Au milieu des dinosaures vivait un mammifère étrange. Tellement étrange que les chercheurs l’ont baptisé la « bête folle ». Grâce à un squelette retrouvé presque complet à Madagascar, ils nous en dressent le portrait.


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    Elle vivait au temps des dinosaures. Il y a entre 145 et 66 millions d'années, sur le supercontinent dénommé Gondwana. Elle, c'est celle que l'on appelle la « bête folle », la traduction d'Adalatherium. Le nom scientifique de celle qui est considérée par les chercheurs comme une pièce importante du puzzle de l'évolution précoce des mammifères dans l'hémisphère sud. Un puzzle dont la plupart des autres pièces sont toujours manquantes.

    Reconstitution d'un spécimen de Adalatherium. © Simone Hoffmann et Kathrine Pan, Taylor and Francis Group

    Des chercheurs du Taylor and Francis Group (Royaume-Uni) ont étudié de près un squelette presque complet de cette « bête folle » trouvé du côté de ce qui est aujourd'hui Madagascar. Ils restent perplexes face aux caractéristiques bizarres qu'ils lui ont trouvées. « Sachant ce que nous savons de l'anatomie des mammifères, vivants et éteints, il est difficile d'imaginer comment un mammifère comme Adalatherium a pu exister. Par certains aspects, il est totalement en dehors du cadre », explique David Krause, chercheur au musée des sciences et de la nature de Denver (États-Unis).

    <em>Adalatherium</em> pesait quelque trois kilogrammes. C’est peu, mais beaucoup pour l’époque à laquelle il vivait. La plupart des mammifères du Crétacé ne dépassaient en effet pas la taille d’une souris. © Simone Hoffmann et Kathrine Pan, <em>Taylor and Francis Group</em>
    Adalatherium pesait quelque trois kilogrammes. C’est peu, mais beaucoup pour l’époque à laquelle il vivait. La plupart des mammifères du Crétacé ne dépassaient en effet pas la taille d’une souris. © Simone Hoffmann et Kathrine Pan, Taylor and Francis Group

    Des caractéristiques étranges

    Parmi les incohérences notées par les chercheurs :

    • des pattes arrière musclées comme celles d'un fouisseur puissant et des pattes avant plus adaptées à la course rapide ;
    • une posture hybride entre celle des mammifères d'aujourd'hui et celle de parents plus anciens ;
    • des dents de derrière qui ne ressemblent à aucune autre dent de mammifère connue.

    Peut-être, selon les chercheurs, le résultat de l'évolution de cet animal sur une île, isolée du reste du monde depuis plusieurs millions d'années déjà. Mais en tout cas, une preuve qu'il leur reste encore beaucoup à apprendre sur les mammifères qui peuplaient alors l'hémisphère sud.


    Le fossile d’un mammifère étrange retrouvé à Madagascar

    Adalatherium, traduisez « la bête folle ». C'est le nom que les chercheurs ont donné à ce mammifère étrange dont ils ont trouvé le fossilefossile incroyablement bien conservé à Madagascar. Un fossile qui offre un bel exemple d'évolution insulaire.

    Article de Nathalie MayerNathalie Mayer paru le 30/04/2020

     

    « Je n'ai jamais rien vu de semblable », raconte Guillermo Rougier, paléontologuepaléontologue à l'université de Louisville (États-Unis) dans un communiqué, en évoquant le fossile découvert par ses collègues du Denver Museum of Nature & Science (États-Unis) il y a plusieurs années, lors d'une expédition du côté de Madagascar. Une analyse détaillée du fossile magnifiquement conservé en trois dimensions de cet étrange mammifère vient d'être publiée.

    Baptisé Adalatherium, ce mammifère mangeur de plantes vivait il y a 66 millions d'années, au CrétacéCrétacé, sur la Terre des dinosaures. Son aspect ? Celui d'un blaireau ou d'un castor au long torse et à la queue tronquée. De 52 centimètres pour environ 3 kilos. Un petit bébé... Et si les chercheurs l'ont affectueusement surnommé « la bête folle » -- c'est la traduction de Adalatherium en malgache --, c'est que de nombreuses de ses caractéristiques défient toute tentative de mise en relation avec d'autres mammifères connus.

    Le fossile de l’<em>Adalatherium</em> découvert par des chercheurs du <em>Denver Museum of Nature & Science</em> (États-Unis) à Madagascar. © <em>Denver Museum of Nature & Science</em>
    Le fossile de l’Adalatherium découvert par des chercheurs du Denver Museum of Nature & Science (États-Unis) à Madagascar. © Denver Museum of Nature & Science

    Les chercheurs ont toutefois classé l'animal dans le groupe aujourd'hui éteint des gondwanathériens -- qui tient son nom de l'ancien supercontinent Gondwana. Un groupe mal connu dont plusieurs spécimens -- ou du moins leurs dents et des fragments de mâchoires -- ont été retrouvés en divers endroits de l'hémisphère sud. « Chez les mammifères, les dents sont le reflet de leur ascendance, de leur régime alimentaire et de leur environnement. La morphologiemorphologie dentaire d'Adalatherium est tellement particulière qu'il est difficile d'utiliser ces caractéristiques pour établir des relations familiales », explique Guillermo Rougier.

    Une expérience évolutive propre

    Les gondwanatheriens ont d'abord été considérés comme liés aux paresseuxparesseux, aux fourmiliersfourmiliers et aux tatoustatous des temps modernes, mais « on sait maintenant qu'ils ont fait partie d'une grande expérience évolutive propre, une expérience qui a échoué et a été étouffée dans l'Éocène, il y a 45 millions d'années », précise David Krause, conservateur au Denver Museum of Nature & Science dans un communiqué.

     

    Le mouvement de tête de l’Adalatherium reconstitué par les chercheurs du Denver Museum of Nature & Science. © Denver Museum of Nature & Science, YouTube

    Adalatherium, un mammifère à nul autre pareil

    Adalatherium pourrait ainsi bien être le fruit de l'isolement de Madagascar. Pendant plusieurs millions d'années, l'île a dérivé, de l'Inde vers l'Afrique, permettant aux animaux qui la peuplaient d'évoluer distinctement de leurs cousins. Au contact de sources d'alimentation, de prédateurs et de parasitesparasites différents, notamment. Un bel exemple d'évolution insulaire.

    Notons ainsi que la plupart des mammifères mésozoïquesmésozoïques étaient plutôt de la taille d'une souris. Soit environ 100 fois plus petits qu'Adalatherium. Ensuite, c'est la démarche d'Adalatherium qui étonne. Le petit mammifère se serait appuyé sur des pattes arrière s'étendant loin de son corps, à l'image de ce que font les reptilesreptiles. Ses pattes avant, en revanche, étaient bien situées sous son corps, comme chez la plupart des autres mammifères. Et en marchant, sa colonne vertébralecolonne vertébrale se serait courbée, là encore, comme c'est le cas chez les reptiles.

    L’étrange squelette de l’<em>Adalatherium</em>. © Denver Museum of Nature & Science
    L’étrange squelette de l’Adalatherium. © Denver Museum of Nature & Science

    Le corps d'Adalatherium était allongé, présentant plus de vertèbres que tout autre mammifère mésozoïque. Les chercheurs pensent par ailleurs que ses muscles du dosdos et des pattes postérieures puissantes ainsi que ses longues griffes lui permettaient de creuser des terriers. Son visage présentait aussi des caractéristiques étonnantes. De nombreux trous permettant le passage de nerfsnerfs y ont été recensés. De quoi lui offrir un museau particulièrement sensible et couvert de moustachesmoustaches. Et même un grand tour au sommet de ce museau, sans parallèle chez aucun mammifère connu.

    « Adalatherium n'est qu'une pièce, mais une pièce importante, dans le grand casse-tête de l'évolution précoce des mammifères dans l'hémisphère sud », conclut David Krause. « Malheureusement, la plupart des pièces manquent encore à l'appel. »