Ces derniers temps, nous avons entendu parler du loup dans divers débats. Il en est ressorti une volonté européenne et nationale de déclassement du statut de protection de cette espèce, alors que sa population est en baisse. Le loup a beau être un prédateur indispensable à l’équilibre des écosystèmes, il est victime d’une légende peu favorable à sa conservation, souvent encouragée par les médias. Comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pour comprendre les enjeux qui pèsent sur une coexistence apaisée avec ce prédateur sauvage, je vous invite à réfléchir au rapport que vous entretenez avec lui. Bienvenue dans cette enquête, en quatre épisodes.


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    ÉPISODE 1 : Pourquoi tout le monde parle du loup ?

    Les débats autour de la présence du loup ne datent pas d'hier, mais ils ont été ravivés ces derniers mois par divers évènements. Ce qui en ressort : une volonté gouvernementale de déclassement du statut de protection de cette espèce. Pourquoi la réglementation est-elle renforcée au détriment de la protection du loup, alors que sa population est en baisse ? Rétrospective.

    Nous sommes le 23 mai 2024. Le milieu très fermé de la protection des espèces sauvages est bouleversé par l'annonce d'un chiffre, qui vient de paraître dans un communiqué commun aux associations Aspas, Ferus, FNE, Humanité & Biodiversité, LPO, et WWF. L'estimation du nombre de loups présents en France a baissé de 9 % sur un an, passant d'un effectif minimum retenu de 1 096 loups en 2022 à 1 003 individus pour 2023. Après avoir doublé entre 2018 et 2023, d'après les estimations de l'Office français de la biodiversité (OFB), c'est la première fois que ce chiffre diminue en 10 ans ! Malgré cela, l'État français plaide toujours pour un déclassement du loup au niveau européen. Pourquoi ?

    L’argument du « danger pour le bétail et les humains  »

    Le dossier a été rouvert il y a six mois, le 20 décembre 2023, lorsque la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, a annoncé que « la concentration de meutes de loups dans certaines régions d'Europe [était] devenue un véritable danger pour le bétail et potentiellement aussi pour les humains », avant de poursuivre, « j'invite les autorités locales et nationales à prendre les mesures qui s'imposent ».

    S'appuyant sur cet argument, la présidente de la Commission européenne a proposé un déclassement de l'espèce de « strictement protégée » à « protégée », visant à passer d'un impératif de protection à une logique de régulation, en facilitant les tirs et empêchant ainsi au loup de s'installer sur de nouveaux territoires. Concrètement, d'ici à la fin de l'année, une plateforme de données devrait collecter les données du loup à l'échelle européenne, comme l'a détaillé Adalbert Jahnz, porteporte-parole de la Commission européenne : « Ces données vont nous permettre de statuer sur une possible proposition de réforme de statut du loup et d'actualiser le cadre légal afin de permettre plus de flexibilité là où ce sera nécessaire, au regard de l'évolution des espècesévolution des espèces». 

    Cette initiative cible directement la Convention de Berne de 1979, la plus ancienne convention internationale en matièrematière de conservation de la nature, transposée au droit français en 1989, et européen en 1992 par la directive Habitats-Faune-Flore (92/43/CEE), au titre d'espèce prioritaire. Or, fragiliser le niveau de protection d'une espèce protégée par une convention internationale est une démarche d'autant plus alarmante qu'elle est inédite.

    Malgré une population de loups et un nombre d'attaques sur des troupeaux en baisse, le nouveau Plan national d’actions prévoit une facilitation des tirs. © Mathilde, Adobe Stock
    Malgré une population de loups et un nombre d'attaques sur des troupeaux en baisse, le nouveau Plan national d’actions prévoit une facilitation des tirs. © Mathilde, Adobe Stock

    Une facilitation des tirs malgré une baisse des dommages

    Les « mesures » invoquées par la présidente de la Commission européenne n'ont pas tardé à être dévoilées : le 23 février paraît la version définitive du nouveau Plan national d’actions (PNA) 2024-2029. Intitulée Loup et activités d'élevage, elle est complétée par un arrêté ministériel fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations* aux interdictions de destruction peuvent être accordées. Ce PNA, en plus d'exposer une révision de la méthode de calcul des effectifs, décrit un protocoleprotocole de tirs simplifié pour les éleveurs et les louvetiers. Actuellement, les quotas de tirs sont fixés à 19 % de l'effectif, ce qui représente 209 loups. 

    Seulement, le 10 avril, les données actualisées de la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement) ont démontré des dommages en baisse : en 2023, ce sont quelque 10 882 animaux domestiques qui ont été tués par des loups en France, soit 13 % de moins qu'en 2018. Les quotas de prélèvements ont-ils été revus à la baisse pour autant ? Absolument pas. Le gouvernement a décidé de ne pas rectifier le PNA, une volonté qui reflète la gestion très politique du dossier loup, basée sur des chiffres, ne laissant pas de véritable place pour un dialogue social et écologique.

    La chasse au loup s’intensifie avec le « Plan Loup » du gouvernement. Partez à la rencontre « du grand méchant loup » dans Bêtes de Science ! © Futura

    Pourquoi tant d’incohérences ?

    Selon Coralie Mounet, chargée de recherche au CNRS, il faut « sortir des chiffres pour prêter attention à la qualification de ce qui se passe, car l'approche de mise en chiffre n'a jusque-là rien réglé ». Qu'il s'agisse des quotas de loups tués ou du nombre d'attaques sur les troupeaux, les pourcentages ne disent rien de ce qui se passe sur le terrain localement : « Une approche globale ne permet pas d'avancer dans la compréhension des interactions loups/animaux domestiques ». La chercheuse affirme qu'un plan de gestion national « impose une politique générale, qui ne prend pas toujours en compte les spécificités locales ». Son ton est calme, mais on ressent tout l'engagement dans sa voix : selon elle, « il faut donner plus de place à l'expérimentation dans les territoires ».

    Le loup est un atout pour certains, et un inconvénient pour d’autres

    C'est justement ce qui se fait dans le Parc naturel régional du Vercors (PNRV) : en 2017, le syndicat mixte du Parc a voté à l'unanimité une motion qui le positionne comme territoire d'expérimentations, dans l'optique de permettre une meilleure coexistence pastoralisme/loup. Michel Vartanian, son vice-président et chargé du dossier « prédation », illustre cet objectif par le récit commun intitulé Loups et territoires, qui s'est articulé entre 2017 et 2023 autour de trois axes : la connaissance, l'évaluation des mesures de protection et la communication. Ce plan a abouti à une cinquantaine d'actions concrètes, applicables à différents niveaux, mais le délégué de la commune de Chamaloc, située dans la Drôme, explique que « cela ne constitue que des propositions pour améliorer la législation », avant de poursuivre, « nous n'avons pas été consultés pour le Plan national d'actions ». 

    Une communication qui prend la forme d'un cercle vicieux entre des territoires très concernés par cette « problématique », mais peu sollicités lors de l'élaboration de réglementations nationales, ces dernières limitant les leviers d'actions des territoires... Michel Vartanian est clair : « Le loup est un atout pour certains, et un inconvénient pour d'autres ». Alors, comment en est-on arrivé là ? 

    Nous tenterons de répondre à cette question dans le prochain épisode, durant lequel nous analyserons le passé pour mieux comprendre le présent.

    * Dérogations à la protection européenne : 

    • intérêt à agir (pour prévenir des dommages importants à l'élevage) ;
    • aucune autre solution satisfaisante (dommages malgré la mise en place de mesures de protections) ;
    • si les dérogations ne nuisent pas au maintien des populations dans un état de conservation favorable.

    Les agents de l'OFB sont chargés de veiller au respect de cette réglementation, notamment via une enquête systématique dès lors qu'un loup sauvage est retrouvé mort - pour rappel, le braconnage d'une espèce protégée est passible d'une peine délictuelle maximale de 3 ans de prison, de 150 000 euros d'amende, et de peines complémentaires.


    ÉPISODE 2 : Histoire du loup de l'Homme

    Comment et pourquoi en est-on arrivés là ? Le loup, comme on l'a vu dans l'épisode précédent, est victime d'une volonté de déclassement au niveau européen, qui semble suivie par la France d'après le dernier Plan national d'actions (PNA). Pour comprendre cette situation, et sa possible évolution, un voyage dans le temps s'impose.

    Les loups peuplent l'Europe depuis deux millions d'années, avec l'espèce Canis etruscus. De nos jours, le loup gris (Canis lupusCanis lupus) est réparti sur l'ensemble de l'hémisphère Nord, en Eurasie et en Amérique du Nord, ce qui en fait l'espèce de canidé la plus répandue au monde. La France est actuellement à la croisée des chemins de trois sous-espèces : les loups ibériques (Canis lupus signatusCanis lupus signatus), les loups italiens (Canis lupus italicus) et les loups d'Europe (Canis lupus lupus). Cependant, il n'en a pas toujours été ainsi...

    Le loup est moins méchant et plus intelligent qu'on ne pourrait le croire. Partez à sa rencontre dans Bêtes de Science ! © Futura

    Le loup en France : histoire d’un retour

    Il y a deux siècles, le loup était présent sur presque 90 % du territoire, d'après les documents d'archives témoignant de sa présence dans pratiquement toutes les campagnes françaises. Les attaques sur le bétail s'ajoutant à un contexte de raréfaction du gibier, une légalisation de la chasse intensive a conduit à son éradication totale en 1939. Cinquante ans plus tard, des premiers indices révélèrent son retour dans les Alpes du sud, et c'est en 1992 que sa recolonisation naturelle* fut confirmée dans le Parc national du Mercantour, en provenance du massif des Abruzzes, en Italie. Dès lors, un suivi de l'espèce fut mis en place et son expansion documentée - une démarche adoptée par ailleurs au-delà des frontières françaises. 

    Les rapports montrent qu'il colonisa progressivement les Alpes, le Massif central, la partie orientale des Pyrénées et les Vosges. En outre, étant donné l'absence de raison biologique ou écologique limitant l'espèce à un environnement alpin, sa présence  fut même observée dès 2011 dans le Finistère, ou encore la périphérie du bassin parisien. 

    Mais alors, qu'est-ce qui a bien pu favoriser ce retour ? Tout simplement les phénomènes inverses à ceux ayant contribué à sa disparition, à savoir : la déprise agricole, qui a permis la libération d'espaces sauvages, permettant ainsi aux forêts de regagner du terrain, et avec elles les ongulés sauvages, auxquelles s'ajoute l'instauration de mesures de protection (voir  l’épisode 1). 

    Finalement, le loup a profité de l'évolution du contexte environnemental et juridique pour progresser naturellement. Cependant, ce retour s'est rapidement accompagné d'effets concrets, comme la multiplication des attaques perpétrées sur les troupeaux. Au-delà d'impacter les éleveurs, c'est tout un secteur économique qui fut dès lors touché. 

    Répartition du loup en France métropolitaine entre 2003 et 2020. © OFB, Réseau Loup-Lynx
    Répartition du loup en France métropolitaine entre 2003 et 2020. © OFB, Réseau Loup-Lynx

    La vache Hérens, « un moyen de protection très prometteur »

    Avec la disparition du loup, les éleveurs et les bergers ont perdu l'habitude de travailler en sa présence. De plus, l'évolution du contexte économique a transformé le pastoralisme : abandon de l'élevage bovin au profit des moutons dans certaines régions, augmentation des effectifs des troupeaux, allant souvent de pair avec une diminution de leur surveillance. Or, lorsque rien ne l'en empêche techniquement, un loup peut s'en prendre au bétail, qui représente une proie bien plus facile à capturer que ses proies naturelles, comme l'explique avec humour Gilles Apeloig, un éleveur de chèvres et brebis à Gresse en Vercors : « Les loups sont plus susceptibles d'aller chasser des animaux en troupeau : c'est comme pour nous, on préfère aller au supermarché ».

    C'est suite à une reconversion professionnelle que Gilles s'est tourné vers l'élevage ovin, aidé de ses deux adorables chiens et d'une petite vachevache Hérens pour garder ses troupeaux. Même si la situation de sa bergerie est un « privilège » pour la sécurité des troupeaux - ses bêtes évoluent aux alentours le jour et rentrent à la bergerie la nuit -, il n'en est pas moins solidaire auprès des éleveurs qui doivent monter en alpage, et sont, de fait, plus exposés aux loups.

    La vache Hérens est une race capable de protéger les troupeaux du loup, en combinaison à d’autres moyens de protection. © Carlog, Adobe Stock
    La vache Hérens est une race capable de protéger les troupeaux du loup, en combinaison à d’autres moyens de protection. © Carlog, Adobe Stock

    Il devient ainsi nécessaire de protéger le troupeau, et ce via la mise en place de plusieurs moyens, parmi lesquels on peut citer le gardiennage renforcé, avec un berger et parfois un aide-berger, le regroupement nocturnenocturne du bétail et la présence d'animaux de protection, comme certaines races de chiens (voir encadré), ou encore une race bien spécifique de vache, la vache Hérens. Gilles explique que « c'est une vache de combat : on ne peut pas encore faire de déduction, mais pour le moment, c'est un moyen de protection très prometteur », dont l'efficacité est par ailleurs étudiée dans le Parc naturel régional du Vercors (PNRV). 

    Parmi les outils de protection figurent également la présence de clôtures, électrifiées ou non, et l'emploi de dispositifs d'effarouchement : rubans, fumigènes, détonations, éclairages, odeurs répulsives, tirs non létaux... Bien que certaines méthodes se montrent plus efficaces que d'autres, comme la protection des troupeaux par les chiens, aucune n'est infaillible. C'est la combinaison de ces différentes méthodes qui, associée à certaines modifications du système d'élevage, permet de réduire les risques et dommages sur les troupeaux. Une réduction de la fréquence des attaques et du nombre de victimes a été constatée lorsque ces moyens étaient effectivement et correctement mis en place - à noter que certains facteurs, comme la configuration topographique par exemple, peuvent être une limite à l'implantation de certains dispositifs. 

    Le saviez-vous ?

    Le terme de « patou » vient  de « pastre » qui signifie « berger » en vieux français, et désigne une race de chien spécifique : le Montagne des Pyrénées. Cependant, ce n’est pas la seule race de chien recommandée pour la protection des troupeaux  : Berger d’Anatolie, Berger de Maremme et des Abruzzes, Cao de gado transmontano… Sélectionnés depuis des siècles, ces chiens ont été choisis pour leur capacité innée à s’attacher à un troupeau et à le préserver des menaces extérieures.

    Cela étant, Gilles rappelle aussi l'intelligenceintelligence du loup : « Il y a 10 ans, les loups faisaient demi-tour devant une clôture, aujourd'hui les louveteaux sautent par-dessus, avant d'ajouter que son intelligence représente une difficulté supplémentaire, car il apprend vite, et l'espèce s'adapte avec le temps ». De plus, ces moyens de protection demandent davantage de travail aux éleveurs et bergers, et au-delà de déplorer « l'individualisme de la filière en France », notre éleveur, d'ordinaire optimiste, se questionne sur l'avenir de ces métiers : « Il faut que les éleveurs se regroupent. Cette entraide contribuera à rendre le pastoralisme plus attrayant auprès des jeunes, démotivés face à la difficulté des métiers ». 

    Il précise : « Les conditions de vie en montagne, la précarité des salaires, l'instabilité de la saisonnalité : c'est tout un statut à reconsidérer ». C'est pourquoi l'État aide à la mise en place de certains dispositifs en proposant des formations et en prenant en charge l'essentiel des frais des équipements. De plus, la réglementation concernant l'indemnisation des dommages est une démarche volontaire de l'État, assumée financièrement par le ministère de la Transition écologique et solidaire**.

    Les métiers d’éleveur et de berger sont soumis à de nombreuses difficultés, notamment économiques, mais sont indispensables à la filière pastorale. © Tangofox, Adobe Stock
    Les métiers d’éleveur et de berger sont soumis à de nombreuses difficultés, notamment économiques, mais sont indispensables à la filière pastorale. © Tangofox, Adobe Stock

    Le loup, un argument fallacieux ?

    Bien que beaucoup de troupeaux ne soient jamais l'objet de prédation - 75 % des éleveurs ne subissent qu'une à deux attaques par an -, il faut savoir que 10 % d'entre eux sont victimes de plus de 10 attaques chaque année : c'est à ce niveau-là qu'une intervention est nécessaire. Mais malheureusement, comme le rapporte Gilles Apeloig, « le loup a la faculté de débrancher le cerveaucerveau des humains ». En effet, ne nous trompons pas de débat : le loup ne doit pas être utilisé afin d'oublier les principales causes de mortalité des ovins. Certes, en 2022, ce sont près de 12 000 brebis qui ont été tuées par des loups, mais qu'en est-il des cinq millions d'ovins tués chaque année pour notre consommation, des 300 000 qui meurent de maladies ou lors du transport, et des 500 000 qui finissent tout simplement à l'équarrissage ?

    De plus, quand bien même tous les loups seraient éliminés en France, les problèmes économiques que connaît la filière pastorale n'en seraient pas résolus comme, par exemple, l'émergenceémergence d'une forte concurrence internationale de productions ovines depuis plusieurs décennies - en provenance notamment d'Australie et de Nouvelle-Zélande, qui dominent le marché mondial. Une espèce protégée ne peut pas servir de couverture pour masquer les problèmes de fond de l'industrie agroalimentaire, estiment nombre de chercheurs et associations.

    La question du loup soulève des débats dans de nombreux domaines et il serait injuste de prétendre aborder toute la complexité de cette dernière en quelques lignes. Bien que les éleveurs, non sans difficultés, puissent modifier leurs pratiques afin de s'adapter à la présence du loup, de nombreuses interrogations persistent. Cette adaptation par la préventionprévention est-elle suffisante ? Dans quels cas la défense se veut nécessaire et quels en sont les risques de dérive ? L'abattage est-il une méthode envisageable ? Pourquoi une cohabitation est-elle indispensable ? Tout cela, nous le verrons dans le  prochain épisode.

    * Point sémantique : contrairement à l'ours et au lynx, le loup est revenu en France de façon spontanée. On ne parle donc pas de réintroduction, qui est une forme de colonisation assistée, mais plutôt de recolonisation naturelle. Quant au terme de ré-ensauvagement ou « rewildingrewilding » en anglais, son emploi est assez controversé dans le cas du loup, car c'est un concept associé à la notion de restauration d'un écosystèmeécosystème, dans un but de conservation, qui peut parfois passer par une réintroduction volontaire de certaines espèces, ou bien l'absence choisie de toute activité perturbatrice sur un milieu donné. Pour plus d'informations à ce sujet, rendez-vous sur le site de l'ONG Rewilding Europe et l'association Rewilding France.

    ** La réglementation concernant l'indemnisation en cas de dommages sur des troupeaux repose sur la réalisation systématique d'un constat de dommages dès lors qu'une prédation lupine est suspectée - à noter qu'en cas de prédation où il n'est pas possible d'attribuer la responsabilité à un prédateur autre que le loup, comme un chien par exemple, on parle de  « loup non exclu », et le doute est au bénéfice de l'éleveur, qui est indemnisé. Ce dédommagement porte sur les pertes directes (victimes), les pertes indirectes (reste du troupeau, blessures, stressstress), et les pertes matérielles.


    ÉPISODE 3 : Voici pourquoi la coexistence est indispensable

    Le retour du loup inquiète les éleveurs. Malgré l'adoption de stratégies préventives, certaines situations imposent de sortir les armes : une adaptation par la défense non sans conséquences sur les populations de loups, pourtant indispensables à l'équilibre des écosystèmes. Il est urgent de cohabiter. 

    Les mesures de protection ont des limites (voir l'épisode 2), et lorsque même des tirs d'effarouchement ne suffisent pas à écarter un loup en action de prédation, des tirs létaux peuvent prendre le relais « dans un cadre strictement encadré réglementairement », assure toutefois la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Il en existe plusieurs types « dont les modalités sont graduées en fonction de l'importance et de la récurrence des dommages subis sur les troupeaux ». 

    Dans un premier temps, les tirs de défense simples et renforcés permettent de tuer des loups en situation d'attaque et ce, de janvier à septembre. Ils ont pour objectif de défendre le troupeau contre une prédation imminente, et peuvent être effectués par toute personne détentrice du permis de chasse C. Dans un second temps, il existe les tirs de prélèvement simples et renforcés, quant à eux organisés à l'automneautomne, pour réduire la pressionpression de prédation quand cette dernière est forte dans les foyers d'attaques. Seuls les officiers des deux brigades loups de l'OFB (Office français de la biodiversitébiodiversité) et les louvetiers (chasseurs assermentés) y sont habilités. Nous retrouvons Gilles Apeloig, éleveur de chèvres et brebis à Gresse en Vercors, qui soutient que « la régulation doit être faite par des professionnels, qui connaissent bien la meute », au risque d'une déstructuration qui démultiplierait les attaques. Explications.

    Malgré l'autorisation, sur dérogation, de tirs de défense et de prélèvement, l'abattage des loups est loin d'être la solution face aux attaques sur les troupeaux. © Dan, Adobe Stock
    Malgré l'autorisation, sur dérogation, de tirs de défense et de prélèvement, l'abattage des loups est loin d'être la solution face aux attaques sur les troupeaux. © Dan, Adobe Stock

    Pourquoi l’abattage n’est-il pas la solution ?

    Une étude a montré que la reprise de la chasse ne diminue non seulement pas la prédation, mais augmente même la reproduction. Conséquence : les loups éliminés sont rapidement remplacés, et colonisent de nouveaux territoires. Malgré l'existence de quotas, les tirs « au hasard » ne sont vraisemblablement pas la solution : alors qu'un seul loup peut être responsable de nombreux dégâts, une meute peut ne jamais toucher à un animal domestique. Coralie Mounet, chargée de recherche au CNRS, rappelle que « la mise en chiffres peut être une erreur : il faut privilégier une approche qualitative de ce qui se passe sur le terrain ». Identifier l'individu problématique et engager une réponse ciblée serait donc plus adapté à la réalité des attaques, même si l'abattre est parfois contre-productif. En effet, l'élimination d'un individu dominant risque d'éclater la meute, et entraîner la dispersion d'individus sur d'autres territoires... Un phénomène qui s'explique par le mode de vie de ces animaux sauvages.

    Territorialité, dispersion, prédation

    Le loup vit en meute, sédentarisée sur un territoire donné allant de 150 à 300 km². En France, elle est constituée de quatre à cinq loups en moyenne : un couple reproducteur dominant, et ses descendants. En se reproduisant une fois par an, le couple donne naissance à quatre à huit louveteaux, qui connaissent une mortalité allant jusqu'à 50 % durant leur première année. Si les effectifs dépassent un seuil dans la meute, des individus âgés de 1 et 4 ans partent, avec un taux de dispersion variant de 10 à 30 % de l'effectif d'une population. Cette dispersion peut être motivée par certains comportements d'évitements sociaux ou encore la quête de partenaire, mais le motif le plus récurrent reste la recherche de nourriture.  

    Le loup est un mammifèremammifère carnivorecarnivore opportuniste, chassant préférentiellement la nuit. Il mange entre deux et cinq kilos de nourriture par jour en moyenne, à un rythme aléatoire entrecoupé de plusieurs jours de jeûne. 76 % de ses proies sont des ongulés sauvages de taille moyenne (chevreuilchevreuil, chamoischamois, mouflon, cerf, sangliersanglier), même s'il lui arrive de consommer des proies plus petites (lièvres, marmottes, petits rongeursrongeurs, voire des insectesinsectes, batraciensbatraciens, oiseaux, reptilesreptiles...) et parfois, des ongulés domestiques comme les ovins et les caprins. 

    Un ongulé sauvage isolé et vulnérable constitue la proie idéale pour un loup en action de prédation, comme ce jeune chamois. © Serge, Adobe Stock
    Un ongulé sauvage isolé et vulnérable constitue la proie idéale pour un loup en action de prédation, comme ce jeune chamois. © Serge, Adobe Stock

    Toutefois, comme tout prédateur, lorsqu'il se nourrit, le loup cherche à optimiser son énergieénergie. Ainsi, il préfère les proies les plus vulnérables, comme celles qui sont âgées, blessées ou malades. Ce comportement a le double avantage de limiter la propagation des maladies, et de permettre aux individus les plus robustes de se reproduire et de transmettre leurs gènesgènes à leur progéniture. 

    Partout où le loup a repris sa place, c’est bénéfique pour la faune et pour la flore

    En outre, le comportement du loup illustre parfaitement la notion d'autorégulation des espèces : sa population est proportionnelle à celle de leurs proies. En d'autres termes, le loup ne peut pas pulluler car il s'adapte aux ressources, c'est-à-dire à la fois aux espèces disponibles, mais également à leurs effectifs*. Il ne fait pas disparaître ses proies - sans quoi il disparaîtrait lui aussi -, mais il régule leurs populations sauvages, comme le certifie Gille Apeloig : « partout où le loup a repris sa place, c'est bénéfique pour la faunefaune et pour la flore ».

    Les grands prédateurs sont indispensables aux écosystèmes

    Le loup joue un rôle crucial dans l'équilibre écologique des forêts. En régulant les populations d’ongulés sauvages, il prévient une surpopulation qui pourrait exercer une pression excessive sur les jeunes pousses d'arbresarbres. En effet, en présence de loups, les grands herbivoresherbivores sont plus vigilants, réduisent leur temps de broutage et se dispersent davantage, ce qui permet une meilleure régénération de la végétation localement. Cette dynamique ne se limite pas qu'aux loups : la présence de grands prédateurs, tels que l'ours ou le lynx, est un indicateur de la richesse biologique des écosystèmes qu'ils habitent. 

    Si les loups, et autres grands prédateurs, sont essentiels à l'équilibre écosystémique, comment expliquer la circulation d'idées fausses à leur égard ? Quel rôle jouent les médias dans la constructionconstruction de l'image d'un prédateur ? Je vous donne rendez-vous pour un dernier épisode, qui terminera cette série de la seule manière possible : déconstruire le mythe du « grand méchant loup  » pour en édifier un nouveau, à la lumièrelumière des paroles de Gilles Apeloig : « si on arrive à vivre en harmonie avec le loup, on arrivera à vivre en harmonie ensemble ». 

    * Étant donné le coût énergétique élevé d'une action de chasse, le loup ne se livre pas à cette activité pour le plaisir ou par cruauté, mais pour se nourrir. Toutefois, il arrive qu'il tue davantage que nécessaire sous certaines conditions, un phénomène connu sous le nom de « surplus killing » ou « over-killing ». Le loup choisit généralement des proies vulnérables (très jeunes, âgées, affaiblies ou malades). Lorsqu'il attaque un troupeau domestique, la concentration de nombreuses proies dans un enclos en fait des cibles idéales, empêchant le loup de sélectionner adéquatement sa proie. La panique du troupeau peut aussi exciter l'instinct de chasse du loup, le conduisant parfois à tuer plus qu'il ne lui en faut.


    ÉPISODE 4 : Le loup est-il victime de sa légende ?

    Le loup a beau être un prédateur indispensable à l'équilibre des écosystèmes, il est victime d'une légende peu favorable à sa conservation. Comment des craintes irrationnelles, souvent encouragées par les médias, peuvent-elles nuire à une coexistence apaisée ? Pour boucler notre enquête sur le loup, voici une invitation à la réflexion autour du rapport que nous entretenons avec lui.

    S'il occasionne parfois des dégâts sur des troupeaux, le loup est avant tout un grand prédateur dont les rôles écosystémiques ne sont plus à démontrer. Malgré cela, dans l'imaginaire collectif, il reste le prédateur sanguinaire par excellence. Et vous, que ressentez-vous vis-à-vis du loup ?

    Tout commence par une émotion

    Une enquête sociale publiée dans la revue People and Nature s'est intéressée aux états émotionnels exprimés en réaction à différentes situations impliquant des loups par des habitants des campagnes françaises, pour faire suite aux précédents travaux portant sur des dispositions émotionnelles, liées quant à elles à des situations décontextualisées. Les participants à l'étude pouvaient exprimer leurs émotions parmi les suivantes : l'intérêt, la peur, la joie, la colère, la surprise, la tristesse, le dégoût, à diverses intensités. À votre avis, quelle émotion a été la plus souvent ressentie ? Surprenant : la surprise ! Suivie de l'intérêt et ensuite de la peur. 

    Contrairement à ce qui est ancré dans l’imaginaire collectif, la première émotion ressentie lors de la rencontre d’un loup n’est pas la peur, bien au contraire ! © Wildpix imagery, Adobe Stock
    Contrairement à ce qui est ancré dans l’imaginaire collectif, la première émotion ressentie lors de la rencontre d’un loup n’est pas la peur, bien au contraire ! © Wildpix imagery, Adobe Stock

    Qu'est-ce que cela traduit ? D'une part, que l'on ne s'attend pas à rencontrer des loups, alors même que ces derniers sont dans une dynamique de recolonisation des campagnes françaises depuis plus de trente ans. D'autre part, ces réponses témoignent que des émotions comme la colère, ne semblent pas associées au loup en soi, mais plus à certains contextes d'interaction associés à un sentiment d'injustice, reflet des conflits humains liés à la gestion des loups. Enfin, cette étude démontre l'étroitesse du lien qui unit nos émotions et nos attitudes : la joie et la colère semblent influencer le plus fortement le jugement de valeur qui découle de l'observation d'un loup sur le territoire français. Où est la peur dans tout cela ?

    Les attaques envers l’humain, un phénomène rarissime

    Si la rencontre avec un loup suscite en premier lieu la surprise, ce n'est pas un hasard : ce sont des animaux discrets et craintifs évoluant sur de vastes territoires. Si croiser leur chemin est donc très rare, être victime d'une attaque l'est encore plus ! 

    D'après une étude menée en Europe et en Amérique du Nord entre 2002 et 2020, seulement 12 preuves d'attaques ont été recensées, dont deux furent mortelles. Les auteurs, considérant qu'il y a près de 60 000 loups en Amérique du Nord et 15 000 en Europe, et qu'ils partagent leur territoire avec des centaines de millions de personnes, ne nient pas l'existence d'un risque, mais le considèrent beaucoup trop faible pour être ne serait-ce qu'estimé. Si le loup a effectivement attaqué des humains, dans la majorité des cas, ce comportement était dû à un animal enragé - en France, aucun cas de rage n’a été recensé depuis 2001. Le loup ne considère pas les humains comme des proies. Pour autant, peut-on dire qu'il s'est habitué à leur présence sur son territoire sauvage ?

    Le loup s’est-il habitué aux humains ?

    La réponse est claire : non. Le loup se caractérise par d'importantes capacités d'adaptation à son environnement, y compris ceux marqués par la présence humaine et sa recolonisation naturelle s'étend vers des plaines habitées (voir l'épisode 2) : un phénomène qui prête à penser que la proximité avec les humains entraînerait de nouveaux comportements.

    Cependant, une étude menée par l'Office français de la biodiversité (OFB) sur 30 ans démontre l'absence d'habituation du prédateur. Les scientifiques ont analysé près de 4 000 observations, complétées d'informations relatives au contexte de l'observation, à l'attitude des loups observés face aux humains et à l'attitude de l'observateur. Résultat : dans 80 % des rencontres, le loup a fui. Seules 10 rencontres font état de réactions perçues comme agressives - liées en grande partie à un mécanisme de défense de la part du loup, suite à une provocation de l'observateur ou un effet de surprise.

    L'idée selon laquelle il aurait émergé des loups « audacieux » au fil des années est donc fausse. Les loups qui fréquentent les communautés humaines ne sont ni plus curieux, ni plus entreprenants, ni plus agressifs. Mais alors, comment expliquer que cette idée reçue, portée par des opposants au loup, soit si largement diffusée dans les médias ?

    Le loup, victime des médias

    Les médias ont une responsabilité dans la construction de l’image du loup, car ils jouent un rôle fondamental dans la construction des récits autour de la coexistence humains-faune sauvage.

    Campagne de lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports publics en Ile-de-France (2018). © RATP
    Campagne de lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports publics en Ile-de-France (2018). © RATP

    Si les enfants grandissent avec l'imaginaire d'un « grand méchant loup », celui-ci continue d'être alimenté à l'âge adulte à coups de symboles menaçants, de chiffres sortis de leur contexte ou encore des fake newsfake news diffusées sans aval scientifique sur InternetInternet. En 2018, par exemple, l'association de défense des grands prédateurs Ferus dénonçait une campagne de lutte contre le harcèlement sexuel dans les transports publics d'Ile-de-France, mettant en scène un loup : nous « ne sommes plus à l'époque où il était de bon ton de cacher le bipède assassin, violeur ou harceleur derrière le masque du loup », peut-on lire dans un communiqué

    Tous responsables de la situation

    À ce stade, vous vous demandez peut-être quel est le lien entre les émotions suscitées par un prédateur à l'échelle individuelle et l'évolution de son statut de protection au niveau législatif. Il n'est plus à démontrer que la connaissance est un vecteur d'éveil et de mobilisation, permettant d'agir avec conscience et discernement. Mais qu'en est-il de nos sens ? Nous avons vu que les émotions sont des moteurs de compréhension des attitudes et, par conséquent, des processus de décisions qui en découlent, régissant notamment la conservation des grands carnivores.

    Il n'est pas trop tard pour changer de discours sur nos rapports avec les loups... © Jean-Michel Bertrand
    Il n'est pas trop tard pour changer de discours sur nos rapports avec les loups... © Jean-Michel Bertrand

    Au regard de cette enquête, le loup est indéniablement devenu un animal politique. Mais n'oublions pas toute la poésie que le monde sauvage a également à nous raconter, en renouant avec nos sens. Dans cette démarche, je ne peux que vous conseiller les productions du photographe et réalisateur Jean-Michel Bertrand, dont le dernier film Vivre avec les loups est paru cette année. Il résume avec sagesse la situation : « Les loups sont là : on ne peut pas être pour ou contre, on doit tenter de faire un pont entre nos mondes. ». Nous avons longtemps été divisés : il est temps de cohabiter avant qu'il ne soit trop tard.


    Pour aller plus loin, toutes les références utilisées pour la rédaction de cette enquête sont accessibles ici !

    Retrouvez chaque épisode de cette enquête :

    • Épisode 1 - Peut-on vivre avec le loup ?
    • Épisode 2 - Comment vivre avec le loup : exploration d'une cohabitation délicate
    • Épisode 3 - Le Loup et l'Homme : pourquoi la coexistence est indispensable
    • Épisode 4 - La peur infondée du loup, ou comment des médias alimentent le mythe d'un animal dangereux