Sous l'océan Arctique, la surprenante dorsale Gakkel, à l'activité très lente, fait remonter du manteau des roches anciennes, qui ont résisté au recyclage en profondeur par la tectonique des plaques. Les géologues sont stupéfaits, parce que la découverte met à mal la théorie classique, mais enthousiasmés car ces roches ouvrent des archives inespérées sur le passé de la Terre.

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    Une coupe de péridotite, provenant de la dorsale Gakkel. © Max-Planck-Institut für Chemie

    Une coupe de péridotite, provenant de la dorsale Gakkel. © Max-Planck-Institut für Chemie

    « J'ai failli en tomber de ma chaise » commente Jonathan Snow, du département de Géosciences de l'université de Washington. Lui et ses collègues d'une équipe internationale viennent de publier dans la revue Nature les premiers résultats d'une analyse de carottes extraites du fond de l'océan Arctique, sous la calotte polaire, au niveau de la dorsale Gakkel par le navire océanographique allemand Polarstern. Dans ces roches fraîchement issues du manteau terrestre, les géologuesgéologues ont découvert des inclusions auxquelles des datations à l'osmiumosmium ont donné un âge de deux milliards d'années. Or, c'est impossible d'après les théories en vigueur...

    La dorsale Gakkel n'a donc pas déçu les espoirs des scientifiques, qui s'intéressent depuis plusieurs années à cette balafre cachée à cinq mille mètres de profondeur sous les glaces arctiques. Regardez la Terre au-dessus du pôle nord, retirez la calotte glaciairecalotte glaciaire, asséchez l'océan et vous découvrirez cette chaîne montagneuse, reliant le Groenland à la Sibérie. Il s'agit d'une dorsale, comme celle qui, au milieu de l'océan Atlantique, fabrique un plancherplancher océanique éloignant le continent américain de l'Eurasie et de l'Afrique à plus de dix centimètres par an à certains endroits. Mais la dorsale Gakkel, bien plus paresseuse, ne repousse les continents qui l'entourent que de 6 millimètres par an. Elle est pourtant le siège d'une belle activité sismique et on y a repéré des volcans et des cheminéescheminées hydrothermales.

    Au niveau de la dorsale Gakkel, lente mais géologiquement active, le fond océanique délivre des roches fraîchement sorties de l'asthénosphère. © Henry J.B. Dick, <em>Woods Hole Oceanographic Inst.</em>

    Au niveau de la dorsale Gakkel, lente mais géologiquement active, le fond océanique délivre des roches fraîchement sorties de l'asthénosphère. © Henry J.B. Dick, Woods Hole Oceanographic Inst.

    Recyclage imparfait

    A ce niveau, comme dans toute dorsale, des matériaux remontent vers la surface, issus du manteau terrestre, cette vaste zone (70% de la massemasse de la planète), située entre le noyau et la croûtecroûte. Ces roches ont donc subi la température et la pressionpression régnant à grande profondeur. Parvenues en surface, elles forment un plancher océanique, poussé comme un tapis roulanttapis roulant par l'activité de la dorsale. Au contact d'un continent, le plancher océanique plonge en profondeur et les roches retrouvent le manteau, au niveau de l'asthénosphèreasthénosphère, où la température et la pression les transforment pour les faire revenir à leur état d'origine. C'est le mécanisme de la tectonique des plaquestectonique des plaques. Le cycle complet durant typiquement 200 millions d'années, une datation de roches prélevées au fond de l'océan ne donne en principe pas d'âge supérieur à cette valeur. Les roches les plus anciennes de la Terre se trouvent au contraire sur les continents, en des endroits peu affectés par les mouvementsmouvements géologiques.

    Mais au sein des carottes de la dorsale Gakkel, parmi les péridotitespéridotites, les géologues ont découvert des inclusions qui ne devraient pas être là. Les unes contiennent un taux anormalement élevé de certains éléments et les autres, dites réfractaires, conservent une structure acquise près de la surface. Cette hétérogénéité est tout à fait surprenante pour des roches qui, à l'échelle des temps géologiqueséchelle des temps géologiques, viennent tout juste de sortir du manteau et devraient, au contraire, être homogènes. Le malaxage qui se produit dans l'asthénosphère est donc incomplet.

    Le Polarstern au milieu des glaces arctiques, à la verticale de la dorsale. Heinz Feldmann, Max-Planck Institut für Chemie

    Le Polarstern au milieu des glaces arctiques, à la verticale de la dorsale. Heinz Feldmann, Max-Planck Institut für Chemie

    Un manteau plus complexe qu'on ne l'imaginait

    Ces inclusions, en quelque sorte, conservent le souvenir des cycles précédents. En leur sein, l'horloge n'a pas été remise à zéro par la recuisson dans l'asthénosphère. Pour dater ces fragments de péridotites, les géologues ont utilisé une technique basée sur le rapport de deux isotopesisotopes (187 et 188) de l'osmium, un élément rarissime. Cette méthode, nouvelle et encore peu usitée, a indiqué un âge incroyablement élevé. Ces inclusions dateraient de deux milliards d'années, pulvérisant tous les records pour une roche prélevée au fond des océans. Elles peuvent donc révéler de nombreux indices pour les géologues, qui y trouveront de nouvelles archives à compulser...

    Cette découverte jette aussi une nouvelle lumièrelumière sur les phénomènes se déroulant dans le manteau. Ils devront aussi être désormais pris en compte car ils compliquent les analyses des planchers océaniques basaltiquesbasaltiques. « Les inclusions réfractaires contribuent très peu à la formation des basaltesbasaltes, expliquent les auteurs dans l'article de Nature. Nous suggérons que les remontées depuis le manteau sont très hétérogènes, ce qui rend difficile l'analyse de leur composition par l'étude des seuls basaltes. » De plus, ajoutent-ils, l'existence de ces inclusions dans le plancher océanique doit inciter les géologues à la prudence dans la datation de roches continentales utilisant des modèles basés sur les isotopes de l'osmium.

    Découverte en 1966 seulement, activement explorée depuis 2001, la dorsale Gakkel a visiblement encore beaucoup à nous apprendre...