L’élévation du niveau de la mer empoisonne les forêts côtières, qui se mettent à aspirer le carbone du sol pour le relâcher dans l’atmosphère. Un phénomène inquiétant surnommé « arbre péteur » et qui s’étend de plus en plus.
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En principe, les arbres captent le CO2 pour relâcher de l'oxygène. Lorsqu'ils meurent, le carbonecarbone reste stocké dans le bois, ce qui fait que la forêt peut être considérée comme un puits de carbone. Mais ce cercle vertueux pourrait être complètement chamboulé par la montée des océans. En pénétrant dans la forêt, le sel « aspire » l'eau des cellules des arbres et dessèche les graines. La forêt ne pousse plus et les arbres se meurent, remplacés par des arbustes et des plantes herbacées plus tolérantes au sel. On observe alors des troncs d'arbres dressés verticalement dépourvus de feuilles et de branches, constituant des « forêts fantômes ».
Le phénomène des arbres péteurs
Or, ces arbres morts émettent des « pets » en agissant telle une paille qui aspire le carbone du sol pour le relâcher dans l'atmosphère, atteste une nouvelle étude parue le 10 mai dans le journal Biochemistry. Les chercheurs ont mesuré les émissionsémissions de dioxyde de carbone, de méthane et d'oxyde nitreuxoxyde nitreux provenant des souches de pin et de cyprès chauve dans cinq « forêts fantômes » de la péninsulepéninsule d'Albemarle-Pamlico en Caroline du Nord en 2018 et 2019. Résultat, les arbres morts augmentent les émissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre de l'ensemble de l'écosystèmeécosystème d'environ 25 %, atteste l'étude.
Le sol lui-même demeure toutefois le plus gros émetteur de gaz à effet de serre. Dans les marais côtiers, chaque mètre carré de sol émet en moyenne 416 milligrammes de CO2, 5,9 mg de méthane et 0,1 mg d'oxyde nitreux par heure. Les arbres morts, eux, rejettent environ 116 mg de CO2, 0,3 mg de méthane et 0,04 mg d'oxyde nitreux (protoxyde d’azote) par mètre carré et par heure, soit un quart des émissions du sol. Mais en aspirant le carbone du sol, ils aggravent la situation. « Ces pets d'arbres sont en quelque sorte le dernier souffle des forêts qui se meurent », explique à Science News Marcelo Ardón, écologiste des écosystèmes à l'Université d'État de Caroline du Nord et coauteur de l'étude. C'est lui-même qui a inventé ce terme de « pet d'arbre » en analogieanalogie avec la biologie. « Les pets humains sont causés par les microbesmicrobes dans le corps ; les gaz à effet de serre émis par les forêts fantômes sont créés par les microbes dans le sol et les arbres », explique-t-il.
Le saviez-vous ?
L’oxyde nitreux (protoxyde d'azote) provient de la dénitrification des sols, lors de laquelle le nitrate est converti en azote gazeux sous des conditions pauvres en oxygène. Ce gaz à l’effet de serre 300 fois plus puissant que le CO2 représente à lui seul 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine agricole. Cette dénitrification est accentuée dans les conditions humides ou lorsque l’activité microbienne et la quantité de carbone dans le sol sont élevées, ce qui est le cas dans les marais.
Zones humides : bénéfice ou calamité pour le climat ?
Et le problème, c'est qu'en raison du réchauffement climatiqueréchauffement climatique, ces forêts fantômes se multiplient. Entre 2001 et 2014, 15 % (167 km2) des terresterres non aménagées sur la côte de la Caroline du Nord (États-Unis) sont passées d'une forêt côtière à une forêt fantôme, atteste une étude de 2020. Cela a abouti à une augmentation de 19 % des émissions de gaz à effet de serre. Le phénomène n'est pas cantonné aux États-Unis et s'observe partout, notamment dans les grandes zones humideszones humides de l'Asie du Sud et du Sud-Est. Toutefois, une bonne gestion de ces zones humides peut à l'inverse avoir un impact positif sur le climatclimat. Selon une étude de 2017, les mangrovesmangroves, les herbiers marins et les marais stockent entre 10,4 et 25,1 millions de tonnes de carbone dans le monde. Dégager les arbres morts pourrait donc permettre de limiter les dégâts.