Il ouvre des petites persiennes, fait rouler un véhicule de 100 g et peut tout aussi bien allumer une Led. Pourtant, ce moteur ne consomme que de l’eau. Mise au point par des chercheurs états-uniens, cette curieuse invention exploite des bactéries savamment déposées sur un support. Celles-ci changent rapidement de volume lorsqu'elles s’humidifient ou qu'elles sèchent.

La vidéo ci-dessus ressemble à une expérience de physique amusante. Elle a été publiée dans la revue scientifique Nature Communications et présente le fonctionnement d'une innovation née à l'université Columbia, aux États-Unis, dans le laboratoire d’Ozgur Sahin, au sein de l'équipe de Xi Chen. Là-bas, des chercheurs travaillent sur des applications en ingénierie des sciences biologiques. En 2014, l'équipe de Xi Chen avait déjà publié des résultats sur l'étonnante puissance mécanique développée par une population de bactéries du genre Bacillus. Selon les scientifiques, une fois exposés à des doses variables d'humidité, ces micro-organismes peuvent servir à actionner des systèmes divers, devenant des « actuateurs » comme disent les roboticiens. L'idée n'est pas si nouvelle puisqu'on a déjà vu des chercheurs voulant réaliser une sorte de chariot tiré par des bactéries.

L'équipe est allée un cran plus loin dans cet esprit bionique et vient de réaliser trois dispositifs qui fonctionnent réellement, en exploitant le même principe. Des spores de bactéries Bacillus subtilis sont déposées, et même collées en rangées sur une feuille de plastique souple, en polyimide, de 8 microns d'épaisseur. Lorsqu'elles sont exposées à un air très humide, ces spores gonflent et, à l'inverse, se contractent en cas de sécheresse. Cette réponse est systématique et rapide, si bien que ce film bactérien courbe la feuille de plastique dans un sens ou dans un autre selon qu'il se rétracte ou s'étend, donc en fonction de l'hygrométrie. En disposant intelligemment ces bactéries sur chaque face ou sur les deux, les chercheurs obtiennent une sorte de moteur commandé par l'humidité.

Le principe du piston et de la roue d'Eva est ici expliqué en détails (cliquez sur l'image pour l'agrandir). De a à c, les images des spores déposées sur les films de polyimide. En d, l'explication de la torsion entre le milieu sec (<em>dry</em>) et humide (<em>humid</em>). En e et f, le cas du piston : les bactéries sont déposées sur chaque face, en rangées décalées, provoquant des torsions inverses, ce qui crée un mouvement de ressort, montré en g, permettant la rotation des persiennes (h). En i et j, la roue entraînant Eva. Dans le compartiment humide, les plaquettes, recouvertes de bactéries sur une face, sont tendues car les micro-organismes se gonflent an absorbant de l'eau. Côté sec, elles font le contraire et, en se rétractant, plient les plaquettes. © Xi Chen <em>et al.</em>, <em>Nature Communications</em>

Le principe du piston et de la roue d'Eva est ici expliqué en détails (cliquez sur l'image pour l'agrandir). De a à c, les images des spores déposées sur les films de polyimide. En d, l'explication de la torsion entre le milieu sec (dry) et humide (humid). En e et f, le cas du piston : les bactéries sont déposées sur chaque face, en rangées décalées, provoquant des torsions inverses, ce qui crée un mouvement de ressort, montré en g, permettant la rotation des persiennes (h). En i et j, la roue entraînant Eva. Dans le compartiment humide, les plaquettes, recouvertes de bactéries sur une face, sont tendues car les micro-organismes se gonflent an absorbant de l'eau. Côté sec, elles font le contraire et, en se rétractant, plient les plaquettes. © Xi Chen et al., Nature Communications

Quelles applications pour ce « moteur à bactéries » ?

La roue actionnant le véhicule de 100 g que l'on voit avancer au début de la vidéo ci-dessus est hérissée de ces petites feuilles de plastique. Quand elles traversent le compartiment humidifié (par de l'eau coulant sur des feuilles de papier), elles se dressent. Du côté exposé à l'air, les petites plaques se plient, ce qui déplace le centre de gravité de l'ensemble, créant un couple qui fait pivoter la roue. Un élastique tendu entre le moyeu et l'une des roues d'Eva, puisque tel est le nom de ce véhicule, fait avancer cet engin à eau.

En disposant les spores sur deux faces en rangées décalées, le mouvement de la feuille devient un plissement ou une extension. Mécaniquement, celle-ci constitue un piston en mouvement linéaire, comme un muscle qui se contracte et se détend. Voilà comment s'ouvrent et se ferment les persiennes de la vidéo. De même, avec un générateur de courant, ce mouvement alternatif suffit pour allumer brièvement une Led. Plusieurs vidéos sont disponibles sur la chaîne ExtremeBio diffusée par YouTube.

Sur les applications potentielles, les chercheurs semblent assez enthousiastes, imaginant des systèmes de plus grandes tailles produisant de l'électricité ou encore des robots miniatures utilisés notamment à fins médicales et qui fonctionneraient sans batteries ni aucune source d'énergie. Les précisions manquent sur les puissances obtenues, qui doivent être minuscules, et sur la durée de vie de ces dispositifs, liée à la bonne santé de ces bacilles. Mais l'idée est belle...