« Nos glaciers sont à l'agonie », tels sont les mots de la glaciologue française Heïdi Sevestre qui consacre sa vie à étudier les effets du changement climatique sur la glace polaire, et à communiquer sur ses conséquences. En direct du Svalbard, elle nous a fait part de ses constats les plus récents sur l'état des glaciers, et de ses impressions personnelles sur l'évolution des paysages de l'Arctique.


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    Le Svalbard est un archipel norvégien situé entre la mer de Barents et l'océan Arctique. Cette terre isolée est considérée comme l'épicentre du changement climatiquechangement climatique, c'est « un aperçu du futur », selon Heïdi Sevestre. C'est justement là-bas que la glaciologue étudie l'évolution des glaciers depuis 2008. « Je viens au Svalbard depuis 15 ans, et cette année, il n'y a pas une personne que je n'ai rencontrée qui n'a pas évoqué l'état des glaciers».

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    Nous savons que l'Arctique se réchauffe bien plus vite que le reste du monde, mais pourquoi le climat et les glaciers du Svalbard sont-ils autant étudiés par les scientifiques ?

    Heïdi SevestreHeïdi Sevestre : Nous venons de connaître le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré ici, le climatclimat se réchauffe 6 à 7 fois plus vite que sur le reste de la Planète. Depuis les années 1960, cette zone a gagné 5 à 6 °C de plus. D'ici la fin du siècle, il faut s'attendre à 8 °C de plus, dans la version optimiste, et 14 °C de plus dans la version pessimiste, en comparaison avec les niveaux préindustriels. Cette zone est vraiment un indicateur de ce qui nous attend. La moyenne des températures sur l'année est de -6 à -7 °C, mais si elle devient positive, alors on pourra dire adieu à ce paysage. Le changement sera cataclysmique et l'Arctique tel qu'on le connait n'existera plus.

    Quels sont les symptômes du mauvais état de santé des glaciers, et comment les évalue-t-on ?

    Heïdi Sevestre : il y a deux périodes dans l'année pour mesurer l'état des glaciers : à la fin de l'hiverhiver, pour mesurer la quantité de neige, le gain de poids. Et puis à la fin de l'été, pour évaluer ce que le glacier a perdu au cours de l'été, et donc ce qu'il reste. Le glacier que je connais le mieux, le Longyearbreen qui se situe juste à côté de moi, subit une véritable hécatombe. Il ne reste quasiment rien. Les images satellites permettent aussi de voir si le glacier avance ou pas. Et ici, les glaciers ne bougent pratiquement plus : ils commencent même à se faire enterrer par des débris qui proviennent des montagnes autour. Le comportement de la banquisebanquise a aussi été très inhabituel l'hiver dernier : elle se forme normalement entre décembre et janvier, et cette année, elle a débuté en mars.

    Le changement climatique progresse à une vitesse vertigineuse, mais il semblerait qu'un nouveau seuil ait encore été franchi en 2023. Qu'est-ce qui vous a, personnellement, le plus choqué cette année dans cette région polaire ?

    Heïdi Sevestre : Dans le paysage des glaciers que je parcours depuis 2008, je ne reconnais plus grand chose. Il y a quelques jours, je suis allée voir un glacier que je connais bien, le Larsbreen. De l'eau sortait de tous ses pores, c'était une véritable hémorragie, alors même qu'il ne faisait pas très chaud. J'ai pensé à mes étudiants à l'Université, et je me suis dit qu'il arrivera un moment où je parlerai de ces choses-là au passé. Nous voyons ces glaciers autour de la ville, nous avons un attachement émotionnel à eux, et j'ai réalisé qu'un jour, je donnerai mes cours au passé.

    Le sort des glaciers est un problème lointain et qui paraît sans impact sur notre quotidien pour beaucoup. Quelles sont pour vous les conséquences les plus marquantes auxquelles nous devons nous préparer ?

    Heïdi Sevestre : Les glaciers sont un château d'eau naturel, c'est une réserve d'eau douceeau douce que 2 milliards de personnes sur Terre utilisent. Que va-t-il arriver à ces 2 milliards de personnes si les glaciers disparaissent ? Et comment les autres 8 milliards de personnes vont devoir gérer les problèmes qui en découlent ? L'eau des glaciers du Népal conditionne par exemple une grande partie des cultures de riz et de coton. Il y a également l'élévation du niveau de la mer : si les grandes villes du littoral disparaissent, il y aura des déplacements de population, des terres agricoles en moins, du commerce de marchandises en moins. In fine, on sera tous concernés par l'élévation du niveau de la mer et on devra tous faire face aux problèmes.

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    Comment faites-vous pour rester aussi engagée et positive au vu des résultats catastrophistes qui ressortent de vos études sur le terrain ?

    Heïdi Sevestre : J'ai déjà une passion immense pour ces environnements, donc une bonne raison de me battre ! Mais je vois aussi que les choses sont en train de bouger, que davantage de personnes s'y intéressent, et que cela fait effet boule de neige. On peut faire évoluer des choses au niveau individuel, mais il faut surtout faire changer ceux qui ont une énorme empreinte carbonecarbone. C'est très frustrant de voir des États comme la Norvège, les États-Unis et même la France, investir dans de nouvelles infrastructures pour les énergies fossilesénergies fossiles. Il faut donc qu'il y ait un effet de communauté qui fasse bloc, que l'on s'unisse pour agir ensemble et c'est possible.