Comment et pourquoi en est-on arrivés là ? Le loup, comme on l’a vu dans l’épisode précédent, est victime d’une volonté de déclassement au niveau européen, qui semble suivie par la France d’après le dernier Plan national d’actions (PNA). Pour comprendre cette situation, et sa possible évolution, un voyage dans le temps s’impose.


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    Avant toute chose, avez-vous lu le premier épisode ?

    Les loups peuplent l'Europe depuis deux millions d'années, avec l'espèce Canis etruscus. De nos jours, le loup gris (Canis lupusCanis lupus)) est réparti sur l'ensemble de l'hémisphère nord, en Eurasie et en Amérique du nord, ce qui en fait l'espèce de canidé la plus répandue au monde. La France est actuellement à la croisée des chemins de trois sous-espèces : les loups ibériques (Canis lupus signatusCanis lupus signatus), les loups italiens (Canis lupus italicus) et les loups de l'est (Canis lupus signatus). Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi...

    Le loup en France : histoire d’un retour

    Il y a deux siècles, le loup était présent sur presque 90 % du territoire, d'après les documents d'archives témoignant de sa présence dans pratiquement toutes les campagnes françaises. Les attaques sur le bétail s'ajoutant à un contexte de raréfaction du gibier, une légalisation de la chasse intensive a conduit à son éradication totale en 1939. Cinquante ans plus tard, des premiers indices révélèrent son retour dans les Alpes du sud, et c'est en 1992 que sa recolonisation naturelle* fut confirmée dans le Parc national du Mercantour, en provenance du massif des Abruzzes, en Italie. Dès lors, un suivi de l'espèce fut mis en place et son expansion documentée - une démarche adoptée par ailleurs au-delà des frontières françaises. 

    Les rapports montrent qu'il colonisa progressivement les Alpes, le Massif central, la partie orientale des Pyrénées et les Vosges. En outre, étant donné l'absence de raison biologique ou écologique limitant l'espèce à un environnement alpin, sa présence  fut même observée dès 2011 dans le Finistère, ou encore la périphérie du bassin parisien. 

    Mais alors, qu'est-ce qui a bien pu favoriser ce retour ? Tout simplement les phénomènes inverses à ceux ayant contribué à sa disparition, à savoir : la déprise agricole, qui a permis la libération d'espaces sauvages, permettant ainsi aux forêts de regagner du terrain, et avec elles les ongulés sauvages, auxquelles s'ajoutent l'instauration de mesures de protection (voir  l’épisode 1). 

    Finalement, le loup a profité de l'évolution du contexte environnemental et juridique pour progresser naturellement. Cependant, ce retour s'est rapidement accompagné d'effets concrets, comme la multiplication des attaques perpétrées sur les troupeaux. Au-delà d'impacter les éleveurs, c'est tout un secteur économique qui fut dès lors touché. 

    Légende de l'imageRépartition du loup en France métropolitaine entre 2003 et 2020. © OFB, Réseau Loup-Lynx
    Légende de l'imageRépartition du loup en France métropolitaine entre 2003 et 2020. © OFB, Réseau Loup-Lynx

    La vache Hérens, « un moyen de protection très prometteur »

    Avec la disparition du loup, les éleveurs et les bergers ont perdu l'habitude de travailler en sa présence. De plus, l'évolution du contexte économique a transformé le pastoralisme :  abandon de l'élevage bovin au profit des moutons dans certaines régions, augmentation des effectifs des troupeaux, allant souvent de paire avec une diminution de leur surveillance. Or, lorsque rien ne l'en empêche techniquement, un loup peut s'en prendre au bétail, qui représente une proie bien plus facile à capturer que ses proies naturelles, comme l'explique avec humour Gilles Apeloig, un éleveur de chèvres et brebis à Gresse en Vercors : « Les loups sont plus susceptibles d'aller chasser des animaux en troupeau : c'est comme pour nous, on préfère aller au supermarché ».

    C'est suite à une reconversion professionnelle que Gilles s'est tourné vers l'élevage ovin, aidé de ses deux adorables chienschiens et d'une petite vachevache Hérens pour garder ses troupeaux. Même si la situation de sa bergerie est un « privilège » pour la sécurité des troupeaux - ses bêtes évoluent aux alentours le jour et rentrent à la bergerie la nuit -, il n'en est pas moins solidaire auprès des éleveurs qui doivent monter en alpage, et sont, de fait, plus exposés au loups.

    La vache Hérens est une race capable de protéger les troupeaux du loup, en combinaison à d’autres moyens de protection. © Carlog, Adobe Stock
    La vache Hérens est une race capable de protéger les troupeaux du loup, en combinaison à d’autres moyens de protection. © Carlog, Adobe Stock

    Il devient ainsi nécessaire de protéger le troupeau, et ce via la mise en place de plusieurs moyens, parmi lesquels on peut citer le gardiennage renforcé, avec un berger et parfois un aide-berger, le regroupement nocturnenocturne du bétail et la présence d'animaux de protection, comme certaines races de chiens (voir encadré), ou encore une race bien spécifique de vache, la vache Hérens. Gilles explique que « c'est une vache de combat : on ne peut pas encore faire de déduction, mais pour le moment, c'est un moyen de protection très prometteur », dont l'efficacité est par ailleurs étudiée dans le Parc naturel régional du Vercors (PNRV). 

    Parmi les outils de protection figurent également la présence de clôtures, électrifiées ou non, et l'emploi de dispositifs d'effarouchement : rubans, fumigènes, détonations, éclairages, odeurs répulsives, tirs non létaux... Bien que certaines méthodes se montrent plus efficaces que d'autres, comme la protection des troupeaux par les chiens, aucune n'est infaillible. C'est la combinaison de ces différentes méthodes qui, associée à certaines modifications du système d'élevage, permet de réduire les risques et dommages sur les troupeaux. Une réduction de la fréquence des attaques et du nombre de victimes a été constatée lorsque ces moyens étaient effectivement et correctement mis en place - à noter que certains facteurs, comme la configuration topographique par exemple, peuvent être une limite à l'implantation de certains dispositifs. 

    Le saviez-vous ?

    Le terme de « patou » vient  de « pastre » qui signifie « berger » en vieux français, et désigne une race de chien spécifique : le Montagne des Pyrénées. Cependant, ce n’est pas la seule race de chien recommandée pour la protection des troupeaux  : Berger d’Anatolie, Berger de Maremme et des Abruzzes, Cao de gado transmontano… Sélectionnés depuis des siècles, ces chiens ont été choisis pour leur capacité innée à s’attacher à un troupeau et à le préserver des menaces extérieures.

    Cela étant, Gilles rappelle aussi  l'intelligenceintelligence du loup : « Il y a 10 ans, les loups faisaient demi-tour devant une clôture, aujourd'hui les louveteaux sautent par-dessus, avant d'ajouter que son intelligence représente une difficulté supplémentaire, car il apprend vite, et l'espèce s'adapte avec le temps ». De plus, ces moyens de protection demandent davantage de travail aux éleveurs et bergers, et au-delà de déplorer « l'individualisme de la filière en France », notre éleveur, d'ordinaire optimiste, se questionne sur l'avenir de ces métiers : « Il faut que les éleveurs se regroupent. Cette entraide contribuera à rendre le pastoralisme plus attrayant auprès des jeunes, démotivés face à la difficulté des métiers ». 

    Il précise : « Les conditions de vie en montagne, la précarité des salaires, l'instabilité de la saisonnalité : c'est tout un statut à reconsidérer ». C'est pourquoi l'État aide à la mise en place de certains dispositifs en proposant des formations et en prenant en charge l'essentiel des frais des équipements. De plus, la réglementation concernant l'indemnisation des dommages est une démarche volontaire de l'État, assumée financièrement par le Ministère de la transition écologique et solidaire**.

    Les métiers d’éleveur et de berger sont soumis à de nombreuses difficultés, notamment économiques, mais sont indispensables à la filière pastorale. © Tangofox, Adobe Stock
    Les métiers d’éleveur et de berger sont soumis à de nombreuses difficultés, notamment économiques, mais sont indispensables à la filière pastorale. © Tangofox, Adobe Stock

    Le loup, un argument fallacieux ?

    Bien que beaucoup de troupeaux ne soient jamais l'objet de prédation - 75 % des éleveurs ne subissent qu'une à deux attaques par an -, il faut savoir que 10 % d'entre eux sont victimes de plus de 10 attaques chaque année : c'est à ce niveau là qu'une intervention est nécessaire. Mais malheureusement, comme le rapporte Gilles Apeloig, « Le loup a la faculté de débrancher le cerveaucerveau des humains ». En effet, ne nous trompons pas de débat : le loup ne doit pas être utilisé afin d'oublier les principales causes de mortalité des ovins. Certes, en 2022, ce sont près de 12 000 brebis qui ont été tuées par des loups, mais qu'en est-il des cinq millions d'ovins tués chaque année pour notre consommation, des 300 000 qui meurent de maladies ou lors du transport, et des 500 000 qui finissent tout simplement à l'équarrissage ?

    De plus, quand bien même tous les loups seraient éliminés en France, les problèmes économiques que connaît la filière pastorale n'en seraient pas résolus, comme par exemple l'émergenceémergence d'une forte concurrence internationale de productions ovines depuis plusieurs décennies - en provenance notamment d'Australie et de Nouvelle-Zélande, qui dominent le marché mondial. Une espèce protégée ne peut pas servir de couverture pour masquer les problèmes de fond de l'industrie agroalimentaire, estiment nombre de chercheurs et associations.

    La question du loup soulève des débats dans de nombreux domaines et il serait injuste de prétendre aborder toute la complexité de cette dernière en quelques lignes. Bien que les éleveurs, non sans difficultés, puissent modifier leurs pratiques afin de s'adapter à la présence du loup, de nombreuses interrogations persistent. Cette adaptation par la préventionprévention est-elle suffisante ? Dans quels cas la défense se veut nécessaire et quels en sont les risques de dérive ? L'abattage est-il une méthode envisageable ? Pourquoi une cohabitation est-elle indispensable ? Tout cela, nous le verrons dans le  prochain épisode.

    En attendant, afin d'aborder cette question dans son entièreté, pensez à lire notre premier épisode


    * Point sémantique : contrairement à l'ours et au lynx, le loup est revenu en France de façon spontanée. On ne parle donc pas de réintroduction, qui est une forme de colonisation assistée, mais plutôt de recolonisation naturelle. Quant au terme de ré-ensauvagement ou « rewildingrewilding » en anglais, son emploi est assez controversé dans le cas du loup, car c'est un concept associé à la notion de restauration d'un écosystèmeécosystème, dans un but de conservation, qui peut parfois passer par une réintroduction volontaire de certaines espèces, ou bien l'absence choisie de toute activité perturbatrice sur un milieu donné. Pour plus d'informations à ce sujet, rendez-vous sur le site de l'ONG Rewilding Europe et l'association Rewilding France.

    ** La réglementation concernant l'indemnisation en cas de dommages sur des troupeaux repose sur la réalisation systématique d'un constat de dommages dès lors qu'une prédation lupine est suspectée - à noter qu'en cas de prédation où il n'est pas possible d'attribuer la responsabilité à un prédateur autre que le loup, comme un chien par exemple, on parle de  « loup non exclu », et le doute est au bénéfice de l'éleveur, qui est indemnisé. Ce dédommagement porteporte sur les pertes directes (victimes), les pertes indirectes (reste du troupeau, blessures, stressstress), et les pertes matérielles.