Yann Arthus-Bertrand, parrain de Futura depuis ses débuts, est notre dernier invité spécial de notre série « rédacteurs en chef invités », lancée pour le 20e anniversaire du site que nous fêtons cette année. Pour nous, il revient sur la crise écologique qui frappe notre monde.
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Grand photographe-reporter qu'on ne présente plus, célèbre dans le monde entier pour son travail et ses films documentaires Home, Human, Legacy, faisant le constat accablant des dégradations écologiques qui affectent autant les non-humains que les humains, partage avec nous ses sentiments et réactions sur la situation d'aujourd'hui, 12 ans après Home.
Nous sommes à la fin du mois d'août quand cet entretien a été réalisé, quelques jours après la publication du 6e rapport du Giec et... l'annonce que Lionel Messi va rejoindre le PSG.
Bande-annonce du film Legacy. © GoodPlanet
« On n'a pas du tout écouté les scientifiques »
« Le dernier rapport du Giec est assez invraisemblable. Il faut reconnaître que toutes les dernières annonces montrent bien que tout ce que disaient les scientifiques était vrai, commente Yann Arthus-BertrandYann Arthus-Bertrand. Quand on pense que dans le rapport de Meadows, déjà - en 1972 - ils parlaient de 2020, et de crise de réchauffement planétaire, pas forcément d'un effondrementeffondrement, mais d'un réchauffement massif... et on s'aperçoit qu'aujourd'hui, certaines régions ont eu le mois de juillet le plus chaud qu'ils aient jamais eu... C'est assez invraisemblable, c'est assez angoissant tout cela, je trouve dans le fond, quand tu réfléchis un petit peu, profondément à ce que cela veut dire... Cela veut dire quand même un monde difficile, compliqué, dont ma génération est responsable, sans être coupable - ce qu'on ne savait pas -, mais on n'a pas du tout écouté les scientifiques, et je pense qu'ils n'ont pas été assez alarmistes aussi. »
“Je suis devenu presque grave”
« En plus, les scientifiques ne sont pas forcément des activistes, ils alignent les chiffres sans amener beaucoup de sentiments, en fin de compte, il y a peu d'activistes chez eux, il y en a peu qui sont à la tête de Greenpeace, etc. Cela manque toujours un peu d'émotion. Alors là, aujourd'hui, c'est un peu différent quand j'entends Valérie Masson-DelmotteValérie Masson-Delmotte et d'autres, ils ont dans leur voix une inquiétude, on sent quelque chose... C'est grave ce qu'ils disent quand on parle de la sixième extinction de masse, on parle de la vie, on parle de gens qu'on aime quelque part. C'est assez angoissant de dire : voilà, tout ce qu'on a vécu en tant qu'Être humain pendant ces 20.000 dernières années, eh bien on ne pourra plus le vivre maintenant, c'est parti à jamais par notre faute... C'est assez angoissant tout cela, je trouve. Ce n'est pas quelque chose que je prends à la légère. Je suis devenu presque grave. »
« Pourtant le monde continue : quand tu commences à en parler, les gens changent de conversation, cela les ennuie quelque part. Et quand tu as vraiment pris conscience de cela... ». Yann Arthus-Bertrand évoque alors le film Quand on sait, réalisé par l'un de ses collaborateurs et ami Emmanuel Cappellin : « quand on sait, quand on a compris, on n'est plus le même. Mais je pense qu'aujourd'hui, personne n'a vraiment compris. Là, où je suis en vacances, je vois passer des centaines de bateaux à moteur autour de moi... Aujourd'hui, avec mon bateau-moteur, je vais juste faire des courses, mais je ne vais plus sur les plages me promener pour emmener mes petits-enfants, je n'ai plus envie de faire cela... J'ai envie d'être utile... Que l'énergie fossile que je dépense soit utile, qu'elle ne soit pas que pour que du plaisir. »
Les 150
Le réalisateur de Home, qui travaille depuis plusieurs mois sur son dernier projet Les 150 – des citoyens s'engagent après la Convention citoyenne pour le climat - diffusé ce soir à 20 h 30 sur la chaîne parlementaire LCP, raconte combien il a été « très marqué par la Convention citoyenne sur le climat », félicitant au passage tous ceux qui l'ont organisée, « c'est incroyable de voir que des gens qui, souvent, ne connaissaient rien à l'écologie sont devenus encore plus radical que moi je peux l'être, ce qui est assez étonnant, et radical dans le sens qu'ils ont pris sur leurs épaules leur rôle de citoyens, de responsabilité citoyenne et cela, c'est un truc qu'on a complètement perdu... On attend toujours que l'État fasse pour nous, c'est la faute des lobbies, et c'est jamais de notre faute en fin de compte », observe-t-il.
Mais ne sont-ils pas un peu déçus par l'issue de la Convention ? Certains ont en effet affiché leur mécontentement face aux promesses non tenues par le président de la République.
« Qui n'est pas déçu aujourd'hui ? Est-ce que moi, je ne suis pas déçu par ce qu'on fait ? Ce n'est pas cela qui nous empêche d'avancer, être déçu cela fait partie du monde de l'écologie... L'écologie idéale, comme je la voudrais moi, c'est une utopie complète, une utopie où l'on arrête de tuer les animaux pour les consommer de cette façon-là ; ça, ce serait vraiment un truc d'arrêter de « manger » de la viande industrielle, on peut arrêter très facilement, ce n'est pas difficile à faire. »
Faisant écho aux images d'agriculture intensive dans Legacy, Yann Arthus-Bertrand cite Rémi Dupuis, un journaliste de l'environnement avec qui il travaille en ce moment sur un film sur la biodiversité, qui lui avait écrit : « l'industrie détruit la notion-même d'élevage, un pacte pourtant ancien et inestimable passé avec la nature ». « J'aime beaucoup cette phrase..., cette notion d'industrie où plus rien n'a de la valeur, une tranche de jambon n'a aucune valeur, elle ne vaut (presque) plus rien d'ailleurs... : si elle est périmée, on la jette, les enfants ne la mangent pas, alors que la viande de l'animal que tu as tué a une valeur, il ne faut pas qu'il soit mort pour rien. Et c'est là où l'écologie est complètement dans un rôle utopique, ajoute-t-il, comment tu peux imaginer que d'un seul coup tout cela va s'arrêter... Si on regarde les élevages de cochons avec les alguesalgues vertes, on n'arrive pas à régler le problème, c'est une espèceespèce de machine infernale dans laquelle les paysans se sont installés. On a beaucoup de mal à dire qu'on s'est trompé, on recommence à zéro, personne n'ose le dire, on va aider les agriculteurs, on est prêt à payer la viande animale beaucoup plus chère, le vrai prix, pas le prix qu'on paie aujourd'hui... »
Le film Home, sorti en 2009. © GoodPlanet
L’harmonie de l’Homme avec la nature
« On est dans ce monde d'effondrement, alors je ne sais pas si c'est un effondrement, mais un monde en train de changer, on ne sait pas comment on va rattraper cela..., cette harmonie de l’Homme avec la nature autour de soi. L'harmonie, c'est très important. Quand j'étais au Kenya à étudier les lionslions, je voyais les animaux qui passaient devant moi, les antilopesantilopes mais quel pied ce serait si aujourd'hui les cerfs dans la forêt de Rambouillet, j'arrivais à les voir comme cela, passer devant moi, et sans avoir peur de moi... ! Alors, les chasseurs te disent qu'un animal qui n'a pas peur de l'Homme n'est pas un animal sauvage... Cela ne veut rien dire ! Un animal sauvage, c'est un animal qui n'a pas besoin de nous pour vivre ; il peut ne pas avoir peur de toi et rester sauvage ! C'est marrant comment cette notion de sauvage voudrait dire avoir peur de l'Homme... »
“Si, nous, les riches, les gens qui ont de la chance, les privilégiés, on n’est pas capable de changer, on ne va pas demander aux gens qui n’ont pas les moyens de le faire, c'est n'importe quoi !”
Le réalisateur revient sur la fin du film Legacy, quand il explique aux spectateurs qu'il n'a pas toujours eu de comportements exemplaires, « j'ai assez fait d'hélicoptèreshélicoptères, d'avions, assez manger de viande dans ma vie, je n'ai de leçons à donner à personne ». Toutefois, aujourd'hui, « devant ces signes de catastrophes écologiques, est-ce que ne pas être radical a du sens ? », interroge-t-il. « Aujourd'hui, il faut être radical, c'est le seul sens qu'on peut avoir dans ce qui est en train d'arriver. En plus, moi je suis un privilégié, continue-t-il, je suis quelqu'un qui a les moyens de payer un peu plus cher, j'ai les moyens d'avoir une voiture électriquevoiture électrique, les moyens de ne plus prendre l'avion. Alors si, nous, les riches, les gens qui ont de la chance, les privilégiés, on n'est pas capable de changer, on ne va pas demander aux gens qui n'ont pas les moyens de le faire, c'est n'importe quoi ! » Et à ce sujet, « ce n'est pas normal que le bio soit beaucoup plus cher que le reste, lance-t-il. C'est bien que le bio ait une croissance à deux chiffres, et que cela marche de mieux en mieux, mais est-ce que cela aide les paysans à mieux vivre, je ne sais pas ».
La banalité du mal
Les vidéos de L214 sur les élevages intensifs d'animaux ? C'est la « banalité du mal » : « cela devient bien banal ; la souffrance animale à l'abattoir est banale. Tu prends de la viande, c'est banal », s'indigne Yann Arthus-Bertrand. Les barquettes de viande en promotion, comme on en voit partout ? « Cela me dégoûte à tous les niveaux. Et en même temps, c'est les vacances [vacances d'été, NDLRNDLR], les gens ont envie de profiter de la vie, de ne pas s'embarrasser avec le changement climatique, la perte de biodiversité, tout cela passe au-dessus de la tête », constate-t-il, amer, soulignant au passage que les manifestations contre le pass sanitaire ce samedi-là attendent 250.000 personnes : « jamais, on n'a réussi à faire une manifestation de 250.000 personnes pour La Marche contre le Climat. Jamais ».
“Jamais, on n’a réussi à faire une manifestation de 250.000 personnes pour la Marche contre le Climat !”
« Les gens ont besoin d'espoir »
Est-ce que parler d'écologie en mode positif, comme certains le réclament, pourrait changer les prises de conscience ?
« Cela est l'avis des gens qui ne comprennent pas ce que c'est. Quand je vois que Legacy a été refusé par France Télévisions, TF1, Canal plus, Arte, etc., alors que c'est un super film... Les gens ont besoin d'espoir. Si tu fais, un film qui ne parle que de mauvaises nouvelles, les gens n'ont pas envie de l'écouter, et donc, on cherche absolument de l'espoir, des bonnes nouvelles », comme les nouvelles technologies, soi-disant prometteuses de solutions pour endiguer le réchauffement climatiqueréchauffement climatique.
Et les nouvelles technologies, comme les vols spatiaux touristiques qui ont beaucoup fait parler d'eux cette année : « je trouve cela presque indécent : on est épaté par ces milliardaires qui partent dans l'espace pendant 10 minutes... cela ne veut rien dire ! » À ce propos, Yann Arthus-Bertrand cite une tribune de l'astrophysicienastrophysicien et exobiologiste Louis d'Hendecourt, publiée en août 2021 dans Le Monde : « Elon MuskElon Musk, Don Quichotte d'un nihilisme planétaire, adulé par la société ignorante en totale déconnexion avec la réalité scientifique » .
Dans quel monde vivrons-nous, nous et nos enfants, et nos petits-enfants, en 2030, en 2050, en 2100 ? Telle est la question qui hante le photographe et beaucoup d'entre nous.
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