Sais-tu quel animal, qui ressemble à un cerf-volant géant, vole sous l’eau et possède un très gros cerveau ? Aujourd’hui, on va parler de la raie manta dans Bêtes de Science.
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J'espère que tu aimes barboter ! Aujourd'hui on enfile combinaison, palmes et bouteilles pour une virée aquatique dans les eaux tropicales. Allez, hop ! À l'eau !
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Cette étendue d'eau claire et chaude qui nous entoure est située au large de l'île de Komodo, le lieu de vie des célèbres dragons, des varans géants, dont je te parlerai peut-être un jour plus en détail. Cette île fait partie de l'Indonésie, en Asie du Sud-Est . Si je tt'ai amené·e ici, c'est pour observer d'un peu plus près un poisson vraiment pas comme les autres ! Attendons un peu, elles sont connues pour adorer ce coin...
Hé, quelque chose vient de cacher le soleilsoleil... Hé mais, regarde qui passe juste au-dessus de nous ! Une raie manta ! Manta, en espagnol, ça veut dire couverture, et c'est vrai qu'il y a un peu de ça quand on la voit se déplacer.
Ses grandes ailes déployées au-dessus de nos têtes cachent les rayons lumineux qui transpercent la surface. On dirait un cerf-volant géant avec ses deux grandes nageoires et sa tête plate. Sa longue queue très fine évoque la ficelle qui sert à le guider dans le vent. Ou plutôt sous l'eau ! Au fait, rassure-toi, contrairement à ses cousines raies, sa queue n'est pas équipée d'un aiguillon venimeuxvenimeux. Rien à craindre.
Approchons-nous un peu d'elle, mais, touuuut doucement. Pas question de la gêner ou de lui faire peur. Tu as vu la taille qu'elle fait ?! Les raies manta sont les plus grandes raies connues à ce jour. On peut évaluer son âge selon ses dimensions. Plus elle a une grande envergure et plus elle est âgée. À vue de neznez, je dirais qu'elle mesure bien... 5 mètres d'un bout à l'autre de ses nageoires ! C'est plus ou moins la hauteur d'une maison de deux étages ! Et ne crois pas que ce soit si exceptionnel : cinq mètres, c'est la taille moyenne chez cette espèce ! Comme les femelles sont sensiblement plus grandes que les mâles, je te parierais que notre amie est une femelle.
De mystérieuses géantes, cousines des requins
On distingue deux espèces de raies mantas à l'heure actuelle. Mobula birostris, la raie manta océanique, qui vit plutôt en pleine mer et Mobula alfredi, la raie manta de récifs, qui reste plutôt, comme son nom l'indique, près des côtes. On trouve des raies manta un peu partout autour du globe, du moment que les océans y sont chauds ou au moins tempérés, de la Californie à l'Équateur, en passant par l'Afrique du Sud, les Açores, le Japon, ou l'Australie. Ce sont de grandes voyageuses, mais elles reviennent tout de même régulièrement dans certaines zones où elles se sentent bien et ont leurs petites habitudes. On peut ainsi les voir naviguer de leurs restaurants préférés aux stations de nettoyages, où de petits poissons nettoyeurs, comme les labreslabres, les débarrassent de leurs parasitesparasites.
On a de la chance, notre visiteuse nous donne des clés pour mieux l'identifier. Viens avec moi, on va essayer de passer au-dessus d'elle pour mieux voir son dosdos ! Tu as vu ? Elle est toute noir sur le dessus, avec du blanc sur le cou et au bout des ailes, alors que son ventre est tout clair. Et regarde le beau T noir sur sa nuque ! C'est un dessin caractéristique chez les raies mantas océaniques. Mais attention, d'un individu à l'autre, les dessins et les couleurscouleurs de peau varient. C'est pratique pour les reconnaître mais ça rend parfois difficile la distinction entre les deux espèces.
Oh, elle tourne la tête vers nous. Ce que tu vois sur les côtés, ce sont ses yeux ! Et tu as vu ce qu'elle a devant la tête ? Ces espèces de cornes souples, qui viennent encadrer sa bouche ? En fait, ce sont des nageoires modifiées qui l'aident à guider la nourriture vers sa bouche. Les humains y voient des cornes et surnomment pour cela certaines raies des diables de mer ! Elles n'ont pourtant rien d'effrayant... Alors que nous battons des palmes pour rester à son niveau, notre raie semble se déplacer presque sans aucun effort. On dirait vraiment qu'elle vole comme un oiseauoiseau sous l'eau. Elle abaisse et relève ses nageoires, de part et d'autre de son corps. C'est si beau de la voir glisser ainsi parmi les flots !
Même si la ressemblance n'est pas frappante, la raie manta fait partie d'une famille d'animaux que l'on redoute, à tort. C'est une cousine... des requins ! Tiens,, on va jeter un œilœil sous son ventre. Tu vois les fentes alignées par 5, de chaque côté ? Ce sont ses branchiesbranchies, qui lui permettent de respirer sous l'eau, et si tu les regardes attentivement, tu verras qu'elles ressemblent beaucoup à celles des requins. Les raies partagent d'autres points communs avec leurs cousins. Regarde la surface de sa peau : elle n'a pas d'écailles, comme le poisson-archer que je t'ai déjà présenté. Et, même si on ne va pas aller la toucher, tu peux me croire sur parole : la caresser est une très mauvaise idée ! Bien qu'elle paraisse lisse, la peau des raies et des requins est recouverte de structures très dures, faisant un peu penser à de toutes petites dents, qui leur permettent de glisser dans l'eau à toute vitessevitesse. C'est très pratique, mais pas très doux pour les gratouilles ! Enfin, contrairement aux autres poissons, leur squelette est fait de cartilagecartilage, bien plus léger que les os. Ça n'en fait pas pour autant des poids plumes : les plus grandes raies mantas peuvent peser plus d'une tonne, le poids d'une voiturevoiture !
Avec un peu de chance, notre amie va se mettre en chasse pour son dîner, suivons-la ! Les courants marins et les maréesmarées rassemblent le planctonplancton dans la même zone. Les raies n'ont alors plus qu' à foncer dessus, la bouche grande ouverte. D'ailleurs, tu as vu ses dents ? Rien à voir avec celles pointues et aiguisées des requins. En guise de quenottes, notre raie ne possède qu'une sorte de plaque râpeuse sur la partie inférieure de sa bouche pour broyer sa nourriture. Même si elle mange surtout de tout petits animaux, qu'elle n'a pas besoin de mâcher, elle ne reste pas tout le temps à filtrer le plancton en surface contrairement à ce que l'on a longtemps cru . Elle peut aussi chasser dans les fonds marins et avaler des petits poissons.
Tiens, regarde-la filer ! En quelques mouvementsmouvements lents de nageoires, elle plonge sous notre nez et disparaît dans les profondeurs en quelques secondes. Remontons !
Une vie au ralenti menacée par les activités humaines
Leur vitesse et leur taille protègent les raies mantas de la plupart des prédateurs. Elles ne craignent pas grand-monde, à part les orquesorques, de très gros requins... et nous. Pêchées pour leur viande, pour alimenter les marchés de médecine traditionnellemédecine traditionnelle, mais aussi piégées accidentellement dans les filets, la population de raies mantas a chuté de manière très préoccupante ces dernières décennies. Même si elles sont protégées à certains endroits bien précis, comme ici en Indonésie, leur pêchepêche n'est pas encore interdite partout. Mais des études récentes ont montré que le tourisme pourrait représenter une piste de salut. En effet, nombreux sont les gens prêts à payer pour plonger avec les raies mantas. Une raie manta vivante rapporte donc beaucoup plus d'argentargent que lorsqu'elle est morte ! Je te l'accorde, c'est une façon un peu déprimante de voir les choses, mais au moins, ça peut lui garantir un peu de répit. Même si la plongée touristique doit être encadrée pour ne pas stresser les animaux, cette pratique donne un peu d'espoir pour protéger ces nageuses majestueuses !
Malgré leur taille impressionnante et le fait qu'elles naviguent au quatre coins du globe, on sait finalement assez peu de chose sur la vie des raies mantas aujourd'hui. On les a longtemps pensées solitaires, mais il semblerait bien que les femelles et les jeunes se réunissent en groupe, qui se font et se défont au gré de leurs activités. Par exemple, tous les individus se rassemblent pour manger, comme le font les dauphins, les éléphants, les chimpanzéschimpanzés et les perroquets ! Et tout comme eux, les raies mantas vivent longtemps. Plus de 20 ans pour sûr, mais peut-être beaucoup plus !
Si les pêcher est une si mauvaise idée, c'est parce qu'elles vivent au ralenti ! Les raies mettent des années à devenir matures. Elles se reproduisent également très lentement. Une maman raie met environ un an à accoucher d'un seul petit. Parfois deux. Car oui, les raies mantas accouchent ! L'œuf éclot dans le ventre de sa mère, et le bébé sort tout prêt, comme chez les mammifèresmammifères. On dit qu'elles sont ovoviviparesovovivipares. Et tu t'en doutes, avec une gestationgestation d'un an, une femelle raie ne fait pas beaucoup de petits dans sa vie. On pense qu'elles se reproduisent tous les 2 à 3 ans. Alors, si on les pêche en nombre, plus vite qu'il n'en naît, la population n'a pas le temps de se reconstituer !
Tous ces éléments, le fait de vivre vieux, de grandir lentement, de rejoindre des groupes d'individus qui bougent sans cesse, sont communs aux animaux que l'on qualifie d'intelligents. Notre raie manta fait bien partie du club ! Par rapport à sa taille, son cerveaucerveau est bien plus gros que ce que l'on pouvait imaginer, et c'est le plus lourd de tous les cerveaux de poissons connus à ce jour ! Mais malheureusement, il est très difficile de leur proposer des problèmes à résoudre pour tester leur mémoire ou leur inventivité. Pas facile de les suivre quotidiennement sous l'eau et de les habituer à la présence rapprochée de scientifiques trop curieux. Quant à leur faire porter des objets ou bricoler des outils, ça risque d'être un peu compliqué...
Des raies sensibles à leur reflet
Malgré tout, en 2016, Csilla Ari et Dominic P. D'agostino ont interrogé deux raies mantas qui vivent en captivité dans un aquarium aux Bahamas, sur leur manière de percevoir leur reflet. Pour cela, ils ont installé dans leur bassin... un miroirmiroir ! Après une période où les animaux s'habituent à la présence de l'objet mais aussi d'un panneau blanc de la même taille, qui ne renvoie pas d'images, on observe leur réaction. Déjà expérimenté chez plein d'animaux, des chimpanzés aux éléphants en passant par les pies, ce test permet habituellement d'observer au bout de quelques jours ce que l'on appelle des comportements auto-centrés. Centrés sur soi. Certains animaux, pas tous, finissent par utiliser le miroir pour s'observer. Les grands singes et les éléphants aiment beaucoup regarder l'intérieur de leur bouche, par exemple !
Cette phase fait partie d'une expérience très populaire appelée « test du miroir », mais qui est aussi controversée parmi les chercheurs. En effet, elle avantage les animaux qui utilisent principalement leur vue. Les chienschiens par exemple, n'ont pas des résultats aussi impressionnants, car leur monde est surtout basé sur les odeurs. Les gorillesgorilles, eux, ne le réussissent pas non plus, car regarder un autre gorille dans les yeux est très insultant, alors ils ne risquent pas de fixer leur reflet ! Seule une gorille élevée par des êtres humains, qui n'avaient pas les codes sociaux des gorilles sauvages, l'a passé avec succès ! Tu devines de qui il s'agit ? Oui, c'est l'affectueuse Koko, dont Marie t'avait déjà parlé dans Bêtes de Science. Ainsi, même s'il fonctionne très bien chez les humains, le test du miroir n'est pas une expérience que l'on peut généraliser avec tous les autres animaux !
Alors, que penses-tu que nos raies mantas aient fait de leur côté, face au miroir ? Et bien, les deux raies ont passé beaucoup plus de temps dans la zone de l'aquarium dédiée à l'expérience quand le miroir était présent. Elles ont bougé leurs cornes à l'avant de la tête, et ont fait des mouvements répétés, en cercle, près du miroir. Les scientifiques ont même vu l'une des raies tourner son ventre vers le miroir, une zone de son corps qu'elle ne peut pas voir en temps normal. Même si seulement deux animaux ont été étudiés, en aquarium, et qu'il est difficile de conclure avec si peu d'informations, il semblerait bien que les raies se soient intéressées à leur reflet. Ce que l'on était bien loin d'imaginer ! Affaire à suivre...