Du 30 novembre au 12 décembre prochain, 196 pays se réuniront à Abu-Dhabi pour assister à la COP28, sous la houlette de son président Sultan Al Jabern, prince du pétrole à l'in-vert-semblable parcours lancé dans un marathon séduction pour convaincre ses plus farouches détracteurs.
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Dans la foulée d'une canicule dévastatrice et quelques mois avant un mois d'octobre suffocant, sa nomination à la tête de la COP28, arrêtée dans le luxe feutré des salons emiratis, a jeté un froid sur le mois de janvier 2023. Le loup dans une bergerie déjà en feufeu ? Sultan Al Jaber, président de la Compagnie pétrolière nationale d'Abou Dabi (Adnoc), balaie les accusations portées contre lui d'un revers de la main : « Les gens qui m'accusent de conflit d'intérêts ne connaissent pas mon parcours, arguait-il en juillet dernier, à l'occasion d'un rare entretien accordé à l'AFP. J'ai passé la majorité de ma carrière dans le développement durable, la gestion de projets et les énergies renouvelables ».
Un parcours vert de gris
Ce qui est sûr, c'est que ce grand émirati à la voix grave et posée cumule les casquettes, ou plutôt les agals : diplômé d'une licence de chimiechimie à l'Université de Californie, il obtient par la suite un Master of Business Administration à celle de Los-Angeles, avant de passer avec succès un doctorat d'économie à Coventry (Angleterre). Le tout financé par une bourse de l'Adnoc. De retour aux Émirats arabes unis (EAU), l'enfant prodigue, vu comme un réformateur, se consacre à Masdar, société d'énergie renouvelable qu'il a fondée un an plus tôt et dont le but est de verdir les Émirats. C'est d'ailleurs à cette compagnie que l'on doit le projet de Masdar City.
Vaste programme, qui n'empêche pas pour autant Sultan Al Jaber d'étendre ses activités : il est nommé à la présidence des ports d'Abu Dhabi en 2013, et à celle du Conseil national des médias en 2015. Finalement, il décide de se consacrer pleinement à sa marotte : les énergies. Il récupère la direction de Masdar en 2014, prend la tête de l'Adnoc et laisse de côté ports et médias. Ce choix, payant, lui permet d'être nommé ministre de l'Industrie et des Technologies avancées en 2020.
Le président des lobbyistes ?
Un parcours très atypique, trop paradoxal pour ses détracteurs, qui ne lui pardonnent pas son échappéeéchappée dans l'une des industries les plus polluantes de la Planète. Dans une lettre ouverte publiée en mai dernier, une centaine d'entre eux exige d'ailleurs son retrait de la présidence de la COP28. « La décision de nommer [...] le directeur général de l'une des plus grandes compagnies pétrolières et gazières du monde -- une compagnie qui a récemment annoncé son intention d'ajouter 7,6 milliards de barils de pétrole à sa production dans les années à venir, ce qui représente la cinquième augmentation la plus importante au monde -- risque de compromettre les négociations », pointent les élus américains et européens signataires.
Ils dénoncent également l'immersion croissante, ces dernières années, des lobbys des énergies fossiles au sein des COPs (Conférence of the parties, Conférences des parties en français ou encore conférence des États signataires). « Il ne nous a pas échappé qu'au moins 636 lobbyistes des industries pétrolières et gazières se sont inscrits pour participer à la COP l'année dernière, soit une augmentation de plus de 25 % par rapport à l'année précédente. » L'appel, resté lettre morte, n'a pas fait beaucoup d'ombre au personnage.
Opération séduction, en vert et contre tout
Un pragmatique, affirment les convaincus qui se hasardent à décrire cet émirati à l'apparence imperturbable. Mais aussi, et surtout, un fin stratège : en affirmant, en juin dernier, que la sortie des énergies fossiles était inévitable, il a réussi le pari de rassurer certains de ses opposants, et même d'en séduire quelques-uns. À commencer par Harjeet Singh, porteporte-parole du Climate Action Network, qui rassemble pas moins de 1 900 organisations environnementales. « Il est très direct, à l'écoute », confie cet expert du climat à l'AFP. C'est aussi « un homme qui travaille, qui connaît très bien ses dossiers », abonde Laurent Fabius, actuel Président du Conseil constitutionnel français, et ancien Premier ministre de juillet 1984 à mai 1986, entre autres postes ministériels.
Mais la campagne de séduction de celui que ses collaborateurs surnomment « Dr. Sultan » ne repose pas uniquement sur une communication bien léchée, elle est aussi le fruit d'un soupçon de greenwashing, dénonçait The Guardian en mai dernier : un anonyme a été pris en flagrant délit de « verdisation » de la page Wikipédia de l'émirati, avant d'avouer avoir été payé... par l'Adnoc.
Un président pratico-pragmatique
Une tâche sur le CV du docteur qui souhaite une COP28 « réaliste, pratique et pragmatique ». Comprenez : une COP axée sur le financement de la transition énergétique, que son président qualifie d'enjeu majeur. « On ne peut pas débrancher le monde de son système énergétique actuel tant qu'on n'aura pas construit le nouveau système énergétique, confiait-il en octobre dernier, à l'occasion du New York Stock Exchange. Et pour que nous soyons en mesure d'accélérer cette transition énergétique et le déploiement des énergies renouvelables, le financement doit être disponible ».
Financement qui doit surtout permettre d'alimenter de nouveaux modes de production car la solution, « ce n'est pas le renouvelable, ou l’hydrogène, ou le nucléaire, ou le captage de carbone ou simplement l'usage exclusif des gazgaz et pétrole les moins émetteurs de CO2, l'entend-on affirmer lors du Berlin Energy Transition Dialogue, en mars dernier. En fait, c'est tout cela à la fois, en plus de nouvelles technologies qui restent à inventer et, une fois inventées, devront être commercialisées, améliorées et déployées à grande échelle ».
À trop compter sur la technologie…
En bref, pour maintenir le réchauffement global en dessous de la barre du 1,5 °C -- dépassée pour la première fois en au moins de juin --, pas de place pour la sobriété et la baisse de la consommation, mais une autoroute pour le techno-solutionnisme. Reste que sa position d'interlocuteur privilégié entre l'ONU et les EAU, ainsi que sa position de chef d'entreprise -- le premier à être nommé à la tête d'une COP -- pourrait permettre d'amadouer le secteur privé et d'obtenir plus facilement un consensus entre les 196 pays participants. Consensus que l'on peut espérer moins frileux que le précédent, alors que cette édition sera l'occasion d'établir le premier bilan mondial des Accords de Paris. Reste à savoir si Dr Sultan et les EAU accepteront d'enfiler bonnet à pompon et bottes rouges pour nous offrir ce miracle de Noël : verdict le 12 décembre prochain.