Ces derniers mois, les tenants de la géoingénierie ont instiller dans les esprits, l’idée que nous pourrions intervenir sur certains systèmes pour sauver notre Planète. Autrement qu’en réduisant simplement nos émissions de gaz à effet de serre. À grand renfort de technologies. Ceux qui mettent en garde contre les risques liés à ces interventions sont aujourd’hui attaqués. La glaciologue Heïdi Sevestre fait partie de ceux qui prennent le problème très au sérieux.


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    Le rapport publié ce mois de juillet par l'université de Chicago (États-Unis), « Glacial Climate Intervention : a research vision », a presque l'airair de ne pas y toucher. Il évoque par exemple « l'impérieuse nécessité de réduire notre consommation d'énergies fossiles » et préconise « des recherches pour déterminer si des interventions peuvent être viables ». Mais comme le loup du petit chaperon rouge avait pris l'aspect de sa gentille grand-mère, ce rapport pourrait bien ne pas montrer tout ce que la géoingénierie a à cacher. Heïdi SevestreHeïdi Sevestre partage avec nous son expérience à ce sujet.

    Comment expliquez-vous qu’il soit autant question de géoingénierie depuis quelques semaines, quelques mois ?

    Heïdi Sevestre : Lorsque la communauté de la géoingénierie a commencé à se constituer, nous n'y avons pas prêté attention.

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    Mais eux, ils ont travaillé. Sans jamais lâcher. Ils disposent maintenant de financements quasi illimités et de fait, d'un pouvoir de lobbying politique immense. Leur puissance médiatique est aussi importante. Pour s'en assurer, ils s'entourent des meilleurs communicants/lobbyistes de la Planète. Aujourd'hui, il y a de gros intérêts derrière la géoingénierie et il faut prendre tout ça très au sérieux. Nous préparons une réponse forte au rapport publié cet été.

    Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec des tenants de la géoingénierie ?

    Heïdi Sevestre : J'ai récemment rencontré les responsables de Arctic Reflections. L'idée de cette start-upstart-up néerlandaise, c'est de disperser des dizaines de milliers de pompes sur la glace pour pomper l'eau de l'océan Arctique et la pulvériser sur la banquise. Objectif : épaissir et blanchir la glace pour quelle renvoie plus efficacement les rayons du SoleilSoleil vers l'espace. Ces gens ne sont pas de mauvaises personnes. Mais ce sont des développeurs de produits. Leur travail, c'est d'innover puis de vendre. Ils pensent faire le bien. Ils pensent même donner de l'espoir. Mais ils ne pensent pas a toutes les conséquences. Sur les narvals qui entendent à 40 kilomètres et qui seront sans doute perturbés par le bruit de toutes ces pompes. Ils ne pensent pas non plus à certaines questions logistiques. Et la question de l'energie utilisée est centrale. Pour alimenter leurs pompes, pour l'instant, ce sera... avec des énergies fossiles. On apportera de la pollution au cœur de la banquise. On marche sur la tête...

    Des questions logistiques ? Pourtant, le grand argument des tenants de la géoingénierie, c’est le gain de temps pour les humains face au changement climatique.

    Heïdi Sevestre : Tout à fait. Mais c'est complètement faux. En s'attaquant aux conséquences du changement climatique, ils promettent de nous offrir du temps pour nous adapter. Les géoingénieurs prétendant aussi qu'ils peuvent faire plus vite que la décarbonation. Pourtant, n'importe quel scientifique sait qu'organiser une campagne pour aller forer l'AntarctiqueAntarctique, obtenir une autorisation pour ajouter un tout petit module à une base sur ce continent « de la paix et de la science » ou trouver des bateaux pour tracter des installations jusque dans cette région hostile, demande des décennies de travail. La décarbonation, elle, pourrait avoir des effets rapides. Pendant la crise du Covid, nous avons observé que certains glaciersglaciers retrouvaient des forces. La pollution avait diminué et, moins souillés par le noir de carbonecarbone, ils avaient moins absorbé la chaleurchaleur du soleil. Nettoyer les sorties de nos usines pourrait donc avoir très rapidement un effet spectaculaire.

    Il y a donc un réel espoir avec les solutions « classiques »…

    Heïdi Sevestre : Tout à fait. Mais tout le monde n'a pas intérêt à ce que ça se sache. Ce sont ces gens ultrariches qui veulent continuer leur business as usual, coûte que coûte. Et ils n'hésitent pas pour cela à partir en croisade avec la géoingénierie, à manipuler les pensées. J'ai rencontré aussi des jeunes de l'ONG Opération Arctique. Elle est financée par Silver Lining, un philanthrope américain qui finance très largement la géoingénierie. En finançant cette ONG ils font croire à la jeune génération qu'il existent tout un tas de solutions pour lutter contre les conséquences du changement climatiquechangement climatique mais que nous refusons tout simplement de les étudier.

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    Ces jeunes nous interpellent dans les médias et dans les conférences internationales. Ils ne comprennent pas qu'alors que le monde est en train de s'effondrer autour d'eux, il y ait des solutions que nous refusons d'étudier. Ils nous font passer pour des extrémistes. Et aujourd'hui, c'est violent pour nous. « Si les îles Marshall sont submergées, ce sera de votre faute. » Voilà ce que nous entendons dire aux communautés autochtones qui sont, elles aussi, contre la géoingénierie. Mais le jour viendra, je l'espère, où ils se rendront compte qu'ils se sont fait manipuler pour pousser l'agenda de gens qui ne veulent que gagner toujours plus d'argentargent. Le malheur, c'est que pour ces jeunes, le contrecoup, l'espoir déçu risque d'être encore plus dur à surmonter.

    Reste-t-il de l’espoir ?

    Heïdi Sevestre : Oui, parce que certains pays ont déjà dit non à la géoingénierie. La Suède. Le Mexique. Et parce que les peuples autochtones aussi sont lucides à ce sujet. À l'occasion de la COP28, les géoingénieurs ont littéralement essayé de vendre leur idée de rideaurideau sous-marinsous-marin à l'ambassadrice des Palaos. Mais elle a vu clair dans leur jeu. Elle a tenu bon et maintenu son opposition à toute idée de projet de la sorte en Antarctique ou au Groenland. Elle sait que décarboner est de loin, la meilleure solution. Parce que les communautés autochtones ont gardé quelque chose qui nous fait cruellement défaut aujourd'hui en la matièrematière. Cette vision holistique qui les aide à se rendre compte que l'idée n'est pas bonne. Ils ne croient pas au père Noël.

    Une conclusion ?

    Heïdi Sevestre : Le combat s'annonce difficile. Je veux que l'on comprenne bien que je ne suis pas contre la technologie en général. J'aimerais juste nous éviter de reproduire les erreurs du passé. La géoingénierie ne nous fera pas gagner du temps. Elle ne fera que nous détourner du véritable problème : nos émissionsémissions de gaz à effet de serre. Nous n'avons pas besoin de plus de temps et d'argent pour le savoir. Nous avons déjà beaucoup de littérature disponible sur la question.

    Je suis bouleversée de voir l'unité de notre communauté commencer à se fissurer à ce sujet. Je ne jette pas la pierre à ceux de mes confrères qui répondent finalement à l'appel des sirènes de la géoingénierie. Ils sont terrifiés par ce qui est en train de se jouer dans les régions polaires et je crois qu'ils cherchent juste très sincèrement des solutions. Mais la solution numéro un, il faut le répéter, quitte à passer pour un monomaniaque, c'est la décarbonation. Nous savons que ça fonctionne. Et nous savons le faire. Ça va coûter cher ? La géoingénierie aussi. Sans doute plus si on y intègre le coût des conséquences de ces manipulations. Alors que nous avons tout à gagner à décarboner. Il faut arrêter de ne voir que les efforts que cela va nous demander. Redéfinir le temps qui passe, notre façon de travailler, nos échanges, les inégalités, la diversité, la santé humaine. Décarboner ça n'a que de bons côtés. Alors que derrière la géoingénierie, il y a des intérêts puissants. Des personnes qui n'ont pas intérêt à ce que les choses changent au bénéfice de tous.