Peut-on offrir une alimentation saine et accessible à tous sans dégrader l’environnement, sans générer des gaz à effets de serre et des inégalités ? Une équipe de chercheurs a mis au point le premier indicateur mondial de la durabilité des systèmes alimentaires. Contrairement aux sempiternels reproches adressés aux pays riches, ces derniers s’en tirent plutôt bien.


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    Jamais autant de nourriture n'avait été produite dans le monde. Et pourtant, 820 millions de personnes souffrent toujours de la faim et 1,3 milliard d'habitants font face à une insécurité alimentaire modérée (accès insuffisant à des aliments nutritifs en quantité adéquate). À peine, 9 espèces de plantes cultivées à des fins alimentaires (sur 6.000 existantes) représentent 66 % de la production agricole totale. La production de nourriture est responsable de 26 % des émissionsémissions de gaz à effet de serre, un tiers de la nourriture finit à la poubelle et les terres agricoles souffrent de surexploitation.

    Un agrégat de 20 indicateurs économiques, sociaux, environnementaux et nutritionnels

    Une équipe de chercheurs du Centre international d'agriculture tropicale (Ciat) vient d'établir le premier indice de durabilité des systèmes alimentaires, associant qualité, sécurité alimentaire, mais prenant aussi en compte leur impact environnemental et social. Les chercheurs, dont les travaux ont été publiés dans la revue Scientific Data le 25 novembre, ont parcouru près de deux décennies de littérature scientifique sur les systèmes alimentaires. Ils ont sélectionné 197 indicateurs divers, puis restreint leur liste à 20 indicateurs facilement accessibles pour une majorité de pays.

    Sont ainsi pris en compte la diversité des cultures, la quantité d'eau utilisée, la valeur ajoutée de l'agriculture par travailleur, la volatilitévolatilité des prix, mais aussi les caloriescalories disponibles par habitant, la part de la nourriture dans les dépenses des ménages, la diversité de l'alimentation ou la prévalence de l’obésité. Ils ont ensuite construit un indice agrégé pour obtenir un score valable pour 97 pays, allant de 0,259 à 0,726 (valeurs arrondies).

    La carte des systèmes alimentaires les plus durables. L’échelle va du bleu foncé (meilleur score) ou rouge (plus faible score). Pour les pays en gris, les données sont insuffisantes. © Béné et al., Ciat
    La carte des systèmes alimentaires les plus durables. L’échelle va du bleu foncé (meilleur score) ou rouge (plus faible score). Pour les pays en gris, les données sont insuffisantes. © Béné et al., Ciat

    Les pays riches ont les meilleurs systèmes alimentaires

    En queue de peloton : la Jordanie, le Bangladesh, l'Inde et Madagascar, avec un score inférieur à 0,3. À l'autre bout, la Nouvelle-Zélande arrive première, avec un score de 0,731, suivie de la Suisse et du Canada. Première puissance agricole européenne, la France ne s'en sort pas si mal, avec une onzième place et un score de 0,680. Plus étonnant, les États-Unis sont 6e, malgré un taux d'obésitéobésité et d'émissions de CO2 élevées. De manière générale et malgré leurs inconvénients, les systèmes alimentaires des pays riches sont jugés plus durables que ceux des pays en voie de développement. Avec leurs lourdes déficiences en matièrematière de gaspillage alimentaire, d'inefficacité énergétique, de malnutrition, de diversité et de développement économique, les pays africains sont pratiquement tous dans la zone orange.

    Un outil d'analyse d’impact des politiques publiques

    « L'intérêt de ce travail n'est pas tant d'étiqueter le système alimentaire de tel ou tel pays comme "durable" ou "non durable", mais d'offrir la possibilité de les comparer entre eux ou dans le temps, insistent les chercheurs. Cet outil peut s'avérer extrêmement utile pour suivre les progrès des pays dans la réalisation de leurs objectifs de durabilitédurabilité ou pour évaluer l'effet d'un facteur particulier, et ainsi identifier les stratégies les plus efficaces ». L'Algérie a par exemple vu son score de durabilité doubler entre 2000 et 2016, tandis que celui de l'Inde s'est dégradé de près de 9 %.