Oui ! On peut sauver nos forêts tempérées ! Mais en évitant certaines erreurs qui pourraient être délétères. D’où les nombreuses voix qui s’élèvent ces temps-ci pour que la politique de reboisement en cours d’arbitrage par le gouvernement ne fasse pas plus de mal que de bien aux forêts françaises.
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La forêt française est en crise. Depuis 20 ans, de plus en plus d'arbres meurent et la productivité baisse globalement en grande partie à cause du changement climatiquechangement climatique qui fragilise les arbres et favorise la pullulation de ravageurs, scolytes et hannetons en tête. « Adapter la forêt aux changements climatiques est une nécessité. Mais mal l'adapter peut accélérer son déclin », alertait un collectif de membres de la Société botanique de France (SBF) dans une tribune du Monde en avril 2021. En janvier dernier, c'est 600 scientifiques qui rappelaient dans Le Journal du dimanche : « Une stratégie d'adaptation prometteuse et efficace est d'abord d'essayer d'accompagner et d'améliorer les peuplements en place à chaque fois que cela est possible. »
« Il faut agir sur la santé de l’écosystème et non simplement remplacer des arbres mourants par d'autres. C'est un traitement de fond des causes du dépérissement qu'il faut entreprendre et non un simple traitement des symptômessymptômes », renchérissent Guillaume Decocq, professeur à l'Université de Picardie Jules VerneJules Verne, directeur de l'Edysan, unité mixte de recherche qui étudie les effets des changements globaux sur les écosystèmes et les agrosystèmes, et Serge Muller, professeur émérite du Muséum national d'Histoire naturelleMuséum national d'Histoire naturelle dans un récent article de The Conversation.
Pourquoi un tel émoi ? Car sauver les forêts prendra des décennies. Or, dans les prochains jours, les orientations de la politique forestière française seront arrêtées au travers du Plan France Relance. Il est question de 150 millions d'euros pour soutenir les propriétaires forestiers en reboisant 45.000 hectares (environ 3 % de la superficie boisée métropolitaine) d'ici à 2024. Et 150 millions supplémentaires sont dirigés vers l'industrie de transformation du bois et divers dispositifs. Ce que plaident ces scientifiques à l'unisson, c'est une meilleure conciliation de l'exploitation forestière et de la biodiversité.
Sur le papier, l'objectif affiché -- renforcer la résiliencerésilience de nos forêts et préserver leur biodiversité -- est partagé et les pratiques pour y parvenir sont connues ; les débats des Assises nationales de la forêt et du bois, lancées par le gouvernement en octobre 2021 et qui viennent de s'achever, ont montré qu'elles étaient consensuelles : un mélange d'essences, des futaies irrégulières avec des arbres plus ou moins âgés et différentes formes de houppiers, une diversité génétiquegénétique favorisée par la régénération naturellerégénération naturelle ou encore le maintien sur place du bois mort.
Ne pas se tromper de combat
Dans les faits, beaucoup craignent d'autres pratiques, moins techniques comme les coupes rases de grandes surfaces suivies de plantations. Surtout que, dans la liste des 129 espècesespèces d'arbres préconisées et éligibles à subvention dans les Plans régionaux de la forêt et du bois (PRFB), plus de la moitié (67 espèces) sont exotiquesexotiques pour la France métropolitaine. Davantage encore si on inclut les espèces plantées dans les « îlots d'avenir », sortes de laboratoires à ciel ouvert de l'Office nationale des forêts (ONF).
“Le recours aux essences exotiques pourrait bien être une fausse bonne solution”
« Certaines sont même déjà envahissantes en France (robinierrobinier, chêne rouge, noyer noirnoyer noir), d'autres en Europe (Douglas en Allemagne, tulipier de Virginietulipier de Virginie en Belgique) ou ailleurs (pin de Monterey en Afrique du sud et en Australie). Le recours sans discernement à ces essences en foresterie est une aberrationaberration écologique et politique, s'emporte Guillaume Decocq. En l'absence d'analyse du rapport bénéfice/risque et d'analyse rétrospective des pratiques du passé, le recours aux essences exotiques pourrait bien être une fausse bonne solution. »
Nos essences indigènesindigènes ne seraient-elles plus adaptées ? « C'est loin d'être démontré ! affirme-t-il. D'abord, elles ont déjà connu bien des changements climatiques. Ensuite, de nombreux travaux scientifiques récents montrent qu'elles sont capables de s'adapter selon trois mécanismes au moins : génétiques via la sélection naturellesélection naturelle à condition de préserver une certaine diversité, épigénétiques par des mutations au fil des générations, et via les symbioses de l'arbre avec les bactériesbactéries de son microbiotemicrobiote. Il faut continuer d'étudier ces mécanismes grandeur nature, dans des aires forestières protégées. En attendant, il faut réserver chaque essence là où les conditions sont optimales pour elle en prenant en compte l'évolution modélisée du climatclimat. »
d’adaptation des essences indigènes aux changements climatique. © Guillaume Decocq, tous droits réservés
Outre ce risque, les espèces exotiques menacent d'introduire de nouveaux pathogènes qui déciment les espèces locales (le cas du champignonchampignon qui provoque la chalarose du frêne), de détruire la biodiversité (le cas des sous-bois de conifères), voire d'aggraver d'autres aléas (comme les incendies à cause des eucalyptuseucalyptus et de certains pins très inflammables) ou encore de ne pas s'adapter.
Pour expliquer sa position et proposer des solutions, la Société botanique de France a publié en novembre 2021 un Livre blanc sur l’introduction d’essences exotiques en forêt. « Nous nous élevons contre l'absence de vision écosystémique (la forêt ne peut être réduite à ses arbres ; leur cortège de champignons, acariensacariens, insectesinsectes doit être pris en compte) et la non prise en compte des données de la recherche. Aucun scientifique spécialiste d'écologieécologie des écosystèmes forestiers n'a été associé aux réflexions ! regrette Guillaume Decocq. Une gestion forestière durable ne peut pas reposer sur la seule ingénierie. »
15 arbres remarquables à protéger
Dans les traditions populaires, on retrouve souvent nos vieux arbresarbres comme compagnons provisoires d'un héros de l'histoire de France. Saint Louis rendait la justice sous un chêne, Jeanne d'Arc priait près d'un tilleultilleul et Napoléon observait les champs de bataille depuis des points de vue ornés d'un grand arbre servant de repère. Près de la commune de Merles, dans le Tarn-et-Garonne, une fontaine abreuva en 1579 le bon roi Henri IVHenri IV, de passage sur ces terresterres. Le gros chêne, qui domine le site, accueillit-il le Vert-Galant pour un repos réparateur, on peut l'imaginer. Toujours est-il que le chêne est depuis longtemps appelé au pays le chêne d'Henri IV.
Cet arbre est un chêne pédonculé, appartenant à la famille des Fagacées, présent dans tout l'hémisphère Nordhémisphère Nord mais préférant les altitudes inférieures à 1.300 mètres. Ce Quercus robur, chêne robuste, peut dépasser les 40 mètres de hauteur et son envergure est tout aussi impressionnante. Il vit gaillardement jusqu'à 500 ans et peut atteindre le millénaire. Le boisbois de chêne est un matériaumatériau majeur dont les qualités sont remarquables en charpenterie, en menuiserie, en tonnellerie ; évidemment, il est incontournable en ébénisterie. C'est un bois de cheminéecheminée qui chauffe bien et se consume lentement. Ses fruits, les glands, nourrissent les cochons et les sanglierssangliers. Autrefois, les tanneries récupéraient les écorces pour le tannage du cuir. Enfin, la sciure de chêne a fait les beaux jours de l'industrie papetière.
© Georges FetermanGeorges Feterman, Futura