Avec des températures et des pressions difficiles à atteindre au laboratoire, le noyau de la Terre, là où se génère le champ magnétique de la Planète, reste mystérieux. En plus du nickel et du fer, ces éléments très lourds, il doit y en avoir d'autres, plus légers, estimaient géophysiciens et géochimistes. Le troisième est probablement l'oxygène, affirme aujourd'hui une équipe internationale.

Il y a un an, une équipe internationale de chercheurs de l'Institut de physique du globe de Paris, l'IPGP (CNRS, Paris Diderot, Cité Paris Sorbonne), de l'EPFL (École Polytechnique Fédérale de Lausanne, Suisse) et de l'University College London (Royaume-Uni) annonçait qu'elle pensait être parvenue à préciser la composition du noyau de la Terre. Il s'agissait de résoudre un problème découvert il y a un demi-siècle par Francis Birch, l'un des pionniers de la géochimie des hautes pressions avec Alfred Ringwood et Percy Bridgman.

En comparant les ondes sismiques ayant traversé le noyau de notre planète avec celles observées en laboratoire au sein de divers matériaux soumis à des pressions et des températures élevées, Birch concluait que le noyau était trop peu dense pour être composé uniquement de fer et de nickel. Il devait donc contenir des éléments plus légers, comme l'oxygène, le phosphore, le magnésium ou l'azote. Mais lesquels ? Sans possibilité de reproduire fidèlement en laboratoire les conditions régnant dans le noyau, les géologues ne pouvaient conclure. Rappelons par exemple que les températures y sont particulièrement élevées, peut-être jusqu'à atteindre celle de la surface du Soleil, soit 6.000 kelvins.


Entretien avec Philippe Lognonné, professeur à l'université Paris Diderot, et des membres de l'équipe de géophysique de l'IPGP. © Chaîne IPGP, YouTube

La Terre primitive reproduite en cellule à enclumes de diamant

Pour aller plus loin, en 2014, les chercheurs s'étaient appuyés sur une méthode numérique dite de dynamique moléculaire, permettant de simuler sur ordinateur le comportement des solides et des liquides dans des conditions de pressions et de températures inatteignables en laboratoire. Cette méthode permet de calculer les forces quantiques entre les atomes formant différents alliages métalliques de fer, nickel et autres éléments légers (carbone, oxygène, silicium, soufre...) ainsi que le comportement de ces alliages lorsqu'ils sont traversés par des ondes sismiques. La simulation fournit ainsi les spectres en fonction de la température, de la pression et de la composition de l'alliage, spectres à comparer ensuite à ceux obtenus par la sismologie.

Les géophysiciens et géochimistes en étaient venus à penser que le noyau doit très probablement contenir de l'oxygène en plus du fer et du nickel. Mais il pouvait aussi contenir du silicium, du soufre ou du carbone. Cependant, la solution reproduisant le mieux les observations était celle ne faisant intervenir que l'oxygène, avec une teneur de 6 à 7 % dans l'alliage de fer et de nickel.

Quasiment la même équipe, en collaboration aussi avec le Livermore National Laboratory, publie dans les Pnas de nouveaux résultats. Les chercheurs ont cette fois utilisé des expériences en cellule à enclumes en diamant chauffée par laser pour reproduire la genèse du noyau au moment de la formation de notre Planète, lorsque s'est produite sa différentiation.


Entretiens avec Manuel Moreira, professeur à l'université Paris-Diderot, et des membres de l'équipe de géochimie de l'IPGP. © Chaîne IPGP, YouTube

L'oxygène manquant est dans le noyau

Tout porte à croire que cette différentiation a eu lieu au bout de quelques dizaines de millions d'années, alors que la Terre accrétait des matériaux dont la composition était proche de celle des chondrites à enstatite et qu'elle était fortement chauffée par la désintégration d'éléments radioactifs et par le bombardement de petits corps célestes. Les éléments lourds, comme le fer et le nickel, ont coulé au centre de la Terre alors que les éléments légers montaient pour former plus tard la croûte. Pendant un temps, la surface de notre Planète ne devait être qu'un immense océan de magma. Puis, finalement, la structure actuelle de la Terre avec noyau, manteau et croûte s'est mise en place.

Les chercheurs français, suisses et anglo-saxons ont étudié un mélange d'un liquide silicaté et d'un liquide métallique, représentant respectivement le manteau primitif et le noyau terrestre en cours de genèse. Il s'agissait de comprendre précisément le processus de partage des éléments qui a fait, selon les règles de la géochimie, que certains éléments se sont retrouvés dans des proportions données dans le manteau et dans le noyau. Les résultats indiquent que cet océan de magma, qui devait être profond de 1.500 km et dont la température au fond pouvait atteindre 4.000 kelvins, devait être oxydé, plus oxydé que ne le laisse penser le manteau actuel qui en est l'héritier.

En combinant les données de la géochimie et de la géophysique, il apparaît donc que l'oxygène manquant a dû se retrouver dans le noyau. En plus du fer et du nickel, il contiendrait aujourd'hui, majoritairement de l'oxygène et en moindre proportion du silicium. Un noyau enrichi en oxygène et relativement pauvre en silicium constituerait donc en effet, selon les géochimistes et géophysiciens, le meilleur candidat pour satisfaire aux observations géochimiques et géophysiques simultanément.