Après six mois d'enquête, une commission indépendante, menée par Muir Russel, écarte les soupçons sur les scientifiques britanniques accusés à tort d'avoir manipulé les données sur le réchauffement de la planète. Restent quelques critiques sur la gestion de l'affaire.

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    Le pseudo-scandale a contribué à faire capoter le sommet de Copenhague et a réussi à semer le doute sur le rôle de l'homme dans les changements climatiques. Depuis huit mois, les chercheurs de l'Université d'East Anglia vivaient comme des parias. Ils peuvent désormais relever la tête. La commission d'enquête indépendante sur « l'affaire des emails » les dédouane de toute pratique frauduleuse. « Leur rigueur et leur honnêteté ne peuvent être mises en doute » affirment les auteurs de ce rapport très attendu, publié hier mercredi. Le document est censé mettre un point final à l'un des épisodes les plus désolants de la lutte contre le changement climatique.

    Le prétendu scandale, baptisé Climategate, débute en novembre 2009, lorsque plusieurs centaines d'emails privés de membres de l'Unité de recherche climatique (CRU) de l'université d'East Anglia se retrouvent mystérieusement en ligne. Ce prestigieux laboratoire, basé à Norwich, à 170 kilomètres au nord-est de Londres, est réputé pour ses mesures de la température mondiale. Le CRU a donc un rôle éminemment stratégique. Ses données servent de base aux rapports du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), l'instance suprême chargée de prédire l'avenir de la planète.

    Dans un des emails, daté du 16 novembre 1999, le chef du CRU se vante d'avoir trouvé une « ruse » pour « dissimuler la baisse » d'une courbe de températures. Avec ces trois mots, extraits d'une correspondance frauduleusement piratée, les climatosceptiques pensent avoir trouvé la preuve irréfutable d'un complot mondial contre le mode de vie à l'occidentale.

    Sarah Palin s'auto-proclame égérie de la coalition hétéroclite des « négationnistes », qui nient le rôle de l'homme dans le réchauffement de la planète. Le 9 décembre 2009, au moment où s'ouvre le sommet de Copenhague, l'éphémère candidate à la vice-présidence américaine écrit dans le Washington Post : « Le Climategate met au jour un cercle scientifique hautement politisé [...] Ce scandale remet en cause les propositions qui sont sur la table à Copenhague. J'ai toujours pensé qu'un programme de gouvernement devait se baser sur une science solidesolide, pas sur des jugements politiques [...]. Nous ne pouvons pas dire avec certitude que les activités humaines sont la cause des changements climatiques. Ce que nous pouvons affirmer, en revanche, c'est que les éventuels bénéfices des politiques proposées de réduction des émissionsémissions sont largement inférieurs à leur coût économique. Et ces coûts sont réels ».

    A Copenhague, le Climategate va peser lourd. L'Arabie Saoudite qui, en tant que producteur de pétrolepétrole, a beaucoup à perdre d'une régulation des émissions de CO2, prend prétexte de l'affaire pour contester les conclusions prétendument alarmistes du Giec.

    Dans les couloirs du sommet (où j'étais envoyé par RFI), je me souviens avoir été témoin de l'abattement total du glaciologue Jean JouzelJean Jouzel, vice-président du Giec. Il voyait disparaître en fumée, sous l'effet d'une redoutable campagne médiatique, plusieurs décennies d'un travail de fourmi pour sensibiliser aux conséquences potentiellement dramatiques de la fontefonte des glaciers. En portant atteinte à la crédibilité de la communauté scientifique, le Climategate a contribué à l'échec de Copenhague. Il a donné une tribune aux « négationnistes », désormais invités sur tous les plateaux de télévision.

    Après Copenhague, les scientifiques britanniques réhabilités

    Après des mois de battage médiatique, la commission d'enquête sur les emails de l'université d'East Anglia vient remettre les points sur les i, en réfutant une à une toutes les accusations des climatosceptiques.

    • Manipulation de données : faux.
      Les climatosceptiques soupçonnaient les chercheurs d'East Anglia de trafiquer les chiffres pour faire croire à un hypothétique réchauffement climatique. Accusation balayée : « Sur les allégations contre l'attitude des scientifiques du CRU, nous sommes arrivés à la conclusion que leur rigueur et leur honnêteté ne peuvent être mises en doute. »
    • Rétention d'information : faux.
      Les climatosceptiques se plaignaient de ne pas avoir accès aux données. La réponse de la commission d'enquête est sans ambiguïté :« L'argument selon lequel le CRU aurait quelque chose à cacher ne tient pas. Toute recherche indépendante a la possibilité de télécharger les données et de rédiger ses propres conclusions sans avoir recours aux informations du CRU. »
    • Ostracisme : faux.
      Le rapport rejette l'idée selon laquelle les chercheurs du CRU auraient abusé de leur situation pour empêcher la publication d'articles signés par des climatosceptiques.Les enquêteurs n'ont trouvé « ni subversion du processus (scientifique) de révision par des collègues, ni tentative d'influencer la politique éditoriale des revues scientifiques ».

    Face à la pressionpression médiatique, Phil Jones, le directeur du CRU, avait admis en février avoir pensé au suicide. Suspendu le temps de l'enquête, il a immédiatement retrouvé son poste après la publication du rapport. Pour le vice-recteur Edward Acton, cité par la BBC, il faut maintenant laver l'honneur des chercheurs : « C'en est fini des théories du complot, des contre-vérités et des incompréhensions. Nous espérons qu'il sera fait largement écho de cette réhabilitation des scientifiques de l'université, qui ont considérablement souffert de cet épisode. »

    Des critiques subsistent

    Les climatologuesclimatologues d'East Anglia ne sortent pas complétement blanchis de cette longue enquête. Le rapport met en cause leur attitude « peu coopérative » et « défensive ». Il leur reproche également un manque d'ouverture dans leurs travaux.

    Mais dans l'ensemble, les conclusions de la commission confirment les deux précédents avis sur le Climategate : celui d'une commission parlementaire, en mars et celui d'un comité interne à l'université, en avril, qui avaient tous deux disculpé les chercheurs.

    Revers en série pour les climato-sceptiques

    Les climato-sceptiques n'ont plus le ventvent en poupe. Ils ont également été renvoyés dans leurs cordes le 6 juillet par une autre enquête, commandée par le gouvernement néerlandais. Elle valide les conclusions du Giec sur les conséquences du réchauffement climatique. Indépendamment du Climategate, le groupe d'experts a lui aussi été la cible d'attaques pour des erreurs dans son rapport de 2007, notamment sur la disparition des glaciers himalayens d'ici 2035. « Les conclusions (du Giec) sont fondées et ne contiennent pas d'erreur significative » estiment les enquêteurs néerlandais.

    En juin 2010, une étude menée par l'Académie nationale des sciences des Etats-Unis témoignait de l'isolement des « négationnistes ». Elle révélait que 98% des climatologues soutiennent, comme le Giec, le principe d'une accélération du changement climatique liée à l'activité humaine, qui menace l'avenir de la planète. La clique des sceptiques ne regroupe donc qu'une poignée d'irréductibles. En dépit du consensus scientifique, ils ont cependant réussi, du faux scandale des emails aux attaques sur la crédibilité du Giec, à semer le doute dans les esprits.

    Si les négociations sur le climat piétinent, sept mois après Copenhague, c'est parce que l'élanélan politique en faveur d'un accord contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre est largement retombé, notamment sous l'effet des thèses « négationnistes ».