Des résultats sur le terrain du premier fertilisant agricole de Toopi Organics semblent prometteurs. L'épandage de biostimulants à base d'urine pourrait permettre de diviser par deux l’usage des engrais phosphatés.
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« On ne peut pas continuer comme ça, reconnait Aurélien Guers, agriculteur à Chézy dans l'Allier (région Auvergne-Rhône-Alpes). Il faut trouver des solutions pour remplacer les engrais chimiques dans nos cultures. Tout en conservant des rendements stables et sans surcoût. » Telle est la difficile équationéquation d'une exploitation agricole conventionnelle et le meilleur moyen de juger, c'est bien d'expérimenter ! Ce qu'a fait Aurélien Guers, curieux de tester le nouveau fertilisant de la start-upstart-up Toopi Organics, baptisé Bactipi, déniché par son négociant en engrais, Olivier Vera, directeur de Fertitrade, toujours à l'affût d'innovations. Bactipi est un biostimulant produit à partir d'urine recyclée, riche en bactéries censées aider les plantes à assimiler le phosphorephosphore.
« On teste tous les ans de nouvelles solutions, précise le jeune agriculteur à la tête avec son frère d'une exploitation de 400 hectares (ha) pour moitié en herbe pour leur cheptel de bovins. Vu les piètres résultats obtenus jusque-là, on est devenus sceptiques. J'avoue que, pour la première fois, compte tenu des résultats avec Bactipi, nous comptons tester cela en plus grand l'an prochain sur une partie de nos 70 à 80 ha de maïsmaïs ».
En pratique, ils sèment le maïs en rotation avec du blé et de l'herbe sur 2 ans et ils fertilisent leurs terres, au moment du labour, avec le fumier de leurs bovins ou des fientes de volailles achetées, puis au moment du semis, avec un engrais chimique organique, du DAP 18/46. Déposé à quelques centimètres du rang de semis, cet « engrais starter » apporte à la graine de maïs les premières doses d'azoteazote (18 unités, il en faudra 260 tout au long de la culture pour atteindre le rendement visé de 130 quintaux, soit 13 tonnes par hectare) et du phosphore (46 unités).
Sur la base de résultats expérimentaux à petite échelle, le Bactipi avait vocation à remplacer ce premier épandage d'engrais, mais le produit n'avait encore jamais été testé dans une ferme. Aurélien Guers l'a utilisé (pulvérisé en avril, 3 jours après le semis), selon quatre procédures à chaque fois sur une largeur de semoir, soit 6 rangs de maïs : aucun engrais et la dose maximum préconisée de Bactipi (25 litres/ha), de l'engrais à demi dose (50 kgkg/ha) et 25 l/ha de Bactipi, de l'engrais à demi dose (50 kg/ha) et Bactipi à demi dose (12,5 l/ha), enfin l'engrais à dose normale (100 kg/ha) et Bactipi à demi dose (12,5 l/ha).
Des rendements inchangés avec moins d’engrais
« Au moment de la récolte, la moissonneuse affiche les rendements moyens en temps réel, raconte-t-il. Cette année, avec 100 kg de DAP 18/46, le rendement de notre parcelle était d'environ 130 quintaux. On a d'abord été déçus de voir qu'il diminuait à 120 quintaux en l'absence d'engrais. Mais le rendement restait inchangé dans les trois autres conditions d'essai, avec l'engrais à mi-dose ou à dose normale ». Ce fertilisant ne remplacerait donc pas l'engrais mais il permettrait d'en diminuer la dose de moitié.
Comme nous l'explique un expert en biostimulants : « Ce résultat est cohérent avec le fait que ce type de produit aide la plante à assimiler le phosphore mais n'apporte aucun élément nutritif, ceux-ci doivent être disponibles dans le sol au préalable. L'efficacité du produit dépend de la qualité du sol et de celle des souches bactériennes sélectionnées ».
Prochaine étape pour Aurélien Guers : affiner les conditions d'utilisation du produit à plus grande échelle, car sa composition, à base de bactériesbactéries, nécessite plus de vigilance que les produits phytosanitaires classiques : « Il faut l'appliquer à des températures entre 10 et 25 °C et sans gelgel dans les jours qui suivent », note l'agriculteur. Et côté coût, pour lui, même si les prix des engrais ont explosé cette année, ce n'est pas le sujet : « Il faut avant tout que ça marche pour qu'on poursuive. Quant à l'origine du produit, l'urine, même si cela nous a d'abord étonnés, concrètement, ça ressemble aux autres produits chimiques, sauf qu'on n'a pas besoin de se protéger. »
Une start-up produit des fertilisants à base d’urine (1/2)
Cette start-up de la région bordelaise propose une solution écologique et économique qui pourrait connaître un bel essor : le recyclagerecyclage de l'urine sous forme de fertilisants agricoles.
Article d'Isabelle BellinIsabelle Bellin, publié le 20 janvier 2022
Lancer une start-up qui recycle l'urine, il fallait oser ! Michael Roes a créé Toopi Organics en février 2019 : « J'en avais assez de ce monde de merde ! J'avais envie de donner du sens à ma vie. En faisant mon potager, j'ai commencé à fabriquer mes propres engrais et de fil en aiguille, j'ai eu l'idée de recycler l'urine. »
L'idée est simple. De quels éléments nutritifs du sol une plante a-t-elle besoin ? D'azote, de phosphore, de potassiumpotassium et d'une multitude d'oligo-élémentsoligo-éléments (cuivrecuivre, ferfer, magnésiummagnésium, manganèsemanganèse, soufresoufre, zinczinc, etc.). Et ce sont les micro-organismesmicro-organismes du sol, notamment les bactéries, qui mettent ces éléments à disposition des plantes en dégradant la matièrematière organique. La plante assimile tout cela par ses racines et fournit en retour beaucoup d'éléments nutritifs aux micro-organismes comme des sucressucres. L'idée de Michael Roes, brevetée, est d'utiliser l'urine comme milieu de culture de bactéries à vocation agricole.
« Il suffit de chauffer l'urine avec une source de sucre puis d'ajouter des souches de bactéries, explique-t-il. En quelques jours, on obtient le produit fini : un liquideliquide concentré en bactéries à épandre directement sur le sol. » Ce produit n'est pas un engrais à proprement parler - il n'apporte pas les éléments nutritifs -, c'est un autre type de fertilisant, un produit microbien que l'on appelle un biostimulant : grâce aux bactéries qu'il contient, il aide les plantes à assimiler les nutrimentsnutriments. Il en existe beaucoup. Leur qualité dépend des souches microbiennes utilisées. S'ils l'obtiennent, l'autorisation de mise sur le marchéautorisation de mise sur le marché qu'ils ont sollicitée en France sera une garantie. « Nous devrions commercialiser notre premier biostimulant pour l'assimilation du phosphore en 2022, annonce Michael Roes. Pour l'agricultureagriculture, ce sera une alternative aux engrais phosphatés produits à partir d'exploitations minières au Maroc ou en Russie. »
Suivra un biostimulant permettant la fertilisation azotée du sojasoja et autres légumineuseslégumineuses. « Selon les premières évaluations menées par la plateforme d'essais agronomiques Astria, ce produit est tout aussi efficace et bien plus compétitif que les produits actuellement disponibles sur le marché, poursuit-il. Nous préparons également des produits à vocation fongicidefongicide ou insecticideinsecticide qui pourront remplacer les pesticides. L'idée est d'adapter le produit aux besoins locaux du sol, en enrichissant l'urine avec les bactéries ad-hoc. » Quid des résidus médicamenteux ? « Notre solution est dans tous les cas moins polluante que les technologies coûteuses des stations d'épuration (à base de bactéries aussi) qui rejettent l'eau dans les rivières alors que le sol est un milieu filtrant naturel, assure-t-il. Par ailleurs, la collecte séparative d'urine s'imposera si on veut éliminer totalement ces polluants. Dès lors, autant la valoriser ! »
Des partenariats locaux
Le modèle de développement de Toopi Organics est basé sur des partenariats locaux avec des collectivités, des collecteurs et des coopératives dans un rayon de 100 kilomètres autour des unités de transformation. La première est installée à Loupiac de la Réole (Gironde) et pourra produire 2.500 litres par jour. Une seconde est en projet près de Poitiers. Côté collecte, cela suppose de remplacer les urinoirs classiques à eau par des urinoirs secs reliés à une cuve de récupération. La démarche semble convaincre. Les partenariats se multiplient : avec La Fumainerie (collecte chez les particuliers à Bordeaux), les départements et les régions pour équiper collèges et lycées, Vinci pour les aires d'autoroutes ou encore le Futuroscope. Les collectivités territoriales sont également intéressées : « 1 m3 d'urine collectée, c'est 10 m3 d'effluents en moins à traiter dans les stations d'épuration ! », affirme Michael Roes.
Quid du modèle économique ? « Selon les fonctionnalités, nos produits coûteront quatre à cinq fois moins cher que les produits actuels, engrais ou produits microbiens, pour les mêmes effets bénéfiques mais sans risque de fluctuation, précise Michael Roes. L'urine est une matière première inépuisable et universelle ! » Les demandes affluent, de plus de 60 pays. La start-up annonce une filiale en Belgique en 2022, des discussions avec les gouvernements du Bénin et du Kenya, etc. Comme il l'explique : « Notre solution est particulièrement adaptée pour l'Afrique. Il suffit d'installer des toilettes sèches, pas besoin de réseau d'eau ni d'assainissementassainissement. Et un engrais à bas coût à la clé ! » Toopi Organics a reçu de nombreux prix d'innovation et prépare une grosse levée de fonds en 2022.