Dans ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, nous poursuivons notre exploration du monde minéral à la découverte d'une chimère pas comme les autres : la fulgurite. Électrifiez vos neurones et prenez place, le spectacle va commencer.
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La formidable diversité de couleurcouleur, de forme, de texture et d'éclat des minérauxminéraux offre au curieux un infini réservoir d'étonnement et d'émerveillement. Mais parmi l'ensemble des roches qui parent la surface et les profondeurs de notre chère Planète, un type en particulier commande depuis longtemps mon respect et ma fascination. Oh... la plupart du temps, il aura l'airair de bien peu : un simple tube rocheux, rugueux et poreux qui ne paye pas de mine, un agrégat de sable qui semble se prendre pour du corail. Mais la fulgurite porteporte en elle la marque de l'une des forces les plus redoutables de la nature : la foudre.
Le pasteur et le foudroyé
Si l’on en croit les historiens, la première description de cette pierre fulminaire remonterait au début du XVIIIe siècle, avec le pasteur David Hermann. Entre 1706 et 1707, alors qu'il explore les dunes avoisinant le village de Massel, en Pologne, celui-ci découvre une étrange structure de six mètres de long, enfouie dans le sable. Creuse et d'apparence rugueuse, la formation ressemble à une gigantesque branche calcifiée. À l'époque, le pauvre homme est bien en peine de comprendre la nature de ce qu'il a déterré et baptise sa trouvaille Osteocolla Massliensis, pensant probablement qu'il s'agit là d'une croûtecroûte de carbonate de calcium ayant enveloppé les racines d'un arbrearbre. Nous verrons plus loin que son intuition n'était pas si mauvaise, mais passait à côté du plus important.
Ce n'est qu'en 1790 que le premier lien avec la foudre est établi, à l'occasion d'un accidentaccident pour le moins spectaculaire. Dans une lettre adressée à la Royal Society, à laquelle il joint plusieurs spécimens de roches, le botanistebotaniste, géologuegéologue, chimiste et docteur William Withering, raconte en détail cet épisode glaçant :
« Permettez-moi de requérir l'attention de la Royal Society au sujet de quelques faits relatifs à un nuagenuage d'orageorage, dont l'éclairéclair a fusionné une importante quantité de matièrematière quartzeuse. Ce nuage se forma au sud, dans l'après-midi du 3 septembre 1789, et prit la direction du nord. Dans son passage, il mit feufeu à un champ de maïsmaïs ; mais la pluie éteignit vite l'incendie. Peu de temps après, l'éclair frappa un chêne dans le parc de l'earl d'Aylesford, à Packington.
Cet arbre mesurait près de 12 mètres, en incluant son tronc qui, lui-même, atteignait 4 mètres. Il n'a pas frappé la plus haute branche, mais celle qui projetait le plus au sud. Un homme, qui avait trouvé refuge contre le flanc nord de l'arbre, fut instantanément foudroyé à mort, ses vêtements prirent feu, et la moussemousse (lichen) sur l'arbre, où l'arrière de sa tête reposait, fut également brûlée. Deux hommes qui assistèrent à l'incident se précipitèrent immédiatement vers lui en le voyant tomber ; et la pluie tombant dru, un petit lac s'était formé non loin de l'endroit, tant et si bien que le feu fut bientôt éteint ; mais les effets du feu sur la moitié de son corps et sur ses vêtements indiquèrent que la combustioncombustion avait été instantanée, non progressive.
Une partie de la matière électrique voyagea à travers le bâton de marche que l'homme tenait en sa main, l'extrémité reposant à distance de son corps ; et à l'endroit où le bâton touchait le sol, il fit une perforation d'un diamètre d'environ 6 centimètres et demi et de près de 13 centimètres de profondeur. J'examinai ce trou peu de temps après et n'y trouvai que les racines brûlées de l'herbe. Toute observation aurait probablement prit fin ici si Lord Aylesford n'avait pas décidé d'ériger un monument en cet endroit, non tant pour en commémorer l'événement que pour y inscrire un avertissement à l'égard des imprudents contre le danger de prendre refuge sous un arbre durant un orage. Alors que l'on creusait les fondations pour ce monument, la terreterre fut remuée à l'endroit mentionné précédemment, et le sol apparut noirci sur une profondeur d'environ 25 centimètres. À cette distance se trouvait une racine de l'arbre, entièrement noircie ; mais cette noirceur n'était que superficielle et ne s'étendait pas très loin. Environ 5 centimètres plus loin, la matière quartzeuse fondue commençait à apparaître, s'étendant sur 45 centimètres. »
La fulgurite : née de la foudre
Cette matière quartzeuse dont parle William Withering, c'est la fulgurite ; un mélange de terre, de sable, de roche, de sédimentssédiments et de débris organiques fusionnés et parfois vitrifiés ensemble sous l'action de la foudre. Ces formations sont les plus fréquentes dans les sols sableux mais peuvent également se retrouver dans d'autres types de sols - souvent riches en oxydes de ferfer - et même prendre naissance autour de racines d'arbres. Si les termes « pierre de foudrepierre de foudre » et « céraunie » (du grec ancien keraunós) ont été employés par le passé, c'est aujourd'hui le terme de fulgurite qui prévaut chez les minéralogistes, les géologues et les collectionneurs.
On trouve les premières explications à ce phénomène dans les écrits de Fiedler et Hentzen et, après deux cents ans d'avancées scientifiques, voici ce que nous disent les manuels. Lorsque l'éclair entre en contact avec le sol, pénétrant parfois à travers le substratsubstrat sur plusieurs mètres de profondeur, il y décharge une énergieénergie de plus d'un milliard de joulesjoules. La température des matériaux impactés monte alors instantanément de plusieurs milliers, voire dizaines, de milliers de degrés causant la fontefonte et parfois la vaporisationvaporisation des éléments siliceux.
Ces concrétionsconcrétions sont le plus souvent creuses, leur extérieur rugueux et l'intérieur lisse et brillant ou constellé de fines bulles. Immenses ou minuscules, allongées, dendritiques ou monolithiques, la taille et la forme de ces structures mais également leur composition varient en fonction de la puissance de la foudre et du type de sol qu'elle frappe. L'une des plus longues jamais découvertes à notre époque mesure 4,9 mètres, mais Charles DarwinCharles Darwin assure que des tubes similaires découverts dans le comté de Cumberland mesuraient jusque'à 9,1 mètres de long !
Chose intéressante, on retrouve souvent dans leurs motifs les embranchementsembranchements des figures de Lichtenbergfigures de Lichtenberg, ces dessins que trace la foudre sur les matériaux qu'elle frappe, qu'ils soient un bloc d'acrylique, un morceau de boisbois enduit de solution saline ou la peau d'un malheureux qui se serait trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. La fulgurite inscrit dans l'éternité le passage de cette créature redoutable et éphémère qu'est la foudre. Et c'est donc sans surprise que cet objet trouve depuis longtemps une place privilégiée dans les cabinets de curiosités.
Rendez-vous dans deux semaines pour un nouveau chapitre du Cabinet de curiosités. © nosorogua, Adobe Stock, Futura