Ces insectes nuisibles perturbent notre tranquillité, font peser sur nous la menace d'une crise sanitaire (incarnée notamment par le moustique tigre) mais aussi d'un anéantissement des palmiers méditerranéens – le charançon rouge se reconnaîtra dans cette description. Pour comprendre les rouages de la lutte engagée contre eux, Futura a interrogé Fabien Walicki, responsable du service de Lutte Contre les Nuisibles (LCN) pour la Communauté d'agglomération Var-Esterel-Méditerranée (Cavem).
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Les beaux jours reviennent. Beaucoup attendent avec impatience les vacances pour descendre dans le Sud, profiter des plages et de la vue des palmiers, en admettant que ceux-ci aient toujours fière allure malgré l'invasion de charançons ravageurs. Certains d'entre nous tremblent déjà à l'idée de se faire dévorer par les moustiques cet été. D'autres, en ce début de printemps, sont surtout préoccupés par d'inquiétants défilés de chenilles processionnaires pour lesquelles l'heure est venue de descendre des arbres et de s'enfouir dans le sol. Le rapport entre tout cela ? Les nuisibles.
Qu'ils menacent la santé publique, impactent l'économie et le tourisme, détruisent un patrimoine culturel ou qu'ils soient sources d'inconfort dans la vie de tous les jours, les moustiques, les chenilles processionnaires et les charançons ont tous une raison d'être craints ou détestés. Pour mesurer l'ampleur des nuisancesnuisances occasionnées et les actions de lutte qu'elles imposent, Futura a rencontré Fabien Walicki, responsable du service de Lutte Contre les Nuisibles (LCN) au Pôle Environnement Développement Durable et Désinsectisation (E3D) de la Communauté d'Agglomération Var-Esterel-Méditerranée (Cavem). Prévenir le déclenchement d'épidémiesépidémies ou empêcher une hécatombe de palmiers font partie des enjeux qui motivent cette lutte, sur ce territoire du littoral méditerranéen concerné par les trois fléaux cités précédemment.
Le saviez-vous ?
La Communauté d’Agglomération Var-Esterel-Méditerranée (Cavem) regroupe cinq communes varoises : Les Adrets-de-l’Esterel, Fréjus, Puget-sur-Argens, Roquebrune-sur-Argens et Saint-Raphaël.
Le moustique tigre, un risque de crise sanitaire
Problème récurrent tous les étés, les moustiques, qui se plaisent dans les zones marécageuses, les fossés, ou encore dans les piscines laissées à l'abandon, gênent les particuliers dans les campings, les jardins ou les terrassesterrasses. En raison des nuisances et des risques sanitaires qu'il représente en tant que vecteur de maladies épidémiques, telles que le chikungunyachikungunya ou ZikaZika, l'arrivée du moustique tigre (Aedes albopictusAedes albopictus) en particulier a été l'élément déclencheur de la création en 2011 du Service Intercommunal de Démoustication (SID), devenu depuis LCN. Cette espèce invasiveespèce invasive originaire d'Asie du Sud-Est est entrée en France en 2004, puis sur le territoire de la Cavem vers 2007-2008.
« Ces dernières années, neuf fois sur dix, lorsque les particuliers se plaignent de nuisances dues aux moustiques, le tigre est impliqué » nous informe Fabien Walicki. Dans 70 % des cas, ils viennent des jardins. » Par négligence ou manque de volonté, trop de gens oublient encore d'entretenir ou de se débarrasser des équipements et des récipients où l'eau peut stagner, y compris des nids à moustiques aussi évidents que les soucoupes de pots de fleurs. Le service LCN consacre donc une bonne partie de son temps à la sensibilisation et à la pédagogie. Depuis 2011, 22.000 villas ont été visitées dans ce but sur le périmètre de 350 km2 couvert par la Cavem. Des gestes simples permettent d'éviter les traitements par insecticideinsecticide, quand bien même celui-ci est biologique.
En parallèle, le service LCN contrôle chaque année 2.050 gîtes larvaires susceptibles d'accueillir des moustiques, identifiés à travers le territoire, qui comprennent les zones marécageuses, les avaloirs d'eau de pluie, les chambres de télécommunication, les pompes de refoulement, ou encore les bassins de rétention. La grande majorité des traitements utilise un insecticide BTBT, basé sur le très réputé bacillebacille de Thuringe (Bacillus thuringiensisBacillus thuringiensis), et se fait, si nécessaire, de manière préventive.
“Le moustique tigre est sain en France”
« Sur notre territoire, le moustique tigre est sain », insiste Fabien Walicki. Le risque d'épidémie provient de ce qu'une personne malade puisse se faire piquer, contaminant les moustiques, qui à leur tour transmettent la maladie à l'Homme. Pour réduire les chances que cela ne se produise, « nous intervenons pour diminuer autant que possible les densités de moustiques. »
La chenille processionnaire, une menace pour nos enfants et nos animaux
Reconnaissables aux nids qu'elles tissent dans les arbres et à leur façon de marcher en file indienne, les chenilles processionnaires du pin (Thaumetopoea pityocampa) représentent également un risque sanitaire, mais plus localisé que les moustiques. Elles peuvent projeter leurs poils urticantsurticants dans les airsairs et provoquer des démangeaisonsdémangeaisons, des œdèmesœdèmes et des lésions oculairesoculaires chez les enfants imprudents, et une nécrose de la langue chez les chienschiens trop curieux.
La lutte contre ces nuisibles s'échelonne sur toute l'année, en commençant par un traitement préventif des pins en automneautomne au moyen d'un insecticide biologique BT. Le service LCN pulvérisait auparavant le produit par hélicoptèrehélicoptère, ce qui avait l'avantage de couvrir de grandes surfaces, mais ne peut plus se faire en zone urbaine depuis 2013. Les agents interviennent donc, aujourd'hui, depuis le sol en se servant de canons pour asperger les arbres, afin de pouvoir cibler environ 160 sites sensibles que sont les écoles, les crèches, les parcs et autres espaces publics, recensés par le LCN. Ces traitements préventifs font qu'on ne dénombre que « 30 à 50 signalements de nids chaque année », nous révèle Fabien Walicki.
En hiverhiver, les chenilles s'abritent dans des nids au sommet des pins et n'en sortent la nuit que pour dévorer les aiguilles. Deux approches sont possibles lorsqu'on en repère. La première, l'échenillage, consiste à couper les nids à l'aide d'un échenilloir (sécateur monté sur une perche), s'ils sont à portée. Dans le cas contraire, on installe des écopièges (poches remplies de terreterre) sur le tronc des arbres, pour capturer les chenilles lorsqu'elles en descendent au printemps pour aller s'enfouir dans le sol et se transformer en chrysalidechrysalide.
Les chenilles referont surface sous forme de papillons en été pour se reproduire. Pendant cette saisonsaison, la lutte se fait en diffusant des phéromonesphéromones, qui perturbent les papillons et les empêchent de s'accoupler. Le service LCN utilise pour cela des « phéroball », phéromones encapsulées dans une bille biodégradablebiodégradable tirée sur les arbres avec un fusil, comme au paintball. « Avec cette technique, il faut deux ou trois ans pour éliminer complètement [les chenilles] », explique Fabien Walicki, qui précise qu'elles ont tout de même leur rôle dans l'écosystème, par exemple comme nourriture pour les mésanges, insensibles aux poils urticants. L'installation de nichoirs à mésanges est un moyen de lutte naturel « qu'on aimerait essayer de développer » sur le territoire de la Cavem, indique-t-il.
Le charançon rouge ravageur des palmiers
Pas de crise sanitairecrise sanitaire en vue avec ce troisième nuisible. Il a pourtant aussi la puissance d'une épidémie, certes pas pour l'Homme, mais pour les palmiers. Originaire d'Asie du Sud-Est, où il décime les cocotiers, le charançon rouge du palmier (Rhynchophorus ferrugineus) a été introduit dans le bassin méditerranéen dès les années 1980. Profitant du commerce des palmiers par bateau, il a peu à peu envahi toute la région, y compris le sud de la France. La Région Sud (ex-Paca) est infestée depuis 2006. Ses larveslarves détruisent les palmiers de l'intérieur en creusant des galeries et en entraînant leur pourrissement par les bactériesbactéries et les champignonschampignons qu'elles véhiculent.
“Un coléoptère invasif”
La lutte contre cette espèce de coléoptèrecoléoptère exotiqueexotique et invasive est obligatoire en France depuis 2010, dans un objectif d'éradication, qui seule pourra sauver les palmiers de Méditerranée, un « patrimoine végétal très important, même s'ils ont été importés », affirme Fabien Walicki. Il s'attaque principalement à deux espèces de palmiers du genre PhoenixPhoenix : le dattier (Phoenix dactylifera) et le palmier des Canaries (Phoenix canariensis), ce dernier étant le plus vulnérable. Notons que paradoxalement, les charançons sont en pratique les pollinisateurs des palmiers, cependant, chaque espèce est spécifique à une espèce de palmier. Le charançon rouge n'étant pas ici dans son milieu naturel et n'ayant pas sa place au sein des palmiers Phoenix, il est devenu dangereux pour eux.
« Le problème principal est que les charançons peuvent se diffuser sur sept à dix kilomètres à partir d'un palmier infesté », explique Fabien Walicki. Par comparaison, « le moustique tigre a un rayon d'action de seulement cent mètres autour de son nid ». Seules les Îles Canaries ont réussi à se débarrasser des charançons, car l'archipelarchipel est suffisamment éloigné des côtes pour ne pas être contaminé par les airs. La menace subsiste toutefois car elle vient également de l'importation de palmiers potentiellement infestés.
En France, le territoire de la Cavem a été le premier à lancer, en 2016, un plan d'action d'urgence contre l'invasion des charançons rouges, nommé Arecap, pour Action en Réseau pour l'Éradication du Charançon Rouge et l'AssainissementAssainissement des Palmiers. « On s'est positionné comme un territoire de démonstration scientifique », précise Fabien Walicki. Le principe est de prouver qu'un traitement rapide et en massemasse des palmiers situés sur le domaine public et chez les particuliers, avec un objectif de 75 % de palmiers traités d'ici 2021, peut conduire à l'éradication des charançons, comme le démontre une étude de Michel Ferry, expert de la FAOFAO et directeur de la station d'expérimentation de la palmeraie d'Elche en Espagne. D'autres territoires pourraient suivre le même modèle, si cette stratégie tient ses promesses.
La lutte se fait de façon préventive en injectant une fois par an, idéalement au printemps, 50 ml d'insecticide chimique, le benzoate d'émamectine, dans les troncs des palmiers. Des études ont démontré que « le produit reste confiné au palmier, ne part pas dans l'air ni dans les racines et ne présente aucun risque pour les abeilles », qui ne sont pas les pollinisateurs des palmiers Phoenix. Le traitement, très coûteux, est proposé à un tarif incitatif par le plan Arecap pour qu'un maximum de propriétaires de palmiers s'engage dans la lutte. Les palmiers déjà contaminés, repérables à des découpes dans les feuilles ou encore à des chutes inexpliquées de palmes vertes, et traités à temps peuvent être assainis. Dans le pire des cas, ils sont abattus.
Sur les quelque 15.000 palmiers présents sur le territoire, 5.300 (dont 3.500 sont des palmiers des Canaries) sont pris en charge dans le cadre du plan Arecap, ce qui correspond à environ 2.700 propriétaires. « On essaye actuellement d'établir un suivi des palmiers traités hors Arecap par des entreprises privées, déclare Fabien Walicki, mais on s'approche de l'objectif de traitement massif fixé. » La Cavem estime ainsi que 65 % des palmiers sont traités par ou hors Arecap.
En complément des injections d'insecticide au cœur des palmiers, le service LCN a aussi déployé 550 pièges à charançons, qui attirent ces insectesinsectes en diffusant une phéromone d'agrégation. Ils sont effectifs entre mars et fin novembre, car ces coléoptères ne volent pas en hiver et plus généralement lorsque les températures sont inférieures à 18 °C. En 2018, ce sont 26.000 charançons qui ont été capturés en l'espace de cinq mois par cette méthode.
Une fois que la lutte massive aura réduit drastiquement la population de charançons rouges sur le territoire, le service LCN compte ensuite passer à un traitement biologique ciblé sur des palmiers susceptibles d'abriter des charançons. L'utilisation de produits chimiques nocifs, même si des études certifient qu'ils ne polluent ni le sol ni l'air et que les palmiers s'en remettent, reste critiquée. La ville de Nice, par exemple, a choisi d'emblée des produits biologiques et essaye également de remplacer les palmiers des Canaries par des espèces moins vulnérables.
Une lutte collective
Pour tous ces nuisibles, et peut-être plus encore pour les charançons tueurs de palmiers, « la clé du succès, c'est la participation de tous », conclut Fabien Walicki, avant de rappeler qu'ils ont tous un impact de près ou de loin sur la population. Les moustiques engendrent des nuisances au quotidien et sont le spectrespectre d'une crise sanitaire. Les chenilles processionnaires donnent des sueurs froides aux parents et aux propriétaires d'animaux. Les palmiers ont une importance esthétique, touristique et financière, puisqu'ils peuvent valoir plusieurs milliers d'euros et décorent de vieilles villas classées.
“L'Homme à l’origine du problème”
Or, « si on ne fait rien, il n'y [en] aura plus dans quelques années, prévient-il. Dans tous les cas, l'Homme est à l'origine directe du problème », sauf pour les chenilles processionnaires, originaires du bassin méditerranéen. Les moustiques tigres comme les charançons rouges sont arrivés d'Asie suite à des échanges commerciaux. Pour lutter contre eux, « c'est la combinaison des méthodes [traitement, piégeage, sensibilisation des citoyens, etc.] qui permet d'obtenir les meilleurs résultats. »
Ce qu’il faut
retenir
- Les moustiques occasionnent des nuisances au quotidien. Le moustique tigre, en particulier, fait planer le risque d'une crise sanitaire, bien qu'il soit sain sur notre territoire, car c'est un vecteur potentiel de maladies.
- Les chenilles processionnaires du pin fragilisent ces arbres et le contact avec leurs poils urticants est dangereux pour l'Homme et les animaux.
- Les charançons rouges infestent les palmiers du bassin méditerranéen et menacent de décimer cet important patrimoine végétal et touristique.
- Le territoire de la Communauté d'agglomération Var-Esterel-Méditerranée (Cavem), concerné par ces trois nuisibles, a mis en place des plans de lutte, qui se veulent préventifs et respectueux de l'environnement.