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Le cycle de reproduction de Zizeeria maha est d'à peu près 1 mois, justifiant l'intérêt des scientifiques pour cette espèce. Il ne faut en effet pas attendre trop longtemps avant de pouvoir observer le résultat des expériences. © ashung, Flickr, CC by-nc-sa 2.0
La catastrophe de Fukushima-Daiichi a provoqué une libération massive de radionucléotides, tels que le césiumcésium 137, dans l'environnement le 12 mars 2011. De nombreuses questions se posent depuis à propos des conséquences que cette pollution radioactive peut avoir à court, moyen ou long terme sur les écosystèmes, notamment sur les animaux. Plusieurs études sont donc en cours de réalisation au Japon. L'une d'entre elles vient de révéler ses premiers résultats dans la revue Scientific Reports.
Joji Otaki de l'University of the Ryukyus a fait le choix judicieux de sélectionner un petit papillon bleu, le lycénidé Zizeeria maha, comme modèle biologique. Cette espèce largement répandue sur les îles nippones, et donc dans la zone entourant le site de la catastrophe, est en effet un très bon indicateur biologique sensible aux changements environnementaux. Elle a notamment été utilisée pour étudier l'impact éventuel du pollen de maïs transgénique sur des populations d'insectes. Son cycle de reproduction est donc parfaitement connu et surtout maîtrisé en laboratoire. Lors du drame, les Z. maha vivaient encore à l'état larvaire dans lequel ils avaient passé l'hiver.
Deux mois plus tard, en mai 2011, 144 lépidoptèreslépidoptères adultes ont été capturés dans 10 localités entourant la centrale de Fukushima. Pour 7 d'entre elles, 12,4 % des spécimens présentaient des anomalies morphologiques : des ailes antérieures plus courtes et des yeuxyeux déformés. Le pourcentage de « mutants » n'a fait qu'augmenter au sein des générations suivantes produites en laboratoire.
Ces déformations morphologiques, indiquées par des flèches rouges, ont été recensées chez des papillons Z. maha prélevés à proximité de la centrale de Fukushima-Daiichi 2 mois après la catastrophe. Les deux images de gauche montrent des malformations au niveau des yeux. La troisième photographie présente un palpe anormal tandis que la quatrième expose des ailes à la forme inhabituelle. Les barres d'échelle correspondent respectivement à 0,5 mm pour les trois premières images et 1 mm pour celle de droite. © Hiyama et al. 2012, Scientific Reports
Après Fukushima, des gènes mutés et transmissibles
Les reproductions ont été réalisées à Okinawa, à plus de 1.750 km de Fukushima, où aucune radiation n'est détectable. Près de 18,3 % des jeunes issus de la génération F1 ont présenté des malformationsmalformations, soit 1,5 fois plus que chez les parents, au niveau des pattes, des ailes (couleur et forme), des antennes, des yeux et de l'abdomenabdomen. Afin de tester la fertilité des mutants, 10 d'entre eux ont été croisés avec des papillons morphologiquement normaux prélevés à la station la plus éloignée du site du drame (Tsukuba). Le nombre de larveslarves obtenu a été moindre qu'à l'accoutumée, mais ce n'est pas tout. Selon la provenance des mères, jusqu'à 52,4 % des jeunes lépidoptères, la génération F2, ont présenté des anomalies au cours de leur développement. Les insectes victimes de mutations peuvent donc se reproduire et transmettre des gènesgènes modifiés.
On a à nouveau prélevé des Z. maha sauvages (238) en septembre 2011, 6 mois après l'accident nucléaire. Des malformations ont été observées au niveau des pattes, des antennes et du coloris des ailes chez 28,1 % des spécimens. À la génération F1, ce taux est monté à 59,1 % ! Les conséquences de temps d'exposition sur les altérations du génomegénome sont donc importantes.
Des expositions volontaires d'individus sains à des substances radioactives (jusqu'à 55 et 125 mSv) ont finalement permis d'établir un lien ferme entre la pollution de Fukushima et les mutations génétiquesgénétiques aléatoires observées. En effet, les témoins et leurs descendants n'ont pas tardé à afficher les mêmes taux de déformations que les papillons sauvages.
Les auteurs de l'étude précisent toutefois que ces résultats doivent être pris avec précaution. Ils ne concernent qu'une seule espèce de papillon, un insecte dont le rôle de bio-indicateur majeur s'est d'ailleurs vu confirmer. Des expériences complémentaires doivent être réalisées sur d'autres animaux avant de pouvoir tirer des conclusions quant aux effets de la catastrophe sur l'Homme.