Cruciales pour la biodiversité, les aires protégées sont vulnérables face aux dynamiques politiques, comme le montre cette étude prenant l'exemple des États-Unis. De 2001 à 2018, la majorité républicaine au Congrès a souvent favorisé leur déclassement ou leur réduction pour des motifs économiques. Bien que certaines mesures visaient à restaurer des droits aux populations autochtones, cette fragilité souligne l'importance de surveiller et d'anticiper ces processus pour préserver durablement les efforts de conservation.
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Les espaces naturels protégés ne sont pas éternels et restent vulnérables aux changements politiques. Ainsi, aux États-Unis, des liens robustes sont établis entre une majorité républicaine au Congrès et des politiques visant à réduire, supprimer ou déclassifier les aires protégées. Celles-ci sont cruciales pour la préservation de la biodiversité à l'échelle mondiale. La COP 15 de la biodiversité en 2022 aboutissait à la promesse de sanctuariser 30 % de la biodiversité terrestre et marine d'ici à 2030. Alors que la COP16 commence, cet objectif semble loin d'être atteint, avec seulement 8,35 % des mers et 17,5 % des terres sont aujourd'hui protégés. Un avancement minime depuis 2022.
Que se passe-t-il pour la biodiversité quand différentes familles politiques se succèdent au pouvoir ? À l'approche des élections présidentielles américaines, les enjeux soulevés par cette question prennent une importance particulière. Nos travaux montrent que lorsque les Républicains gouvernent à l'échelle locale, les déclassements, les réductions ou suppressions des aires protégées deviennent plus probables. Mais pour comprendre comment nous avons pu arriver à ce résultat, reprenons les bases : à quoi sert une aire protégée, qu'est-ce qui menace généralement celles-ci ?
Qu’est-ce qu’une aire protégée ?
Les aires protégées sont des outils couramment utilisés dans les politiques environnementales. Selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICNUICN), une aire protégée est un « espace géographique clairement défini, reconnu, dédié et géré par des moyens efficaces, qu'ils soient juridiques ou autres, pour assurer la conservation à long terme de la nature, ainsi que des services écosystémiques et des valeurs culturelles qui y sont associés ».
Fin 2019, 15 % des écosystèmes terrestres bénéficiaient de cette mesure de conservation, un chiffre encore inférieur à l'objectif de 17 % fixé par l'UICN pour 2020. En 2022, la COP15 a abouti à un accord visant à protéger 30 % des terres, des mers et des eaux douces de la Planète d'ici 2030.
Les premières aires protégées ont été établies à la fin du XIXe siècle, et leur adoption s'est généralisée à la fin du XXe siècle, notamment après la Convention sur la diversité biologique lors du Sommet de Rio en 1992. Les États-Unis, berceau des premières aires protégées modernes avec les parcs nationaux de Yellowstone, créé en 1872 et Yosemite, créé en 1890, ont longtemps été des leaders mondiaux en matièrematière de conservation de l'environnement.
Les aires protégées ne sont pas éternelles
Cependant, la pérennité des efforts de conservation n'est pas garantie. En d'autres termes, certaines aires protégées peuvent être supprimées, réduites ou déclassifiées. Ces décisions politiques, intitulées PADDD (pour Protected Area Downgrading DownsizingDownsizing and Degazettement), ont été documentées au niveau global. Le déclassement (downgrading) réduit le niveau de protection d'une aire protégée en autorisant de nouvelles activités humaines, la réduction (downsizing) diminue sa superficie, et le dégazettement (degazettement) retire entièrement son statut d'aire protégée.
Depuis 1892, environ 3 800 PADDD ont été recensés dans 73 pays. Un certain nombre d'études s'est penché sur les facteurs économiques pouvant expliquer cette diminution de la protection. Par exemple, dans le cas du Brésil, il a été montré que des pressionspressions liées au développement économique (par exemple la proximité d'axes de communication) peuvent expliquer la survenance de PADDD, de même que le mode de gestion des aires protégées : réduire le degré de protection ou la taille d'une aire protégée devient plus probable lorsque celle-ci s'avère inefficace (avec un fort taux de déforestation) et plus coûteuse (plus grande surface de protection, protection plus stricte).
Jusqu'à présent, les chercheurs se sont surtout intéressés à la suppression des aires protégées dans les pays du Sud, et les motivations économiques derrière leur destruction, les dynamiques politiques ayant été peu étudiées. C'est pour répondre à ce double manque que nous avons tâché d'étudier la manière dont les changements de représentation politique aux États-Unis influencent la suppression des aires protégées.
Sous influence républicaine, des réductions d’aires protégées plus fréquentes
Les États-Unis font partie des pays où les déclassements et les réductions des aires protégées sont les plus importantes. À titre d'exemple, en 2017, le Congrès américain a approuvé l'exploitation pétrolière et gazière dans l'Arctic National Wildlife Refuge. La même année, le président Trump a procédé aux plus grandes réductions d'aires protégées de l'histoire des États-Unis, réduisant les monuments nationaux de Bears Ears de 85 % et de Grand Staircase-Escalante de 51 %. Aux États-Unis, ces décisions relèvent principalement du Congrès.
Les législations sont tout d'abord proposées puis examinées et modifiées avant d'être soumises au vote et être éventuellement approuvées. Ces décisions peuvent aussi être directement appliquées par le pouvoir exécutif au niveau fédéral et national. Dans ce travail, nous nous sommes intéressés au rôle du Congrès dont les membres de la chambre des représentants et du Sénat sont élus respectivement dans leur district ou dans leur État. Nous supposons donc qu'ils prennent en compte les dynamiques locales, notamment en ce qui concerne les aires protégées, lorsqu'ils proposent ou votent des projets de loi.
Dans ce cadre, notre objectif était de mieux comprendre si les dynamiques politiques observées lors des deux dernières décennies ont eu une influence sur les PADDD, qu'ils soient simplement proposés ou promulgués. En effet, de nombreux chercheurs ont observé une forte augmentation de la polarisation, notamment en ce qui concerne les questions environnementales, entre Républicains et Démocrates, d'un point de vue géographique (entre différents États et districts) et temporel (d'une année à une autre).
Un lien robuste entre réduction des aires protégées et Républicains au Congrès
Pour cela, nous avons combiné la base de donnéesbase de données PADDD TrackerTracker, qui recense et localise les évènements de réduction d'efforts de conservation, des données sur l'ensemble des aires protégées américaines, ainsi que les données électorales de la League of Conservation Voters. Au total, sur la période 2001-2018, on dénombre 861 propositions et 233 mesures adoptées par la Chambre des représentants et le Sénat. Parmi celles-ci, 588 propositions (5 adoptions) concernaient des infrastructures, 96 propositions (2 adoptions) portaient sur des extractions minières ou pétrolières, tandis que 223 propositions (222 adoptions) ont été faites pour des raisons de subsistance (celles-ci visaient à restaurer des droits aux populations autochtones sans que cela ne nuise à l'environnement).
Il nous a alors été possible d'établir un lien statistique robuste entre la présence de Républicains au Congrès, et les PADDD. En effet, nos analyses révèlent que lorsqu'un district passe d'une représentation démocrate à une représentation républicaine, la probabilité de propositions ou d'adoptions de déclassements ou réductions d'aires protégées augmente de 2,1 % à 4,7 %. De plus, lorsque les majorités à la Chambre des représentants et au Sénat basculent en faveur des Républicains, cette probabilité grimpe de 0,1 % à 4,3 % pour la Chambre des représentants et de 2,2 % à 5,7 % pour le Sénat.
Tous ces résultats concernent principalement les propositions de déclassement, et non les adoptions. En effet, la grande majorité des déclassements approuvés visaient à restituer des terres aux tribus autochtones. La dynamique politique de ces décisions diffère fortement de celle observée dans le cadre des propositions de déclassement liées à un changement de majorité républicaine.
Des réductions principalement faites au nom du développement économique
Bien que toutes les propositions de PADDD ne soient pas adoptées in fine, elles sont loin d'être inoffensives, dans le sens où elles mettent une pression au maintien des politiques, et ouvrent une « fenêtrefenêtre d'Overton » qui fragilise les efforts de conservation en modifiant la perception de la faisabilité de telles actions.
Ces résultats montrent, qu'au-delà des pressions économiques, les efforts de conservation sont vulnérables aux dynamiques politiques. Cela illustre l'influence des orientations politiques des élus sur les décisions de protection de la nature, les Républicains augmentant significativement le risque de voir ces mesures mises en avant lors de leur prise de pouvoir. Certaines mesures, cependant, visent à corriger des injustices sociales, notamment en restaurant les droits des populations autochtones sans que cela ne nuise à l'environnement.
Il est important de retenir de cette étude que la majorité des événements de réduction ou suppression des aires protégées sont motivés par des objectifs de développement économique, comme les infrastructures ou l'exploitation des ressources naturelles, avec des impacts souvent négatifs sur la conservation. Les décisions PADDD peuvent en effet concerner plusieurs aires protégées en même temps et couvrir plusieurs États. Par exemple, de nombreux événements aux États-Unis concernaient la mise en place d'infrastructures de sécurité près de la frontière avec le Mexique, ce qui pourrait entraîner une fragmentation de l’habitat et une perte de biodiversité.
Au total, cette étude souligne l'importance d'un suivi des processus de déclassement, de réduction et de suppression des aires protégées (PADDD). Une bonne compréhension de ces processus est essentielle pour anticiper et prévenir leurs impacts négatifs. Identifier les facteurs qui influencent ces événements permet de concevoir des réponses proactives et adaptées. Ces informations jouent un rôle clé pour éviter des conséquences environnementales et sociales néfastes associées aux PADDD et renforcer la gestion durable des aires protégées.