La cause est entendue : les agrocarburants, fabriqués par l'agriculture, conduiraient à un désastre écologique et alimentaire. On attend donc beaucoup des biocarburants dits de deuxième génération, réalisés à partir de débris végétaux. Un champignon dévoreur de vêtements pourrait peut-être nous y aider...

L'histoire a paraît-il commencé durant la seconde guerre mondiale quand l'armée des Etats-Unis combattait dans le Pacifique sud un ennemi supplémentaire : Trichoderma reesei. Ce champignon microscopique était le coupable longtemps recherché de la destruction massive des tissus en coton, c'est-à-dire des vêtements, des tentes et des parachutes. Sa voracité témoigne d'une surprenante efficacité à transformer la cellulose (la matière entourant les cellules végétales) en sucres simples, appelés monosaccharides, qui lui servent de nourriture. La première explication de cet appétit, supérieur à celui des espèces voisines, est une production exceptionnellement élevée d'enzymes dégradant la cellulose.

Pour comprendre comment ce champignon atteignait un tel degré de performances, une équipe internationale, menée par Diego Martinez (Los Alamos National Laboratory), s'est intéressée à son génome. Leurs résultats viennent d'être publiés dans Nature Biotechnology. La surprise est venue du faible nombre de types différents de gènes impliqués dans la production d'enzymes digérant la cellulose (le génome complet de T. reesei ne contient d'ailleurs que 10.000 gènes). D'après les chercheurs, T. reesei possèderait des groupes de gènes similaires produisant en parallèle de grandes quantités d'enzymes.

Du carburant avec du bois, du foin ou des fumées d'usines

Ce champignon apparaît donc comme un bon candidat pour la production d'agrocarburants de deuxième génération, que l'on pourrait réaliser à partir de débris végétaux divers, comme des déchets agricoles. T. reseei pourrait par exemple produire un cocktail enzymatique qui, purifié, serait ajouté à une décoction de déchets organiques. Les sucres produits seraient alors facilement transformables en éthanol, c'est-à-dire en biocarburant utilisable dans un moteur à essence.

L'idée d'utiliser ce champion de la dégradation de la cellulose n'est d'ailleurs pas nouvelle puisque l'on en trouve la trace en 1994 dans la revue Enzyme and microbial technology (vol. 16, no 10, pp. 870-882), sous la plume de deux auteurs, Anjani Kumari et T. Panda, de l'Institut indien de technologie. En France, l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) et le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) cherchent également à se servir de ce champignon pour produire des carburants à partir de biomasse végétale. Ce programme, plus ambitieux, veut doter le champignon de gènes qui lui manquent : le petit trichoderme, en effet, ne sait pas digérer la lignine, ce groupe de polymères inventés par les végétaux et qui constituent le bois. Un champignon génétiquement modifié, qui aurait reçu des gènes d'autres espèces, pourrait donc efficacement, pensent ces chercheurs, valoriser le bois délaissé par l'exploitation forestière.

Ces recherches assez actives témoignent bien de l'intérêt pour une deuxième génération de biocarburants, synthétisés à partir de matière végétale quelconque, voire de graisses animales. Mis au point dans les années 1920, le procédé Fischer-Tropsch permet de produire assez facilement un hydrocarbure à partir de charbon, de gaz mais aussi de matière organique. Dénommée BTL (biomass-to-liquid), cette voie pourrait donc valoriser les déchets végétaux de l'agriculture ou les copeaux de bois. Mais ce procédé souffre d'un rendement trop faible. Les ingénieurs ont commencé depuis longtemps à s'intéresser aux solutions inventées par les organismes vivants, qui semblent plus efficaces.

Aux Etats-Unis, la société Greenfuel propose déjà un réacteur utilisant des algues qui convertissent le gaz carbonique ou des fumées d'usines en huile servant de carburant dans un moteur diesel. A peine démarrée, la production d'agrocarburants à base de colza, de tournesol, de soja, de betterave, de canne à sucre ou de céréales donne déjà des signes d'obsolescence, tant il apparaît impossible de subvenir aux besoins mondiaux en carburants. Les algues et les champignons semblent bien mieux placés...