Par leurs émissions de magma, de gaz et d’aérosols, les éruptions volcaniques peuvent provoquer des changements climatiques significatifs, tels que des « hivers volcaniques », et ralentir toute vie sur Terre. Ces phénomènes ont influencé l’histoire humaine, comme le ralentissement démographique d’il y a 74 000 ans ou la migration européenne au XIXe siècle.
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Le ralentissement spectaculaire de la croissance démographique il y a 74 000 ans, la chute de la civilisation minoenne, la Révolution française, la migration d'Européens vers les États-Unis au XIXe siècle... Derrière chacun de ces événements, l'influence possible d'une éruption volcanique.
Les grandes éruptions volcaniques sont des phénomènes spectaculaires qui peuvent de fait avoir des répercussions sur l'activité humaine, de façon locale ou globale, et ainsi avoir une influence sur l'histoire des civilisations et des arts. D'un point de vue géologique, une éruption consiste en l'émissionémission de magma incandescentincandescent (sous forme de coulées ou d'éjectas) de cendres, de poussières et de gazgaz (vapeur d'eau, dioxyde de carbone ou gaz soufrés) le tout en proportions variables. Le dioxyde de carbone s'il est émis en grande quantité sur une courte période peut avoir un effet direct sur le climat via l'effet de serre.
Les gaz soufrés forment, eux, des aérosolsaérosols, c'est-à-dire des particules dans l'atmosphèreatmosphère qui occultent une partie du rayonnement solairerayonnement solaire. Ces aérosols peuvent ainsi contribuer à ce qu'on appelle un « hiver volcanique » avec une chute brutale des températures. S'ils sont émis en quantité, ces gaz peuvent changer significativement la composition globale de l'atmosphère et ses propriétés optiques. Enfin, après une éruption, le réservoir souterrain d'où provient le magma, « la chambre magmatiquechambre magmatique », peut se vider entièrement et provoquer ainsi un effondrementeffondrement du sol en surface qu'on nomme caldeiracaldeira.
Tâchons de revenir sur quelques éruptions qui ont, de par ces processus d'émission ou d'effondrement, marqué l'histoire, les arts, et peuvent également éclairer quelques enjeux du changement climatiquechangement climatique actuel.
Avant l’histoire – une préhistoire volcanique
Si certaines éruptions n'ont pas laissé de traces écrites, elles ont pourtant considérablement impacté l'humanité.
L'éruption de Toba en Indonésie (environ 74 000 ans avant notre ère) a ainsi provoqué un hiver volcaniquehiver volcanique d'une duréedurée de plusieurs années. Certains auteurs suggèrent qu'elle aurait de ce fait déclenché un goulot d'étranglementgoulot d'étranglement démographique chez les premiers Homo sapiensHomo sapiens, réduisant la population humaine mondiale à quelques milliers d'individus et ralentissant l’expansion de l’humanité.
Les premiers témoignages de phénomènes éruptifséruptifs connus du paléolithique prennent ensuite la forme de peintures rupestres. Dans la grotte Chauvet en Ardèche, par exemple, en plus des représentations d'animaux généralement dangereux et puissants (lionslions, ours, mammouthsmammouths, rhinocérosrhinocéros réalisées avec des pigments d'ocreocre rouge et de charboncharbon), on trouve des gravuresgravures figurant le plus ancien témoignage d'éruption volcanique. Un dessin distinctif en gerbes paraboliques a été assimilé à une représentation de fontaines de laveslaves typiques des éruptions dites « stromboliennesstromboliennes ».
Ces dernières sont caractérisées par des explosions d'intensité modérée éjectant à quelques dizaines de mètres de hauteur des particules de lave incandescentes de tailles variées (cendres, lapillilapilli et bombes). La comparaison de l'âge d'occupation de ce site (37 000 à 33 500 ans) avec l'âge des plus jeunes volcansvolcans d'Ardèche (entre 19000 ans et 41000 ans) montre qu'il est possible que les habitants aient vécu et témoigné à travers ce dessin d’une éruption volcanique.
Premières représentations volcaniques dans la grotte Chauvet ? Une étude réalisée au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement commentée par le paléoclimatologue Sébastien Nomade. © IPSL Institut Pierre-Simon Laplace
Cet exemple ne laisse cependant pas présager des conséquences humaines et matérielles des éruptions et il faut attendre le néolithique et la fresque de Çatal Höyük en Turquie pour avoir un témoignage probable des effets d'une éruption. Cette fresque dans une maison néolithique (6 600 avant J.-C.) montre ce qui semble être un volcan en éruption (vraisemblablement le mont Hasan), projetant des cendres ou de la lave vers une série de motifs en damier pouvant être interprétés comme les habitations de cette ancienne ville d'Anatolie centrale en proie à une éruption.
Ces deux exemples témoignent de l'influence des éruptions volcaniques, à minima sur l'imaginaire et sur l'histoire des prémices de l'art dans ces temps très reculés. Mais au-delà du spectacle local d'une éruption telle qu'elle peut être observée à proximité d'un volcan, les « grandes » éruptions volcaniques ont parfois eu un impact reconnu sur les populations de l'Antiquité.
La vulnérabilité des civilisations aux catastrophes naturelles, illustrée par les éruptions volcaniques
L'éruption de Théra (Santorin, Grèce) vers 1600 av. J.-C. a été l'une des plus puissantes de l'histoire. Elle a eu un impact majeur sur la florissante civilisation minoenne et des répercussions sur la proche civilisation mycénienne, commercialement liée aux Minoens. Une quantité massive de cendres a recouvert l'île de Santorin et lors de la formation d'une caldeira, une partie de l'île a été submergée dont la ville antique d'Akrotiri. Cette éruption pourrait d'ailleurs avoir inspiré le mythe de l’Atlantide, raconté par Platon dans ses Dialogues.
Au-delà de ces impacts majeurs mais locaux, l'éruption de Théra a projeté une immense quantité de cendres et d'aérosols dans l'atmosphère, provoquant des changements climatiques temporaires. L'« hiver volcanique » lié aux aérosols a pu modifier le cycle des moussonsmoussons et sécheressessécheresses contribuant à de mauvaises récoltes dont témoigne le PapyrusPapyrus égyptien d'Ipou-Our, décrivant de telles famines, ainsi que diverses catastrophes naturellescatastrophes naturelles sous le règne d'Ahmôsis Ier (vers 1550-1525 avant J.-C.).
Une éruption comme moteur des révolutions sociétales à la fin du XVIIIe
Par la suite, d'autres éruptions majeures ont marqué l'histoire et notamment à la fin du XVIIIe siècle (1783-1784), lorsque le volcan Laki (Lakagigar) entra en éruption en Islande : 12 km3 de lave s'échappèrent alors d'une fissure de 30 km de long libérant de grandes quantités de fluorures dans l'atmosphère. Ces composés, une fois retombés sur les pâturages, provoquèrent une contaminationcontamination massive intoxiquant le bétail (maladies osseuses, dentaires et mort de nombreuses bêtes). Près de 50 % du bétail islandais aurait péri et 20 % de la population islandaise (soit environ 10 000 personnes) aurait succombé à la famine créée par cet évènement causant l'une des plus grandes catastrophes démographiques dans l'histoire de l'île.
Au-delà de l'Islande, les émissions de gaz soufrés du Laki ont été suffisamment massives pour entrainer un refroidissement global (hiver volcanique) et un hiver particulièrement froid en Europe, affectant les récoltes, notamment en France, et contribuant à des pénuries alimentaires qui ont exacerbé les tensions économiques et sociales. Ces conditions ont été le terreau de la Révolution française (1789) qui elle-même a inspiré multiples soulèvements en Europe et dans le monde. L'histoire politique a ainsi été mise en mouvementmouvement par une éruption volcanique pourtant très peu explosive, et dont les volumesvolumes émis peuvent paraître dérisoires, notamment s'ils sont comparés à d'autres évènements éruptifs documentés aux échelles de temps géologiques comme la mise en place des grandes provinces magmatiques (Deccan, Sibérie, etc.).
Les éruptions du XIXᵉ siècle, impressionnisme et expressionnisme
Au contraire, l'éruption du Tambora en Indonésie en 1815, a été extrêmement explosive. Elle a entrainé « l'année sans été » de 1816 qui a vu les températures mondiales chuter de plusieurs degrés, provoquant des récoltes désastreuses en Europe et en Amérique du Nord, et entrainant famines et troubles sociaux, cette fois-ci moteur de migrations massives, notamment aux États-Unis. Cette éruption, projetant d'énormes quantités de cendres et de particules dans l'atmosphère, a engendré des couchers de soleilsoleil spectaculaires et un « ciel strié » pendant plusieurs mois.
Selon certains auteurs, ils ont pu inspirer des peintres comme William Turner (Le Dernier Voyage du Téméraire ; Le bateau négrier) et Caspar David Friedrich, dont des paysages romantiques, tels que dans le célèbre Voyageur au-dessus de la mer de nuagesnuages (1818), pourraient également refléter un ciel teinté par les cendres et les particules résultant de l'éruption.
L'éruption cataclysmique du Krakatoa, à la fin du XIXe (1883), en plus des tsunamistsunamis dévastateurs qui ont tué des dizaines de milliers de personnes en Indonésie et ses environs, a également entrainé des phénomènes lumineux mondiaux remarquables liés aux particules dispersées dans l'atmosphère. Une étude a ainsi établi un lien entre l'éruption du Krakatoa et le spectaculaire crépusculecrépuscule qui a inspiré l'une des peintures les plus célèbres du mouvement expressionniste : Le Cri. Ce lien entre l'éruption du Krakatoa et l'œuvre de Munch reste débattu, certains auteurs préférant voir dans ce ciel inquiétant une figuration du phénomène purement météorologique des « nuages nacrésnuages nacrés ».
Outre l'expressionnisme de Munch, certains auteurs estiment que l'impressionnisme de Claude Monet a pu être également influencé par le ciel chargé en aérosols volcaniques du Krakatoa. S'ils inspirent les volcanologuesvolcanologues, les grands peintres inspirent également les géochimistes de l'environnement, qui préfèrent eux voir dans certaines de leurs toiles une représentation de phénomènes optiques liés à la pollution atmosphérique croissante en pleine révolution industrielle.
Diminuer la vulnérabilité aux éruptions
Le XXe siècle n'a pas été exempt d'éruptions, mais il a vu apparaître toute une série de mesures destinées à minimiser leurs impacts sur les populations. L'éruption de la montagne Pelée en 1902, dévastant la ville de Saint-Pierre en Martinique, a fait plus de 30 000 victimes et engendré un déplacement massif de populations, modifiant la perception des risques volcaniques : les systèmes d'alerte ont été réévalués et des mesures de sécurité se sont développées et déployées dans les régions volcaniques.
De ce fait, l'éruption du Pinatubo (1991), aux Philippines, même si elle a été l'une des plus violentes du XXe siècle, a fait relativement peu de victimes (moins de 100) malgré la synchronicité de cet événement avec le passage du typhontyphon Yunya. La surveillance volcanique couplée à des évacuations massives, a probablement sauvé des milliers de vies. Les systèmes actuels de surveillance des volcans combinent plusieurs techniques : des sismomètressismomètres mesurant les vibrationsvibrations causées par les mouvements de magma, divers capteurscapteurs inspectant un éventuel bombement de la surface préalable à une éruption, des satellites de télédétection, des webcamswebcams et drones, ainsi que des dispositifs mesurant les émissions de gaz volcaniques. Des campagnes de sensibilisation et d'information et des procédures d'évacuation sont également préparées, limitant l'impact de possibles futures éruptions.
Les éruptions comme laboratoire d’étude
Très récemment, l'éruption sous-marineéruption sous-marine du Hunga Tonga, survenue le 15 janvier 2022 dans l'océan Pacifique Sud, a été d'une intensité extraordinaire, propulsant des cendres jusqu'à 58 km dans l'atmosphère et déclenchant des tsunamis dans plusieurs régions (l'Océanie mais également le Pérou ou la Californie).
Elle est considérée comme l'une des plus puissantes de l'histoire moderne, déployant une énergieénergie cent fois supérieure à celle de la bombe nucléaire d'Hiroshima. Cette éruption a injecté environ 150 mégatonnes de vapeur d'eau dans la stratosphèrestratosphère, augmentant de 10 % la teneur stratosphérique en vapeur d'eau. Les températures dans la stratosphère tropicale ont de ce fait diminué d'environ 4 °C en mars et avril 2022. Les immenses quantités de vapeur d'eau injectées dans l'atmosphère par ce volcan ont, d'une certaine façon, permis de réaliser une expérience naturelle de géo-ingénierie, cette solution étant parfois envisagée comme une lutte de dernier recours contre le changement climatique.
Les éruptions volcaniques et leur étude n'ont sans doute pas fini d'influencer notre histoire.