On pense généralement que la vie est apparue au niveau des sources hydrothermales dans l'océan profond de la Terre primitive alors que ni ses eaux ni son atmosphère ne contenaient vraiment de l'oxygène. Une mystérieuse source de ce gaz vient pourtant d'être découverte dans une plaine abyssale, peut-être liée à l'électrochimie des mythiques nodules polymétalliques des années 1970 et 1980 que l'on envisage d'exploiter pour équiper le monde en batteries.


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    On ne sait pas très bien comment ni quand la vie est apparue sur Terre. Est-ce avant la fin de l'Hadéen il y a 4 milliards d'années ou juste après pendant l'Archéen ? Est-elle apparue au niveau de sources hydrothermales comme celle que l'on connaît au fond des océans depuis presque 50 ans comme beaucoup le pensent ? On croit cependant que les premières formes de vie étaient anaérobies, car l'atmosphère initiale de la Terre et même ses océans  étaient quasiment dépourvus d'oxygène, et qu'il a fallu attendre l'apparition des premiers organismes photosynthétiques oxygéniques il y a quelques milliards d'années pour que d'autres organismes se mettent à utiliser cet oxygène, ce qui leur a fourni une source d'énergieénergie beaucoup plus efficace que les précédentes.

    C'est donc une petite bombe dans le domaine de l'exobiologieexobiologie et de la géochimie des océans, questionnant l'origine et l'évolution de la vie non seulement sur Terre mais aussi ailleurs dans la Système solaireSystème solaire, en particulier avec les lunes glacées de Jupiter et Saturne, Europe et Encelade, qui vient d'exploser via un article dans Nature Geoscience.

    Une équipe internationale de chercheurs, dont Franz Geiger, un chimiste de l'université Northwestern aux États-Unis et Andrew Sweetman, de l'Association écossaise pour les sciences marines (SAMS) y annoncent avec leurs collègues avoir découvert que les fameux nodules polymétalliquespolymétalliques présents au fond des océans peuvent se comporter comme une source d'oxygène « noire » à plusieurs milliers de mètres.

    C'est en tout cas ce qui semble se passer au niveau des nodules de l'immense plaine abyssaleplaine abyssale de la zone de Clarion-Clipperton (CCZ), bien connue pour sa richesse en ces concrétionsconcrétions de la taille moyenne d'une pomme de terrepomme de terre formées de métauxmétaux tels que le cobalt, le nickelnickel, le cuivrecuivre, le lithium et le manganèsemanganèse. Inutile de dire que ces nodules font rêver les compagnies minières depuis des années et ce d'autant plus en raison de la transition énergétiquetransition énergétique nécessaire pour sauver le climatclimat qui nécessitent des batteries électriques performantes.


    Les grands fonds marins sont toujours une source de recherche vertigineuse pour les scientifiques. Comprendre comment la vie se développe à ces profondeurs est une priorité essentielle, selon eux. Les grands fonds marins attirent aussi des industriels à la recherche de minéraux, utilisés dans nos appareils électriques et nos batteries. Mais l'exploitation minière en eaux profondes soulève de nombreuses préoccupations environnementales. Les chercheurs craignent des dégâts irréparables sur la biodiversité marine. Un reportage au large de Toulon et à Brest de France 2. © FRANCE 24

    Une énigme géochimique depuis une décennie

    Un communiqué de l'université Northwestern donne des détails sur cette découverte, ainsi qu'un article grand public dans Nature.

    Sweetman, qui dirige le groupe de recherche sur l'écologieécologie et la biogéochimie des fonds marins au SAMS, y déclare donc que « pour que la vie aérobieaérobie puisse commencer sur la planète, il devait y avoir de l'oxygène, et notre compréhension est que l'approvisionnement en oxygène de la Terre a commencé avec des organismes photosynthétiques. Mais nous savons maintenant que de l'oxygène est produit dans les profondeurs marines, là où il n'y a pas de lumièrelumière. Je pense que nous devons donc revisiter des questions telles que : où la vie aérobique a-t-elle pu commencer ? ».

    En corolaire de la découverte, Geiger, professeur de chimiechimie et membre de l'Institut Paula M. Trienens pour l'énergie et le développement durabledéveloppement durable, déclare quant à lui qu'en raison de la présence dans les nodules des éléments essentiels utilisés dans les batteries « plusieurs sociétés minières à grande échelle visent désormais à extraire ces précieux éléments des fonds marins à des profondeurs de 3 000 à 6 000 mètres sous la surface. Nous devons repenser la manière d'exploiter ces matériaux, afin de ne pas épuiser une source d'oxygène nécessaire à la vie sous-marine ».

    En fait, tout a commencé il y a une dizaine d'années quand Sweetman et ses collègues échantillonnaient les fonds marins de la zone Clarion-Clipperton et y ont détecté de l'oxygène qui ne devait pas être là. « Lorsque nous avons obtenu ces données pour la première fois, nous pensions que les capteurscapteurs étaient défectueux, car toutes les études jamais réalisées en haute mer ont uniquement constaté que l'oxygène était consommé plutôt que produit.

    Nous rentrions à la maison et re-calibrions les capteurs, mais, pendant 10 ans, ces étranges lectures d'oxygène n'ont cessé d'apparaître.

    Nous avons décidé d'adopter une méthode de secours qui fonctionnait différemment des capteurs optodes (un capteur optique qui mesure une substance spécifique, généralement à l'aide d'un transducteur chimique NdR) que nous utilisions. Lorsque les deux méthodes ont abouti au même résultat, nous savions que nous étions sur quelque chose de révolutionnaire et d'impensé », raconte Sweetman qui s'est finalement tourné en 2023 vers Geiger pour essayer de trouver une explication.

    Des nodules polymétalliques, collectés au fond de l'océan, se trouvent dans de l'eau de mer simulée dans le laboratoire du chimiste Franz Geiger à l'université Northwestern. Les électrodes de platine mesurent les tensions des nodules. © Camille Bridgewater, <em>Northwestern University</em>
    Des nodules polymétalliques, collectés au fond de l'océan, se trouvent dans de l'eau de mer simulée dans le laboratoire du chimiste Franz Geiger à l'université Northwestern. Les électrodes de platine mesurent les tensions des nodules. © Camille Bridgewater, Northwestern University

    Les nodules polymétalliques, des géobatteries naturelles ?

    Geiger avait en effet autrefois découvert que la rouillerouille, combinée à l'eau salée, peut produire de l'électricité. Ce qui conduisait naturellement à se demander si les nodules polymétalliques pouvaient produire suffisamment d'électricité pour générer de l'oxygène par électrolyseélectrolyse.

    En étudiant plusieurs kilos de ces nodules provenant de la CCZ, Geiger est arrivé à la conclusion suivante : « il semble que nous ayons découvert une géobatterie "naturelle". Ces géobatteries constituent la base d'une explication possible de la production d'oxygène sombre par l'océan ».

    En effet, de simples expériences de mesure de potentiel électrique dans l'eau montrent des tensions allant jusqu'à 0,95 voltvolt à la surface de nodules uniques et plus lorsque plusieurs nodules se regroupent, tout comme lorsque les batteries sont connectées en série. Or, seulement 1,5 volt - la même tension qu'une pile AA typique - suffit pour diviser l'eau de mer, comme le rappelle le communiqué de l'université Northwestern qui se conclut par une mise en garde de Geiger après avoir déclaré que la massemasse totale de nodules polymétalliques dans la zone Clarion-Clipperton est à elle seule suffisante pour répondre à la demande mondiale d'énergie pendant des décennies.

    « En 2016 et 2017, des biologistes marins ont visité des sites qui avaient été exploités dans les années 1980 et ont découvert que même les bactériesbactéries ne s'étaient pas rétablies dans les zones minées. Toutefois, dans les régions non exploitées, la vie marine a prospéré. On ignore encore pourquoi de telles zones mortes persistent pendant des décennies. Cependant, cela met un astérisque majeur sur les stratégies d'exploitation minière des fonds marins, car la diversité de la faunefaune des fonds marins dans les zones riches en nodules est plus élevée que dans les forêts tropicalesforêts tropicales humides les plus diverses ».

    Les nodules polymétalliques trouvés au fond de l'océan, des géobatteries naturelles ? © Camille Bridgewater, <em>Northwestern University</em>
    Les nodules polymétalliques trouvés au fond de l'océan, des géobatteries naturelles ? © Camille Bridgewater, Northwestern University

    Le saviez-vous ?

    Entre décembre 1872 et mai 1876, une équipe de scientifiques à bord de la corvette britannique HMS Challenger a réalisé la première grande campagne océanographique mondiale.

    Ses principaux objectifs étaient d’observer les propriétés physiques de l’océan profond, d'améliorer la connaissance des reliefs sous-marins et d’étudier la répartition de la vie animale en fonction de la profondeur. Parmi ses nombreuses découvertes, il y eut celle de concrétions noirâtres qui se composent de fines couches concentriques d’oxydes de fer et manganèse, les nodules polymétalliques qui sont devenus célèbres et ont fait l’objet d’une recherche intensive au cours des années 1970 et 1980 après que l’on a compris au cours des années 1960 qu’ils pourraient être une source formidable de certains métaux. Mais, par la suite, la rentabilité faible et les difficultés techniques d’exploitation liées à la profondeur et à l’éloignement des continents ont fait qu’ils n’ont finalement jamais été exploités. L’intérêt pour ces ressources minérales marines renaît pourtant aujourd’hui avec les exigences de la transition énergétique.

    La meilleure concentration de nodules se trouve dans le Pacifique, dans la zone Clarion-Clipperton par 5 000 mètres de fond, comme l’explique un texte de l’Ifremer, qui précise aussi que ces nodules mettent des milliers d’années à se former. Mesurant entre 2 et 15 cm de diamètre ils croissent en effet de 2 à 10 millimètres par 1 000 ans et contiennent, toujours selon l’Ifremer du manganèse (29 %) et du fer (6 %), mais surtout des métaux plus stratégiques pour des technologies de pointe pour la transition énergétique tels que des terres rares, du nickel (1,3 %), du cuivre (1,15 %), du cobalt (0,25 %) ainsi que des éléments-traces métalliques, ou ETM (notion qui tend à remplacer celle de métaux lourds mal définie car englobant des métaux toxiques réellement lourds à d'autres comme les métalloïdes l'étant moins).