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Les sphaignes vivent dans des milieux gorgés d'eau, n'ont pas de racines et peuvent stocker jusqu'à 90 % de leur poids en eau. C'est grâce à elles que la tourbe se forme, et donc que le carbone atmosphérique est accumulé. © Bernd Haynold, cc by sa 3.0, Wikipédia
Une tourbière, véritable écosystème à elle seule, joue un rôle capital dans le cycle du carbone. Le sol, saturé en permanence d'une eau stagnante, ne fournit pas suffisamment d'oxygène aux micro-organismesmicro-organismes pour décomposer et recycler la matière organique. En somme, dans une tourbière, la litière végétale se minéralise très peu, formant alors un dépôt de matièrematière organique non décomposée, la tourbe. Le carbone est donc accumulé et non réutilisé. Dans le monde, les tourbières ne couvrent que 3 % des terres émergées mais contiendraient 30 % de toute la matière organique, soit l'équivalent de 50 % du CO2 atmosphérique.
Écosystème fragile, la tourbière est largement menacée par le changement climatique. La formation et le maintien de cet étonnant milieu dépend grandement des sphaignes (Sphagnum), ces moussesmousses qui favorisent la formation de la tourbe. Il apparaît en effet que depuis une cinquantaine d'années, les plantes vasculairesplantes vasculaires, et en particulier les buissons de la famille des éricacées (Ericaceae), envahissent l'espace dédié aux mousses. L'augmentation de la température atmosphérique favoriserait le développement des buissons au détriment des sphaignes.
La tourbière de Mer Bleue au Canada est typique : les sphaignes (Sphagnum) baignent dans l'eau stagnante presque anaérobie. © P199, GNU
L’embroussaillement des tourbières réduit l’absorption de CO2
Dans une étude parue dans Nature Climate Change, une équipe suisse décrit pour la première fois comment le phénomène d'embroussaillement des tourbières affaiblit la capacité de l'écosystème à capturer le carbone atmosphérique. Le changement de la couverture végétale modifie les échanges entre le sol et la surface. Les interactions entre les plantes et les micro-organismes (décomposeursdécomposeurs de matière organique) sont largement perturbées et inhibent la capacité de stockage de la tourbière.
Les chercheurs se sont intéressés à quatre tourbières au nord de la Suisse, toutes situées entre 600 et 1.900 m. Étudier la variation du comportement des écosystèmes en fonction de l'altitude permet d'identifier l'influence du gradientgradient de température au sol. La différence de température entre les deux extrêmes représenterait le réchauffement au sol prévu entre aujourd'hui et 2050 pour une altitude donnée.
De puits à source de carbone, la tourbière change de camp
Les scientifiques ont ainsi déterminé que l'augmentation de la température influait directement sur le développement des buissons, qui seraient responsables de 50 % de la disparition des mousses. Le processus en jeu est une boucle de rétroactionboucle de rétroaction positive. L'accroissement de la température favorise le développement du buisson. Les feuilles des éricacées relâchent des polyphénolspolyphénols, ce qui augmente la disponibilité en azote du sol, que les plantes utilisent alors comme fertilisant.
L'utilisation de l'azoteazote en tant que fertilisant est possible grâce à la symbiose entre la plante et un champignonchampignon au niveau des racines : c'est la mycorhize. La symbiose s'intensifie si la température augmente, et les racines des éricacées relâchent également beaucoup plus de matière organique dans le sol. La tourbe ancienne est alors décomposée plus rapidement et le stockage du carbone moins efficace.
Ainsi, d'après cette étude, si la température atmosphérique continue d'augmenter, les tourbières deviendront sur le long terme des sources de carbone, et non plus des puits.