Cela fait maintenant plusieurs mois déjà que la question de la sobriété énergétique en cuisine est débattue sur la plateforme EDF Pulse & You. Beaucoup d’idées et d’expériences ont été partagées. Des étudiants s’en sont saisis pour faire avancer la réflexion. Et aujourd’hui, c’est Raphaël Haumont, le cuisinier physico-chimiste qui partage avec nous son regard éclairé sur la question.


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    Il y a plusieurs mois, la plateforme de co-idéation EDF Pulse & You mettait ses Pulseurs au défi d'imaginer une cuisine plus responsable. Une cuisine (presque) sans énergieénergie. Beaucoup d'idées ont été avancées. Celles que nous suggère Raphaël Haumont, le cuisinier physico-chimistephysico-chimiste qui travaille avec Thierry Marx au CFIC Université Paris Saclay, pourraient encore faire un peu plus avancer le débat.

    Raphaël Haumont, physico-chimiste nous parle de la façon dont économiser l'énergie en cuisine @Raphaël Haumont
    Raphaël Haumont, physico-chimiste nous parle de la façon dont économiser l'énergie en cuisine @Raphaël Haumont

    Depuis la domestication du feufeu, peut-être il y a pas loin d'un million d'années maintenant, il y a finalement eu assez peu d'innovations en cuisine. Alors pourquoi devrions-nous changer notre façon d'aborder la question justement aujourd'hui ?

    Parce que nous sommes de plus en plus nombreux à devoir nous partager les ressources de cette Terre. Longtemps, les hommes se sont contentés de modes de cuisson peut efficaces énergétiquement parlant. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous le permettre.

    Le saviez-vous ?

    La plateforme de co-idéation EDF Pulse & You est en ligne depuis plus de sept ans maintenant. Elle offre aux chefs de projets EDF, aux start-up et aux particuliers l’opportunité d’imaginer le monde de demain. Ils sont aujourd’hui plus de 14 000 Pulseurs à y partager régulièrement leurs expériences et leurs réflexions sur différents thèmes.

    En la matière, la campagne « Et si on donnait du goût à la sobriété » ? est un brin particulière. Elle s’enrichit en effet d’une collaboration exceptionnelle entre EDF Pulse & You et Le Food Design Lab de l’École de Design de Nantes Atlantique. Des étudiants interviennent à chaque étape du projet pour faire avancer la co-idéation et la recherche en la matière.

     

     

    Cuire à même le feu, comme nos lointains ancêtres, ou sur une plaque de cuisson moderne, ce n'est pas la même chose, tout de même...

    C'est vrai, nous avons des plaques à induction. Mais ça n'empêche que lorsque nous posons nos casseroles dessus, la chaleurchaleur n'arrive toujours que par le bas. La perte d'énergie est colossale. La cuisson au wok -- cette sorte de marmite à fond arrondi --, par exemple, est beaucoup plus efficace. Peut-être parce qu'elle s'inspire de ce que la nature a sélectionné. Des formes sphériques -- comme les gouttes d'eau -- plutôt qu'angulaires -- personne n'a jamais vu de cubes d'eau tomber du ciel.

    Sur cette image thermique d'une casserole qui chauffe, les fortes variations de couleurs montrent une très mauvaise répartition de la chaleur et donc des pertes d’énergie. © Raphaël Haumont, Tous droits réservés
    Sur cette image thermique d'une casserole qui chauffe, les fortes variations de couleurs montrent une très mauvaise répartition de la chaleur et donc des pertes d’énergie. © Raphaël Haumont, Tous droits réservés

    Doit-on comprendre que les outils que nous utilisons en cuisine sont inadaptés ?

    Complètement. Il faudrait pouvoir adapter les formes de nos plaques de cuisson et de nos casseroles. Et au-delà de ça, faire rêver les gens avec des plaques à induction à 7 000 wattswatts, c'est aberrantaberrant ! Mais on ne peut le comprendre que si l'on prend conscience que, pour commencer à cuire, une viande ou un œuf n'ont pas besoin de plus de 50 °C pour l'une et de 65 °C pour l'autre. Pour les légumes, 85 °C suffisent encore.

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    Et si on donnait du goût à la sobriété ?

    Alors, vous me direz peut-être que 85 °C ou 100 °C, ça ne change rien. Et vous aurez tort. Au contraire, ça change tout. Déjà, parce que ça consomme 15 % d'énergie en trop. Ce n'est pas négligeable. En plus à 100 °C, il faut se rappeler que vous évaporez l'eau -- et alors vous allumez votre hottehotte et vous perdez encore plus d'énergie -- et avec elle, ce sont les arômes et les saveurs des légumes qui s'en vont. Alors, on pourrait continuer comme ça. À ne pas se poser de question. Ou on pourrait essayer de comprendre ce que l'on fait et à partir de là, de repenser nos outils. Pour qu'ils nous aident à cuire au plus juste. Choisir une plaque de cuisson à 7 000 watts au lieu de 700, ce n'est pas choisir le haut de gamme dont tout le monde rêve, c'est seulement choisir de rouler en Ferrari dans un village où la vitessevitesse est limitée à 30 km/h.

    Plus un robot tourne vite, plus il séduit. Pourtant, plus il a aussi tendance à abimer les produits qu’on y place. © starush, Adobe Stock
    Plus un robot tourne vite, plus il séduit. Pourtant, plus il a aussi tendance à abimer les produits qu’on y place. © starush, Adobe Stock

    Le même type de raisonnement est-il valable pour d'autres gestes techniques en cuisine ?

    Finalement, en cuisine, il y a peu de gestes. Prenons l'étape de la découpe, par exemple. Dans la découpe, l'important, c'est la longueur de la lame. Pourtant, vous trouvez dans le commerce, des robotsrobots qui font 10 000 tours à la minute, mais dont la lame ne dépasse pas les 2 centimètres de long. Là encore, on gagnerait beaucoup en énergie à proposer des lames plus longues de 5 ou 6 centimètres sur des robots qui tourneraient moins vite. Ce serait plus efficace. Et ça conserverait là encore mieux les qualités gustatives et nutritionnelles des produits en évitant de les surchauffer. Oui à la technologie, mais à la technologie intelligente. À celle qui copie au mieux la main de l'homme, dans ce cas.

    Éduquer, c’est le plus important.

    Faudrait-il alors taxer ces outils trop puissants ?

    Pénaliser ou culpabiliser, ça ne sert à rien. Nous savons tous que nous dépensons trop d'énergie. Ce qu'il faut faire, c'est retrouver du bon sens. Et pour ça, il faut éduquer. C'est le plus important. Peut-être proposer des cours de cuisine à l'école. Pour former les futurs consommateurs. D'autant qu'un cours de cuisine, c'est aussi l'occasion de parler nutrition, planète, histoire ou civilisations. De comprendre comment les plantes poussent ou comment adapter les recettes grâce aux maths. Tout ça en s'amusant. Donc, allons-y. Parce qu'il n'y a plus de temps à perdre.

    Avez-vous quelques exemples de choses que nous aurions à (ré)apprendre en cuisine ?

    Le fait qu'il n'est peut-être pas nécessaire de tout stocker au réfrigérateur. La moutarde, les œufs. Surtout pour ceux qui ont la chance d'avoir une cave. Pour les autres, on pourrait penser à concevoir des réfrigérateurs simplement moins froids. Ou alors, il y a les techniques de conservation des fruits et des légumes basées sur la lactofermentation. C'est l'exemple du Tsukemono japonais, du Kimchi coréen ou de la choucroute alsacienne.

    Et puis, il faut peut-être se dire que ce qui a été valable un temps ne l'est plus nécessairement aujourd'hui. Il y a deux siècles, on avait peur de s'intoxiquer avec les aliments, mais les choses ont changé. Les circuits sont plus courts. Le porc, par exemple, qui devait bouillir pendant des heures pour éliminer les risques de téniaténia peut aujourd'hui tout à fait être mangé rosé. Et il y a plein de produits, comme ça, qui tolèrent une cuisson plus rapide ou à plus basse température.

    Il y a aussi un travail à faire du côté des industriels ?

    C'est évident. Il faut tout remettre à plat. Ça demande un travail de réflexion collectif, mais c'est possible. Les scientifiques doivent travailler avec des ingénieurs, des cuisiniers, des concepteurs, des spécialistes des matériaux. Il faut que tout le monde se mette autour de la table. Parce qu'inventer le téflontéflon ou la poignée amovible, c'est bien. Mais aujourd'hui, nous devons oser l'innovation de rupture. Une innovation qui apporte de vraies solutions. Pas des problèmes supplémentaires. Si un robot doit abuser de l'énergie et en plus, abimer le produit, on a aussi vite et bien fait de ciseler son échalote au couteau sur une planche. C'est pour ça que vous devons aujourd'hui trouver la force de dire : « Cet outil n'est pas optimal. Arrêtons de nous obstiner, revenons aux fondamentaux et appuyons-nous sur la technologie pour proposer autre chose. » Quelque chose de plus efficace et de plus sain.

    Une mousse au chocolat, saine et savoureuse, avec seulement de l’eau et du chocolat, pour Raphaël Haumont, c’est tout à fait possible. © JEREM, Adobe Stock
    Une mousse au chocolat, saine et savoureuse, avec seulement de l’eau et du chocolat, pour Raphaël Haumont, c’est tout à fait possible. © JEREM, Adobe Stock

    Avez-vous des pistes à suggérer ?

    Prenez par exemple les produits light ou ceux qui présentent un nutriscore correct. Pour y arriver, les industriels ajoutent tout simplement de l'eau. Parce que l'eau, c'est zéro caloriecalorie. L'ennui, c'est que c'est aussi zéro saveur et zéro texture. Et puis ça aide les micro-organismesmicro-organismes à se développer donc ça crée un problème de conservation. Alors comme les produits manquent de saveurs, on ajoute des arômes artificiels. Comme ils manquent de texture, on ajoute des gommes ou des gels. Pour les conserver, on ajoute des sels nitrités. Alors oui, on arrive à un nutriscore correct. Mais à grand renfortrenfort d'additifs. La contrepartie, c'est qu'avec ça, on tue les produits et les gens à petit feu.

    Pourtant, en se posant les bonnes questions sur les gestes de base de la cuisine, on peut réussir à mieux transformer. À transformer juste pour éviter les gaspillages et les surconsommations et garder un produit nourrissant et appétant. On peut, par exemple, imaginer une moussemousse au chocolat avec 4 fois moins de calories et qui révèle toutes les saveurs du cacaocacao. À base seulement de chocolat et d'eau que l'on va battre au juste rythme. On revient à l'essentiel du produit et on redécouvre des textures et des goûts un peu originels.

    En travaillant pour le secteur du spatial, nous avons eu l'idée de lyophiliser des jeunes pousses de cresson, de mâchemâche, de sauge ou d'estragonestragon. C'est-à-dire qu'on les a refroidies rapidement avant de les mettre sous vide. Elles ont alors séché toutes seules. Elles ont perdu leur eau, mais comme nous avons travaillé à basse température, elles ont gardé toutes leurs saveurs. Mieux, une fois broyées et transformées en poudre, elles ont révélé des goûts extrêmement puissants. Nous avons redécouvert des notes chlorophylliennes, des notes piquantes, des notes poivrées.

    Plus besoin d'exhausteurs de goût, à ce compte-là...

    C'est ça. Les vrais exhausteurs de goût sont cachés dans la nature. À nous de les (re)trouver. Parce que le sel n'est pas un exhausteur de goût. C'est un modificateur de saveur. Le sucresucre non plus n'est pas un exhausteur de goût. Il sert juste à masquer les additifs de la mauvaise industrie agroalimentaire. Il y a eu beaucoup de dérives. Et le moment est venu de changer ça.

    Sujet réalisé en partenariat avec les équipes d'EDF