La question peut sembler incongrue à qui a conscience de l’importance de la crise dans laquelle nous sommes plongés. Mais, en ces temps troublés, François Gemenne, professeur à l’école des hautes études commerciales (HEC), président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme et membre du Giec n’hésite pas à bousculer nos certitudes.


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    Les sondages continuent de montrer le niveau élevé de préoccupation des Français eu égard à la situation de crise environnementale dans laquelle nous nous trouvons. La plus grande enquête d'opinion publique jamais réalisée sur le changement climatique, le Peoples' Climate Vote 2024, vient d'être publiée. Elle révèle que près de la moitié des Français sont plus inquiets cette année qu'ils ne l'étaient l'année dernière. Et que 80 % d'entre eux souhaitent désormais que le gouvernement prenne des mesures plus fermes pour lutter contre le réchauffement climatique.

    Pourtant, selon un sondage réalisé par Elabe pour BFM, le pouvoir d'achat et l'immigration sont les deux premiers thèmes qui ont motivé le vote des Français aux dernières élections européennes. Et l'environnement, qui faisait figure, en 2019, de principale préoccupation, n'arrive plus aujourd'hui qu'en troisième position. Au coude à coude avec la santé et la sécurité.

    L’inquiétude ne fait pas la priorité politique

    Les questions environnementales d'ailleurs, ont été, pour ainsi dire, absentes de la campagne des Européennes. Elles le sont quasiment aussi de la campagne des élections législatives anticipées. Et pour qui suit l'actualité environnementale, cela peut sembler tout à fait incongru. « Cela ne l'est pas tant que ça », estime François Gemenne, professeur à l'école des hautes études commerciales (HEC), président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climatGroupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). « Beaucoup de gens font l'erreur de penser que les préoccupations des Français correspondent à leurs priorités politiques. Or, les Français votent tout naturellement en fonction de leurs intérêts directs. Qu'est-ce que je peux espérer du mandat qui s'ouvre ? C'est la question qu'ils se posent avant de mettre leur bulletin dans l'urne. Or, ils ont bien compris que les effets du changement climatique qu'ils vivront personnellement ne sont pas directement corrélés à leur propre niveau d'émissionémission. Il y a un décalage, à la fois dans le temps et dans l'espace. Sur les questions de chômage, d'immigration, d'insécurité, les politiques peuvent promettre qu'ils vont les régler en 5 ans. Ils ne le feront pas, bien sûr, mais ils peuvent le promettre. Pour le climat c'est plus compliqué. »

    « Par ailleurs, parler réchauffement climatique, c'est souvent donner de mauvaises nouvelles. Et quand la transition est débattue, on l'associe, la plupart du temps, à des notions de contrainte, de sacrifice, de renoncement, d'effort, de limitation. Pour les femmes et les hommes politiques en campagne, c'est loin d'être vendeur. Pourtant, cette transition va réellement nous apporter des bénéfices. Des logements décarbonés, ce sont des logements plus confortables et qui coûtent moins cher. Une alimentation respectueuse de l'environnement, c'est une alimentation meilleure pour notre santé. »

    Éviter que le climat et l’environnement deviennent des sujets clivants

    Le constat est posé. « Mais faut-il absolument introduire ces thèmes environnementaux dans la campagne ? » demande ensuite François Gemenne. Une question qui dérange. Cependant, la réponse que livre le politologue fait sérieusement réfléchir. « Parler réchauffement climatique ou extinction de la biodiversité en pleine campagne, c'est courir le risque de faire de ces sujets des sujets clivants. Le risque, c'est notamment de voir se produire des changements de direction à chaque alternance de gouvernement. Ce serait dramatique pour la transition. Parce que les investisseurs ont besoin de signaux clairs et de long terme.

    Ce qui me tracasse, ce n’est pas qu’on n’en parle pas pendant la campagne.

    « Ce qui fait le succès du Green Deal européen, par exemple, c'est qu'il a été porté aussi bien par la droite que par la gauche. Si une politique de transition est trop marquée à gauche et qu'il arrive au pouvoir, un gouvernement de droite, celui-ci risque de revenir sur cette politique et d'envoyer ainsi des signaux de confusion et d'incertitude aux investisseurs. Nous n'avons certainement pas besoin de ça. Ces sujets-là doivent rassembler et être traités de manière consensuelle. Ils doivent s'intégrer dans un projet de société. Ils ne doivent surtout pas devenir trop partisans. Trop idéologiques. Or, l'idéologie, c'est très important dans une campagne électorale. Alors, finalement, ce qui me tracasse, ce n'est pas qu'on n'en parle pas pendant la campagne. Ce qui me tracasse, c'est qu'on ne fasse rien une fois élu », conclut François Gemenne.