Une équipe internationale a découvert que certaines odeurs florales ont la capacité surprenante de diminuer l’agressivité des abeilles malgré des intrusions qui déclenchent une phéromone d’alarme. Les résultats de ces expériences ouvrent des perspectives importantes pour l’apiculture.

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    La relation entre Hommes et abeilles est très ancienne, comme l'illustrent des peintures rupestres âgées de 15.000 ans montrant des figures humaines collectant du miel. Cette relation privilégiée a toujours eu un côté douloureux : les abeilles n'apprécient pas que le fruit de leur travail, le miel si ardûment produit tout au long du printemps et de l'été, leur soit volé par quiconque, y compris l'Homme. Elles répondent par des attaques et des piqûres qui peuvent mettre en danger la vie de l'intrus.

    Les abeilles ont toujours exercé une véritable fascination sur les humains de par leur organisation sociale complexe et leurs systèmes de communication sophistiqués. Une des tâches les plus importantes au sein de cette organisation est justement la défense de la colonie assurée par des gardiennes postées à l'entrée de la ruche. Ces individus ont la responsabilité de détecter et de signaler les potentielles menaces pour la colonie. Pour ce faire, elles exposent leur dard et, en battant des ailes, dispersent une phéromonephéromone d'alarme, une substance chimique qui déclenche l'attaque des congénères envers l'intrus.

    Reproduction d’une peinture rupestre de récolte de miel, datée entre 8.000 et 6.000 av. J.-C., des grottes de la Araña (« de l’Araignée »), proches de Bicorp en Espagne. © Wikipedia, GNU

    Reproduction d’une peinture rupestre de récolte de miel, datée entre 8.000 et 6.000 av. J.-C., des grottes de la Araña (« de l’Araignée »), proches de Bicorp en Espagne. © Wikipedia, GNU

    Mélanger les odeurs n’empêche pas les abeilles de détecter la phéromone d’alarme

    Afin d'étudier l'agressivité des abeilles dans l'environnement contrôlé du laboratoire, Morgane Nouvian, étudiante en thèse en cotutelle entre l'université de Toulouse et celle du Queensland, a mis au point un nouveau test dans lequel deux individus sont placés dans une petite arènearène circulaire et confrontés à un leurre en mouvementmouvement qui déclenche le comportement d'agression. Des odeurs peuvent aussi y être libérées, permettant ainsi aux chercheurs d'étudier leur influence sur l'agressivité des abeilles.

    Comme on pouvait s'y attendre, beaucoup plus d'abeilles piquent le leurre lorsque la phéromone d'alarme est libérée dans l'arène. À l'inverse, les odeurs florales présentées en l'absence de phéromone d'alarme n'ont aucun effet. Cependant, en présence simultanée de certaines odeurs florales et de la phéromone d'alarme, les abeilles ne répondent plus au leurre de manière agressive, ces odeurs bloquent donc l'effet de la phéromone.

    Afin d'écarter la possibilité que ces odeurs florales masquent simplement l'odeur de la phéromone, c'est-à-dire que celle-ci ne soit plus perceptible dans le mélange d'odeurs, les scientifiques ont entraîné des abeilles à associer le mélange de phéromone d'alarme et d'odeur florale calmante avec du sucresucre. Ils ont constaté qu'après avoir appris ce mélange, les abeilles étaient parfaitement capables de répondre à la phéromone seule, cette fois en étirant leur proboscis (langue) dans l'attente du sucre. De cette manière, ils ont montré que le fait de mélanger les odeurs n'altère pas la capacité des abeilles à détecter la phéromone d'alarme.

    Les abeilles françaises et australiennes ont réagi de la même façon aux odeurs calmantes malgré leurs environnements très différents. © courtoisie de David Vogel (CRCA)

    Les abeilles françaises et australiennes ont réagi de la même façon aux odeurs calmantes malgré leurs environnements très différents. © courtoisie de David Vogel (CRCA)

    Les signaux contradictoires diminuent l’agressivité

    Afin de comprendre pourquoi les abeilles perdent leur agressivité lorsqu'elles sentent les odeurs florales calmantes, l'équipe de Martin Giurfa du Centre de recherches sur la cognitioncognition animale (CRCA - CNRS/université Toulouse III - Paul Sabatier) en collaboration avec des chercheurs australiens des universités du Queensland et Monash a exposé des abeilles nouveau-nées à ces odeurs et a découvert qu'elles provoquaient des réponses alimentaires même si les abeilles testées n'avaient jamais été exposées à ces odeurs. De plus, les abeilles françaises et australiennes ont réagi de la même façon aux odeurs calmantes malgré leurs environnements très différents.

    Ainsi, les odeurs calmantes agissent probablement comme des signaux innés indiquant la présence de nourriture. En conséquence, lorsque l'odeur florale appétitive et la phéromone d'alarme sont présentées ensemble aux abeilles, ces insectes reçoivent deux signaux contradictoires : l'un qui indique la présence de nourriture à proximité et l'autre qui, à l'inverse, les alerte d'une potentielle menace. Ce conflit provoque une diminution de l'agressivité chez les abeilles, montrant ainsi que le signal alimentaire détourne les abeilles des réponses défensives.

    Les chercheurs ont vu dans ce résultat un potentiel important pour gérer efficacement les colonies d'abeilles agressives. Ils ont donc adapté leur test à des situations de terrain où ils ont travaillé avec des ruches entières. Après avoir placé à l'entrée de la ruche un compartiment permettant de délivrer les différentes odeurs, ils ont mesuré l'agressivité des abeilles lorsqu'un drapeau était agité devant la ruche, ce qui déclenche l'agressivité des gardiennes. Ils ont de nouveau trouvé, cette fois au niveau de la colonie, que les odeurs calmantes diminuent significativement les attaques des abeilles sur le drapeau. Cette dernière expérience confirme ainsi leurs résultats, publiés dans la revue Nature Communications, et ouvre des perspectives importantes concernant leur possible applicationapplication à l'apiculture.