L'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) pourrait voir son accès aux études scientifiques restreint aux seules données publiques pour émettre ses recommandations. Six éditeurs en chef de grands journaux scientifiques évoquent une catastrophe à venir si cela se produit.
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Une nouvelle règle venant contraindre les données scientifiques dont pourra se servir l'US Environnemental Protection Agency (EPA) va peut-être entrer en vigueur. Elle consiste en l'élaboration des lignes directrices concernant la protection de l'environnement sur la base des seules données scientifiques publiques, au nom de la transparencetransparence. Ladite règle pourrait même être rétrospective, c'est-à-dire qu'elle aurait le pouvoir d'agir à rebours, et donc d'annuler de potentielles mesures déjà mises en place, tout cela, toujours au nom de la transparence.
Six éditeurs s'insurgent
Après l'annonce de cette nouvelle, la réaction des scientifiques ne s'est fait guère attendre. Pas moins de six éditeurs en chef de revues très prestigieuses (Nature, Science, PLOS, PNAS, The Lancet, et Cell) ont fortement critiqué cette nouvelle mesure : « En tant que responsables de revues à comité de lecture, nous soutenons le partage ouvert des données de recherche, mais nous reconnaissons également la validité des études scientifiques qui, pour des raisons de confidentialitéconfidentialité, ne peuvent pas partager sans distinction toutes les données. » Ces derniers pensent notamment aux données médicales des individus qui seraient rendues inexploitables par une telle réglementation. Même sans son caractère rétroactif, ces scientifiques ne mâchent pas leur mot : « ce serait une catastrophe ».
Que vaut l'argument de la transparence ?
S'il y a bien une question qu'il faut aussi se poser, c'est celle-ci. Que vaut l'argument de la transparence ? Si l'on souhaite être exhaustif, il faut essayer d'envisager quelles prémisses (souvent implicites) mènent à la conclusion que cette règle peut être adoptée au nom de la transparence. Lorsqu'on y réfléchit, cela peut donner ceci :
- postulatpostulat implicite : les données issues de recherches non publiques peuvent être biaisées par des conflits d'intérêts privés ;
- prémisse implicite : la transparence et les données publiques permettent d'éviter ces conflits d'intérêts. Elle est donc gage de sûreté ;
- conclusion logique (la seule chose présentée par le corps politique) : au nom de la transparence, l'EPA doit donc se baser uniquement sur des données publiques pour éviter les conflits d'intérêts.
On peut se demander si les données privées sont forcément biaisées (si ce n'est pas le cas, le postulat est erroné). N'y a-t-il pas un monde entre un lien et un conflit d'intérêt ? En effet, selon plusieurs études, nous ne serions (approximativement) qu'à six poignées de main de toute l'humanité (la première instaurée par Stanley Milgram, les secondes réalisées par Duncan Watts et Albert-Làszlo Barbàsi respectivement). Une aubaine pour les complotistes en recherche de conflits d'intérêts permanents.
Plus sérieusement, un conflit d'intérêt se doit d'être corroborer par des preuves, et non par des spéculations. Enfin, la transparence est-elle réellement un gage de sûreté (si ce n'est pas le cas, c'est notre prémisse qui est erronée) ? N'y a-t-il pas des conflits d'intérêts inhérents à un gouvernement ? Surtout venant d'une administration américaine où pullule le climato-scepticisme ? Nous le voyons, l'argument de la transparence, aussi intuitif soit-il, regorge de faiblesses, et il semblerait dangereux qu'une telle règle soit adoptée au nom de cette même transparence.
Ce qu’il faut
retenir
- Une nouvelle règle limitant l'exploitation de données scientifiques privées pourrait être adopter aux États-Unis.
- Six éditeurs en chef, responsables de revues scientifiques de prestige se sont insurgés contre l'adoption de cette réglementation.
- L'argument de la transparence, brandi haut et fort par le corps politique, aussi intuitif soit-il, peut s'avérer bancal dans sa construction.