Deux géochimistes états-uniens sont arrivés à une conclusion étonnante en analysant des roches australiennes vieilles de 3,2 milliards d'années. À cette époque, la surface des continents semble avoir été bien plus faible qu'aujourd'hui. La Terre du début de l'Archéen devait donc ressembler un peu à une planète océan.
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Boswell Wing, géobiologiste et géochimiste de l'University of Colorado Boulder (USA) et Benjamin Johnson, également géochimiste et en poste à l'Iowa State University (USA) viennent de publier un étonnant article dans Nature Geoscience. Ils y exposent les résultats de leur étude de roches faisant partie d'un système hydrothermale avec des laves en coussins (pilow lava en anglais) telles qu'on peut les voir aujourd'hui au fond des océans avec des missions d'exploration. Sauf que dans le cas présent, ces roches datent de l'Archéen, d'il y a 3,2 milliards d'années environ plus précisément, et qu'elles ont été trouvées à pied sec en Australie-Occidentale lors d'une campagne dans la célébrissime région de Pilbara.
L'expédition Deepwater Exploration of the Marianas de 2016 était une expédition pour explorer des zones autour de la fosse des Mariannes. On voit dans cette vidéo des laves en coussins moderne similaires à celles de Pilbara à l'Archéen. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Noaapmel
Les deux chercheurs étaient à la recherche de ces roches dans une portion de croûte océanique associée à l'un des plus anciens cratons du monde (après la région d'Isua, au Groenland), c'est-à-dire un bloc de croûte continental qui s'est formé il y a entre 3,515 et 3,240 milliards d'années. Revenus en laboratoire, les deux géochimistes ont fait parler leurs échantillons (une centaine de roches) en y déterminant le rapport isotopique 18O/16O de ces deux isotopesisotopes de l'oxygène qui, selon eux, devait être le reflet de celui dans les océans de l'époque. On connait bien ce rapport aujourd'hui sous le nom de δ18O auquel on associe ce qui est appelé l'eau océanique moyenne normalisée de Vienne (VSMOW, pour Vienna Standard Mean Ocean Water). Ce genre de mesure est particulièrement utile pour faire de la paléoclimatologie comme le font les géochimistes qui travaillent dans l'Infrastructure pour les sciences du climat et de l'environnement (ICE).
Des océans enrichis en oxygène 18 par l'absence de continents ?
Le δ18O déduit des roches de Pilbara les a surpris, car il était légèrement supérieur à celui déterminé pour la référence VSMOW et, en supposant que la circulation hydrothermale dans la croûte océanique de l'époque était très similaire à celle d'aujourd'hui -- ce qui est l'hypothèse de loin la plus raisonnable pour les deux chercheurs --, cela conduit à une conclusion étonnante. Les surfaces émergées de l'époque avec des sols continentaux subissant de l'érosion devaient être bien plus faibles qu'aujourd'hui, de sorte que la Terre devait presque ressembler à une planète océanplanète océan, telles que celles dont on suppose l'existence dans le monde des exoplanètesexoplanètes.
Le raisonnement des deux chercheurs, basé sur une modélisationmodélisation géochimique de la Terre de l'époque, est que, s'il y avait eu d'importantes massesmasses continentales, elles auraient dû contenir sur leur surface d'importantes quantités de sols argileux qui auraient dû piéger de l'oxygène 18 et donc conduire à une mesure du δ18O plus proche de celui d'aujourd'hui.
Dans le communiqué de l'University of Colorado Boulder, Boswell Wing précise bien les limites de ce qu'il faut penser des résultats de son travail avec son collègue : « Il n'y a rien, dans ce que nous avons fait, qui dit que vous ne pouvez pas avoir de minuscules micro-continents qui sortent des océans. Nous ne pensons tout simplement pas qu'il y avait une formation à l'échelle mondiale de sols continentaux comme nous l'avons aujourd'hui ».
Une reconstitution possible de la Terre pendant l'Archéen. Des micro-continents sont visibles. © Paleozoo
On peut comprendre leur prudence en même temps que le bien fondé de leur hypothèse sur une très faible portion de croûte continentalecroûte continentale émergée il y a 3,2 milliards d'années. En effet, la théorie de la tectonique des plaquestectonique des plaques, la forme moderne qu'a prise la théorie de la dérive des continents d'Alfred WegenerAlfred Wegener à la fin des années 1960 -- et qui allait définitivement être admise par la communauté scientifique au cours de la décennie suivante -- n'a pas encore livré tous ses secrets. On sait qu'elle opère depuis au moins 400 millions d'années et qu'elle semble respecter des cycles de fermeture et d'ouverture d'océans avec des plaques continentales qui entrent en collision ou se déchirent, quand il ne s'agit pas aussi de plaques océaniques, selon le fameux cycle de Wilson.
Une tectonique des plaques différentes à l'Archéen ?
Mais, si l'on veut plonger dans un passé de la Terre plus ancien, les conclusions, quant à la dérive des continents et à l'expansion des océans, sont plus problématiques. Pour le dire autrement, nous ne savons pas avec certitude quand la tectonique des plaques est apparue sur Terre ni quand sa forme moderne s'est mise en place de sorte que l'on ne sait pas très bien non plus de quand date le début de la formation des continents et à quelle vitessevitesse elle s'est faite à ses débuts. On a cependant des modèles qui nous font penser que les premiers fragments de croûte continentale sont associés à des subductionssubductions de plaques océaniques et à des contextes géologique comme celui du point chaudpoint chaud à l'origine de l'Islande.
Ce qui est certain, c'est que le contenu en chaleurchaleur de la Terre laissé par sa phase d'accrétionaccrétion et la désintégration radioactive de certains isotopes, et donc sa température interne, évoluent irréversiblement depuis sa naissance il y a plus de 4,5 milliards d'années. Les processus convectifs dans le manteaumanteau de la Terre, il y a plusieurs milliards d'années, ne devaient donc pas être les mêmes. On est amené à penser qu'il existait alors un plus grand nombre de plaques, de plus petites tailles et animées de mouvementsmouvements plus rapides. Les laves crachées par les volcansvolcans devaient être plus chaudes et de fait, nous savons que, depuis environ 2,5 milliards d'années, les laves appelées komatiites ne s'épanchent quasiment plus à la surface de la Terre.
Au final, comme nous connaissons l'existence des cratons, des blocs de croûte continentale âgés parfois de plus de 3 milliards d'années, il semble raisonnable de penser qu'au début de l’Archéen et encore il y a 3, 2 milliards d'années, seuls des microcontinents existaient et en petit nombre donc avec une faible surface.
Quand l'Archéen a débuté, il y a environ 4 milliards d'années, on estime qu'il n'existait qu'entre 10 et 15 % du volumevolume de la croûte continentale actuelle. Mais, durant cette période qui prendra fin il y a environ 2,5 milliards d'années, une intense activité magmatique a conduit à l'extraction de près des trois quarts du volume de la croûte continentale à partir du manteau.
Mais, toutes ces questions sont encore débattues et les réponses que l'on peut donner à leur sujet nourrissent nos idées sur les conditions et les lieux d'apparition de la Vie, probablement d'ailleurs dans des systèmes hydrothermaux dans les océans, mais peut-être pas.
Ce qu’il faut
retenir
- Les continents n'ont pas toujours existé, leur surface s'est formée et a augmenté au cours de l'Archéen qui a débuté il y a environ 4 milliards d'années et s'est terminé il y a 2,5 milliards d'années.
- La croissance des continents est liée étroitement à la tectonique des plaques mais on ne sait pas très bien quand elle a commencé ni comment, de sorte qu'il existe de incertitudes sur l'histoire primitives des continents.
- Des mesures d'un isotope d'oxygène dans des roches marines âgées de 3,2 milliards d'années suggèrent que la surface des continents à cette époque était bien plus faible qu'aujourd'hui, ne piégeant pas cet isotope, faisant de la Terre une quasi planète océan.