L’île aux cochons. En voilà un drôle de nom pour une île. Surtout quand on sait qu'elle est perdue au milieu de nulle part. Aux portes de l’Antarctique. Et que ce qui a rendu cette île célèbre, c’est une bande de manchots royaux. Pas n’importe laquelle. La plus grande colonie au monde. Mais ça, c’était avant. Avant que quelque chose ne vienne les décimer. Alors même que cela faisait presque 40 ans qu’aucun homme n’y avait posé le pied, Michel Izard y est allé. Avec une équipe de scientifiques. Le grand reporter nous livre ses impressions. Mais pas les clés du mystère…
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Un endroit à l'écart de tout. Une nature dans son état le plus sauvage. Effervescente et sereine. Une sorte de paradis sur Terre. Ça semble difficile à concevoir. À imaginer, même, dans notre société de l'artificiel. Pourtant, cet endroit existe. Cet endroit, c'est une île. Une île connue aujourd'hui de tous sous le nom de l'île aux cochons. Une île mythique. Une île qui a su rester cachée des hommes pendant presque 40 ans. Dans les brumes du sud de l'océan Indien, aux portesportes en l'Antarctique.
« Je préparais un reportage dans les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF). Je devais partir à la rencontre de ceux qui travaillent là et de ceux qui les relient à notre monde. Et, j'ai appris qu'une expédition spéciale s'apprêtait à débarquer des scientifiques sur l'île aux cochons », nous raconte Michel IzardMichel Izard. « L'île allait sortir de son isolement. Nous ne pouvions pas laisser une poignée de chercheurs en rester les seuls témoins. Nous devions les accompagner. » Raconter cette histoire extraordinaire. C'était ce que le grand reporter avait en tête. Sans se douter réellement qu'il s'apprêtait à vivre une aventure à nulle autre pareille.
Parce que Michel Izard en a vu du pays. L'Antarctique, il connaît. Mais « l'île aux cochons ne ressemble vraiment à rien d'autre. C'était un peu comme si nous étions sur un autre monde », nous confie-t-il. Sur un autre monde et dans un autre temps, pourrait-on presque dire.
Sur cette île prospérait, il n'y a pas si longtemps, la plus grande colonie de manchots royaux au monde. Plus d'un million d'individus. Mais il faut bien dire « qui prospérait ». Parce qu'en 2018, des images satellites ont révélé une douloureuse vérité. La disparition de 90 % d'entre eux. Et c'est pour ça que des scientifiques ont décidé d'y retourner. Près de 40 ans après la dernière visite humaine. Pour comprendre la cause de ce déclin brutal.
Les poussins manchots royaux que l’on découvre ici, encore recouverts de leur duvet, sont plutôt curieux. « Ils venaient nous picorer les pieds, se souvient Michal Izard. Peut-être parce qu’ils nous prenaient pour leurs parents. » Car il faut savoir que les manchots n’ont pas une bonne vue. Ils se reconnaissent par leurs cris. © Michel Izard et Bertrand Lachat TF1, tous droits réservés
L'île aux cochons, au cœur de nulle part
« Imaginez la chance que nous avons eue. Des chercheurs ont rêvé de l'île aux cochons toute leur vie. Charly Bost est ornithologue. En 1982, il était sur le Marion Dufresne lorsque le navire ravitailleur des TAAF a déposé les derniers scientifiques à s'y être aventurés. Et pendant 37 ans, Charly est retourné chaque année dans l'archipel Crozet. Sans plus jamais revoir l'île, laissée depuis à l'écart de la route du Marion Dufresne. Là, il se préparait à y poser le pied pour la première fois... et sans doute aussi la dernière. Les émotions que nous avons partagées avec lui sont indescriptibles », nous raconte Michel Izard.
« Un peu comme l'est le sentiment que j'ai eu lorsqu'après six jours de mer, six jours d'une attente de plus en plus intenable, nous avons enfin ralenti. Nous savions qu'elle était là. Mais devant nous, il n'y avait que de la brume. L'île aux cochons était fidèle à sa réputation. C'est ce que je me disais quand le voile s'est finalement déchiré. Révélant ce morceau de terre perdu au milieu de nulle part. L'espace d'un instant, je me suis retrouvé transporté en 1772. Je n'étais plus à bord du Marion Dufresne. Mais sur le bateau de l’explorateur qui lui a donné son nom. Dans la peau de ces navigateursnavigateurs d'autrefois. Qui, eux aussi, avaient vu surgir de la brume, une île aussi mystérieuse qu'attirante. »
Une aventure dans un autre temps que seuls les mots pouvaient espérer réussir à raconter. « Finalement, c'est pour ça que j'ai écrit "Le mystère de l'île aux cochons" (éditions Paulsen). » Pour faire sentir « la force de l'histoire des lieux ». Faire sentir à quel point cette île à l'écart de tout nous connecte au temps. En contact avec ceux qui se sont échoués là par le passé. Passant des semaines, parfois des mois, à réapprendre à vivre dans la nature. En contact avec ceux qui ont tenté de dompter cette île mystérieuse.
Mais aussi en contact avec l'urgence. « Nous n'avions que cinq jours à passer sur place. C'était peu de temps laissé aux scientifiques pour mener leurs investigations. » Peu de temps pour percer le mystère de l'île aux cochons. Mais pourtant tellement de temps dans cet universunivers apaisé. Cet univers où l'on ne connaît pas le danger. « Les albatros, les éléphants de mer, les manchots ne viennent sur l'île aux cochons que pour se reproduire ou pour muer. Ils ne se font pas concurrence. Ils n'ont pas de prédateur. » Leur vie est belle. Sans soucis. Et ce ne sont pas quelques hommes qui vont les déranger. « Mon regard anthropomorphique dirait qu'ils nous ont bien accueillis. Ils nous ont permis de nous immerger immédiatement et complètement dans leur vie. Mais si je suis honnête, je dois dire que je me suis surtout senti comme un intrus parmi eux. Comme si finalement, notre présence passait, pour eux, totalement inaperçue. »
Sur l’île aux cochons, les animaux sont indifférents à la présence des hommes. La plupart du temps. Comme le prouve cet éléphant de mer. Surprise ou mécontentement ? Difficile de trancher. Mais il semble certain qu’il a bien repéré un intrus. © Michel Izard et Bertrand Lachat TF1, tous droits réservés
Le mystère de l'île aux cochons
Voilà pour « l'autre temps ». Pour ce qui est de « l'autre monde », il est peut-être plus facile à entrapercevoir, à toucher du doigt. C'est le cas de le dire. « À l'abord de l'île aux cochons, c'est d'abord la vue qui est mise en alerte. Cette terre volcanique, cet immense rocher nu qui sort de la brume. Puis il y a le bruit. Celui du vent qui souffle sans cesse. Celui de l'herbe qu'écrasent nos pas. Celui des vaguesvagues qui se fracassent sur les rochers. Celui des manchots, bien sûr. Des manchots qui crient pour se retrouver. Et à proximité de la manchotière, il y a les odeurs. Des odeurs animales. Des odeurs de déjections. Sans oublier toutes les sensations. La sensation de froid exacerbée par la pluie et par le vent. La sensation de presque s'enfoncer dans un sol sans chemin tracé. Un sol tapissé de verdure. »
Pendant que le grand reporter savourait l'instant - présent tout autant que passé -, les scientifiques, eux, travaillaient d'arrache-pied. Recueillant un maximum d'indices qui pourraient les mettre sur la piste. Comprendre comment tant de manchots royaux ont pu disparaître en si peu de temps. Pour avoir la réponse, il vous faudra vous plonger dans « Le mystère de l'île aux cochons ».
Partir vous aussi aux côtés de ces quelques chercheurs qui ont bravé les éléments pour trouver des réponses. Pour découvrir, peut-être, que même au plus profond de l'océan Indien, au milieu de nulle part, sur l'île aux cochons, les réponses données par la nature sont complexes. Et les solutions, parfois à chercher bien au-delà des frontières. Pour finalement, prendre le risque de tourner la dernière page avec l'envie que cette île mythique garde pour toujours... une part de mystère.