Futura a échangé avec Pierre-Yves Plaçais est chercheur au sein du laboratoire Plasticité du Cerveau, où collaborent le CNRS et l'ESPCI de Paris. Il étudie le minuscule cerveau de la mouche drosophile pour percer à jour les secrets de la mémoire. Il a accepté de nous en dévoiler quelques uns, en particulier sur la mémoire à long terme. Rencontre.
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Dans le laboratoire qu'il codirige avec Thomas Préat, Pierre-Yves Plaçais étudie le lien étroit entre métabolisme énergétique et mémoire à long terme. « La manière dont le cerveau consomme de l'énergieénergie détermine le type de mémoire qu'il est capable de faire, la persistance de cette mémoire, et les populations de neurones dans lesquelles ces mémoires vont être encodées », détaille-t-il.
Pour comprendre ces mécanismes, son équipe soumet des mouches drosophilesdrosophiles à des conditionnements olfactifs. « Quand la mouche sent une odeur et reçoit en même temps un choc électrique, mais seulement une fois, elle va former une mémoire à court terme et une mémoire à moyen terme. »
Dans les deux cas, la mouche aura oublié au bout de quelques heures. Si les chercheurs veulent qu'elle forme une mémoire à long terme, qui peut persister jusqu'à une semaine, ils doivent effectuer plusieurs cycles de conditionnement. « Il est très important qu'il y ait un intervalle de repos entre chaque association odeur-choc électrique », précise Pierre-Yves Plaçais. Dans ces conditions, ils observent « une augmentation de la consommation de pyruvate par les mitochondries, dans les neurones des corps pédonculés ».
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Les corps pédonculés sont le centre de la mémoire dans le cerveau des insectesinsectes. Et la consommation de pyruvate indique que les mitochondries produisent de l'ATPATP, une forme d'énergie pour la cellule. « Cette augmentation du métabolisme du pyruvate est nécessaire et suffisante pour former la mémoire à long terme ». Tel est le lien entre métabolisme énergétique et mémorisation sur le long terme.
Comment la mitochondrie produit-elle de l'énergie, donc de l'ATP ? © Inserm, YouTube
La mouche drosophile : un modèle d'étude du cerveau idéal ?
Une manipulation génétiquegénétique a permis de confirmer cette observation. Dotées d'un métabolisme mitochondrial augmenté, « les mouches sont capables de faire de la mémoire à long terme après seulement deux cycles de conditionnement, au lieu de cinq usuellement ».
La mouche drosophile est un modèle privilégié pour l'étude du cerveau. Dans ce laboratoire, elle permet deux grands axes expérimentaux : l'un comportemental et le second d'imagerie in vivo.
Pour le premier, « on place les mouches dans des appareils fabriqués sur mesure, puis on les branche sur un circuit d'airair qui leur amène les odeurs, et dans le même temps, elles reçoivent des petits chocs électriques ». Le conditionnement est en place. Par la suite, les modifications que ce conditionnement engendre dans le cerveau sont visualisés in vivoin vivo.
« On utilise de la microscopie de fluorescence. Une fois la mouche conditionnée, on la fixe sur une lamelle en plastiqueplastique, et on effectue une petite chirurgiechirurgie pour découper un bout de cuticulecuticule sur le dessus de sa tête. Cela dégage un accès optique au cerveau. On place la mouche sous l'objectif du microscopemicroscope, et là, on peut enregistrer tout un tas de choses ! »
Rentrent en action les biosenseurs fluorescents. Il s'agit de protéinesprotéines fluorescentes conçues pour réagir avec tel ionion ou telle moléculemolécule spécifiquement. L'intensité de la fluorescente est alors proportionnelle à la concentration de l'ion ou de la molécule. « On va concevoir des lignées de drosophiles qui expriment ces biosenseurs de manière très bien contrôlée spatialement », et le tour est joué.
Aperçu des différentes techniques pour observer des cellules et leurs composants en microscopie. La microscopie à fluorescence est présentée à la minute 3:05. © Inserm, YouTube
Une implication des cellules gliales ?
Ce modèle d'étude a permis de révéler bien des secrets du cerveau. Dans un article de 2013, Pierre-Yves Plaçais et Thomas Préat montrent que si « les mouches sont à jeûn, elles ne peuvent plus former de mémoire à long terme ». Cette découverte leur a fait réaliser qu'il existe des mécanismes « régulant voire abolissant, certaines fonctions cérébrales, en particulier la mémoire à long terme », puisqu'il s'agit de la mémoire la plus coûteuse énergétiquement.
À présent, ils cherchent à comprendre s'il existe également une régulation du métabolisme énergétique chez des mouches correctement nourries. « On n'a pas encore publié nos travaux, mais on a montré que les cellules glialescellules gliales sont très importantes pour réguler la consommation d'énergie des neurones, lors de la formation de la mémoire », confie Pierre-Yves Plaçais.
Les cellules gliales sont présentes dans le cerveau de beaucoup d'espècesespèces. Elles ont pour fonction, entre autres, de fournir du substratsubstrat énergétique aux neurones. « GlucoseGlucose, lactatelactate... Tout un tas de molécules qui peuvent être converties en ATP par les neurones. »
Dans leur laboratoire, ces chercheurs observent expérience après expérience qu'il existe « toute une panoplie de régulations de la manière dont les neurones consomment de l'énergie ». Et que celles-ci vont déterminer les types de mémoire que la mouche peut former. « Dans le modèle que l'on est en train de construire, chacune des formes de mémoire est associée à un profil métabolique différent. »
Une application concrète : la maladie d'Alzheimer
Ces travaux pourraient aider à la compréhension de la maladie d'Alzheimer. Malgré le manque de connaissances sur le processus qui déclenche cette maladie, il paraît clair qu'une des premières manifestations est « un hypo-métabolisme du glucose dans certaines régions du cerveau ». Autrement dit, « les personnes qui vont développer Alzheimer plus tard ont, très tôt, des déficits métaboliques ».
Or, un des symptômessymptômes les plus marquants de cette pathologiepathologie réside dans les troubles cognitifs qu'elle engendre. Dès lors, « en essayant de regarder comment le métabolisme est impliqué dans la formation de la mémoire, on se dit qu'on est bien placé pour comprendre comment des déficits métaboliques vont impacter la formation de la mémoire ».
Leur laboratoire a donc développé un axe de recherche pour « comprendre s'il ne peut pas y avoir un lien entre les voies de signalisation impliquées dans Alzheimer et le métabolisme énergétique ».
Présentation de la maladie d'Alzheimer. © Fondation Vaincre Alzheimer, YouTube
Des voies extrêmement bien conservées
Toutefois, il faudra être patient. « Pour mettre en évidence et montrer proprement un mécanisme chez la drosophile, il faut à peu près quatre ans. Donc pour montrer que ce mécanisme est aussi valable chez d'autres espèces, c'est encore plus long ! »
Pourtant, Pierre-Yves Plaçais est déjà convaincu d'avancer dans la bonne direction. La raison en est simple : « les voies du métabolisme énergétique sont ce qu'il y a de plus conservé dans tout le vivant ». De là, l'intuition est née que les mécanismes de régulation découverts chez la drosophile ne sont spécifiques ni des mouches ni des insectes.
Mieux encore, « quand on voit qu'un grand nombre de maladies neurodégénérativesmaladies neurodégénératives sont liées au métabolisme énergétique, aussi bien Alzheimer que ParkinsonParkinson, on est sûr que comprendre son rôle dans le cerveau va avoir des implications énormes ».
Vers un nouveau médicament ?
De ces recherches pourraient émerger des valorisations industrielles dans le domaine médical. Une clé pour atteindre serait « d'élucider le rôle d'APPL dans la mémoire ».
APPL est l'équivalent chez la mouche drosophile du gènegène APP chez l'humain. Il s'agit du gène « protéine précurseur d'amyloïde », dont la dérégulation est impliquée dans la maladie d'Alzheimermaladie d'Alzheimer. Quand ces protéines sont dégradées d'une certaine façon, cela donne des peptidespeptides amyloïdes a-bêtabêta. En grande quantité, ceux-ci s'agrègent et forment les plaques amyloïdes. « Ces plaques que l'on détecte post-mortem chez les personnes souffrant d'Alzheimer. Ce qui est frappant c'est que ce gène s'appelle "protéine précurseur d'amyloïde" parce qu'on ne sait absolument pas à quoi il sert ! Sinon, on l'aurait nommé selon sa fonction physiologique. »
Dans l'équipe, Thomas Préat mène actuellement les recherches pour déterminer le rôle de ce gène mystère. S'il finit par être percé à jour, « on pourrait faire un modèle génétique des dérégulations, qui ressemblerait à ce qu'il se passe dans la maladie d'Alzheimer. On pourrait ensuite cribler des molécules pour trouver un moyen de contrer ces dérégulations. »
Dans l'espoir, à terme, de concevoir de nouveaux médicaments.