y a quelques années la présence de zones de vitesse anormalement lentes. L'origine de ces zones de faible vitesse est encore très débattue. Certains scientifiques pensent qu'elles seraient intimement liées à l'évolution de la croûte terrestre et suspectent qu'elles pourraient influencer la vitesse des plaques tectoniques. Mais comment des hétérogénéités thermochimiques enfouies à plus de 2.800 km de profondeur peuvent-elles impacter la tectonique en surface ? Quelle chaîne de processus relie ces deux environnements foncièrement différents ? Ces questions s'avèrent essentielles pour comprendre la dynamique évolutive de la Terre sur le long terme.

    L’énigmatique origine des zones à faible vitesse du manteau inférieur

    Au fur et à mesure des études sismologiques, les chercheurs ont affiné la caractérisation de ces zones à faible vitesse. Il apparait que ces hétérogénéités couvrent 20 à 30 % de la surface marquant la transition entre le manteau et le noyau externe. Deux anomaliesanomalies majeures ont été découvertes : l'une est localisée sous la partie sud de l'Afrique et l'autre sous le Pacifique.

    L'anomalie africaine est d'ailleurs particulièrement conséquente avec environ 1.000 km de large et environ 1.200 km de haut. Les données de vitesse des ondes suggèrent que ces zones sont caractérisées par une composition minéralogique différente de celle du manteau environnant. Cette composition chimique pourrait d'ailleurs être héritée de la composition de la Terre primitive avant le processus de différentiationdifférentiation. Alternativement, elle pourrait contenir du matériel provenant des croûtes océaniquescroûtes océaniques subductées.

     Les deux anomalies de vitesse majeures (en rouge) à la base du manteau, situées sous l’Afrique et sous le Pacifique. © Clinton Conrad, Soest
     Les deux anomalies de vitesse majeures (en rouge) à la base du manteau, situées sous l’Afrique et sous le Pacifique. © Clinton Conrad, Soest

    Plaques tectoniques et manteau profond : un seul système dynamique

    La surface de la Terre est caractérisée par les mouvementsmouvements continuels des plaques tectoniques. Ce sont ces mouvements qui donnent naissance à l'architecture des continents et qui les déchirent par le processus de rifting ou les regroupent lors des collisions. La Terre a ainsi vu sa configuration continentale évoluer sans cesse au fil des millions d'années, passant alternativement de massesmasses continentales agrégées en un unique supercontinent à une configuration totalement explosée, comme c'est le cas actuellement.

    Reconstruction des plaques tectoniques sur le dernier milliard d'années. Trois supercontinents se forment alternativement. Les zones de subduction sont représentées par les lignes noires épaisses. © Cao et <em>al.,</em> 2021
    Reconstruction des plaques tectoniques sur le dernier milliard d'années. Trois supercontinents se forment alternativement. Les zones de subduction sont représentées par les lignes noires épaisses. © Cao et al., 2021

    Or, des modèles géodynamiques montrent que les plaques tectoniques à la surface de la Terre et le manteau profond feraient partie d'un seul système dynamique. Il n'est cependant pas évident de concevoir comment la base du manteau peut être affectée par des modifications dans l'organisation des plaques. Dans ce contexte, les slabsslabs des anciennes plaques océaniques passées en subduction et plongeant profondément dans le manteau pourraient être le lien unissant le processus de surface et intérieur de la Terre.

    L’importance des zones de subduction

    Des chercheurs de l'Université de Wollongong (Australie) se sont donc intéressés à l'évolution de ces structures thermochimiques présentes dans le manteau profond durant le dernier milliard d'années, en regard de l'évolution des plaques tectoniques. Durant cette période, trois supercontinentssupercontinents se sont formés : Rodinia (entre 900 et 800 millions d'années), Pannotia (entre 620 et 600 millions d'années) et la bien connue Pangée (entre 320 et 200 millions d'années).

    Durant ces phases de regroupement des masses continentales, la Terre est ainsi divisée en deux : un hémisphère est occupé par un supercontinent, et l'autre est occupé par un superocéan. La limite entre ces deux domaines est généralement marquée par la présence de zones de subduction sur le pourtour continental qui « avalent » la croûte océanique. Les modèles géodynamiques montrent que les slabs (la plaque océanique plongeante) de ces zones de subduction circum-continentales pénètrent très profondément dans le manteau.

    L'arrivée de ce matériel crustal de température et de composition différentes de celles du manteau provoquerait d'importantes perturbations au niveau de l'interface noyau-manteau. Les zones d'anomalies situées sous le supercontinent se retrouveraient ainsi découpées et partitionnées par l'arrivée des slabs. À l'inverse, les résultats de la modélisationmodélisation montrent que la structure thermochimique située sous le superocéan serait peu affectée.

    Résultat de la modélisation montrant les variations de la structure thermochimique à la base du manteau (en bleu) au cours du temps. Au moment des supercontinents, la structure est fortement délaminée par les slabs sous la zone continentale, alors qu'elle reste compacte sous le superocéan. © Cao et <em>al.,</em> 2021
    Résultat de la modélisation montrant les variations de la structure thermochimique à la base du manteau (en bleu) au cours du temps. Au moment des supercontinents, la structure est fortement délaminée par les slabs sous la zone continentale, alors qu'elle reste compacte sous le superocéan. © Cao et al., 2021

    Une influence sur la génération et la mobilité des points chauds

    De plus, il apparait que la modification de la structure thermochimique à la base du manteau peut entrainer la remontée de panaches mantelliques au niveau des zones les plus élevées, donnant ainsi naissance à des points chauds. Cette architecture peut notamment être modifiée par les réorganisations tectoniques en surface et les réarrangements des zones de subduction, entrainant une migration des panaches mantelliques.

    Les résultats de l'étude, publiée dans Scientific Reports, montrent à quel point les processus tectoniques en surface sont connectés à la dynamique profonde de la Terre. Les cycles tectoniques, par l'intermédiaire des zones de subduction, modifient et modèles les architectures thermochimiques localisées à la base du manteau qui, eux-mêmes, génèrent des points chaudspoints chauds affectant la surface terrestre.