Les insectes nous ont précédés depuis des millénaires, mais notre connaissance de ce monde, qui représente près de la moitié des êtres vivants, reste infime, car ils sont très difficiles à observer et à comptabiliser avec précision. Beaucoup d’entre nous s’en méfient, obsédés qu’ils sont par les insectes qu’ils qualifient de « nuisibles » et tentent de les éradiquer par tous les moyens, de plus en plus efficaces, et qui font énormément de dégâts collatéraux. Cette première partie est le début d'une trilogie ; le volet 2 évoquera les insectes qui sont en voie de disparition et les conséquences dramatiques qui vont s'en suivre ; le volet 3 évoquera l'entomoculture, c'est-à-dire l'élevage d'insectes pour les consommer comme aliments.
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On connaît très mal la diversité incroyable des insectes, qui représentent la moitié des êtres vivants.
Il se dit fréquemment que l'on ne connaît que 10 % des êtres vivants, et qu'en la matièrematière, la profondeur de notre ignorance reste encore abyssale. Mais, au fait, comment fait-on pour compter ainsi, même approximativement, ce que l'on ne connaît pas ?
Au cours des siècles, on a fini par découvrir, puis connaître avec une assez bonne précision toutes les grosses bêtes qui nous font peur et nous fascinent. Les éléphants, les ours, les lionslions, les girafes, les chimpanzés, etc., ont même parfois leurs comités de soutien. Chaque ours des Pyrénées, chaque loup du Mercantour a maintenant un petit nom, et parfois sa balise GPSGPS. Ce sont en quelque sorte des stars, bien plus connues que la brebis qu'ils égorgent à l'occasion ! Ce qui ne nous empêche pas de les faire allègrement disparaitre, car beaucoup d'autres humains sont également munis de fusils et du redoutable instinct du chasseur !
Pour les animaux de taille moyenne, notre savoir est nettement plus limité, mais quand même honorable. Mais là, peu de comités de soutien. Et quand ils se rappellent à notre bon souvenir, par exemple les rats parisiens lors des grèves des éboueurs, on en vient à réclamer leur extermination... ce que d'ailleurs on n'arrive pas vraiment à faire !
Et puis, nous avons sélectionné un tout petit nombre d'animaux que nous avons multipliés à l'infini pour qu'ils nous nourrissent : vaches, cochons, poules, lapins, dindons, canards, etc. La liste n'est pas longue, mais ils sont maintenant beaucoup plus nombreux que les animaux sauvages (autour de 1,8 milliard de vaches, 800 millions de porcs et 22 milliards de poulets). Plus les animaux récréatifs : 500 millions de chiens, 400 millions de chats, plus des chevaux, quelques oiseaux d'appartements et quelques poissonspoissons d'aquarium. Les animaux « auxiliaires de culture » ou de transport sont en voie de disparition au fur et à mesure que la mécanisation progresse : chevaux, ânes, zébus, dromadairesdromadaires, etc. En vérité, la liste n'est pas longue !
Notre ignorance reste immense pour les petits animaux, car bien souvent ils restent invisibles. Tout le monde connaît les « gentilles » abeilles et fourmisfourmis, les moustiquesmoustiques, punaises et puces « énervants » ou les papillons, libelluleslibellules et coccinelles « élégants ». Les spécialistes en ont répertoriés de l'ordre de 1,3 million d'espècesespèces, et qui progressent à raison de 10 000 nouvelles espèces décrites chaque année, mais on est encore fort loin de l'exhaustivité puisque l'on estime qu'il doit en fait exister « entre 5 et 80 millions d'espèces », soit carrément la moitié de la biodiversité animale ! L'ampleur de l'imprécision en dit long de notre incompétence sur nos petits compagnons à six pattes, corps divisé en trois parties, squelette externesquelette externe et dépourvus de poumonpoumon... Pour la plupart, vieux de 400 millions d'année, ils étaient bien décidés à nous enterrer tous, mais ils n'avaient pas prévu qu'Homo sapiensHomo sapiens (en l'occurrence Homo démens) tenterait carrément de les exterminer avant de partir lui-même !
Une autre manière d'évaluer l'ampleur de la question est de mesurer le « poids carbonecarbone » des êtres vivants. On découvre alors que les humains, pour nombreux qu'ils soient avec 8 milliards d’individus, ne pèsent pas plus que les crevettes arctiquesarctiques (Euphausia superbaEuphausia superba) ou les vaches, 3 fois moins que les vers de terre et de mer (annélidesannélides), 200 fois moins que les champignonschampignons, ou 1 200 fois moins que les bactériesbactéries.
Rappelons par exemple que l'on sait maintenant que, dans 1 gramme de sol, pullulent 4 000 espèces de bactéries et 2 000 de champignons, en de très nombreux individus chacun. L'agricultureagriculture a encore d'énormes progrès à faire pour devenir réellement compétente et pouvoir passer des alliances avec la nature.
Concrètement, comment fait-on pour observer et compter les insectes ?
Pour piéger les insectes, les étudier et les dénombrer, on a quand même développé d'autres méthodes que le simple filet à papillons. Par exemple :
- Les pièges à insectes peuvent être installés à différents endroits, tels que les champs, les forêts, les zones urbaines, etc., et à différentes hauteurs ou profondeurs. Par exemple, les pièges à lumièrelumière la nuit.
- Les transects, lignes rectilignes dans un habitat donné qui sont parcourues à pied pour compter les insectes observés. Cette méthode permet de suivre l'évolution des populations d'insectes à travers le temps.
Les méthodes de « capture-mark-recapture », qui consistent à marquer certains individus d'une population d'insectes, puis à les relâcher, ensuite, on capture une deuxième fois des individus de cette population et on note combien ont déjà été marqués lors de la première capture.
Notons, si cela peut nous rassurer, que les insectes sont certes fort nombreux, mais légers. L'ensemble des arthropodesarthropodes ne « pèserait » en poids carbone, « que » 17 fois l’humanité, ce qui représente quand même la moitié de la massemasse de tous les animaux terrestres et marins. On ne peut tout simplement pas les ignorer. Même si certains ne mesurent qu'un dixième de millimètre de long !
- Les observations visuelles à l'œilœil nu dans leur environnement naturel. Une méthode plus subjective et moins précise, mais qui peut être amplifiée par des programmes de « sciences participatives », qui permettent aux simples citoyens motivés de signaler les observations d'insectes qu'ils ont faites dans leur environnement.
- L'analyse de données historiques telles que les collections de musées, les publications scientifiques ou les observations de naturalistes, pour déterminer si la diversité et la quantité d'insectes ont changé au fil du temps.
- Les études expérimentales pour évaluer les effets sur les populations d'insectes des changements environnementaux, tels que la pollution, la fragmentation des habitats ou le changement climatiquechangement climatique. Par exemple, on peut revenir plusieurs années récolter les insectes pollinisateurs sur un même champ ou une même colline, pour voir comment évoluent leurs relations avec les plantes et tenter de comprendre pourquoi.
Pour des raisons pratiques ou de budget, on peut mieux mesurer les insectes volants que les terrestres, car ils sont plus faciles à capturer. Et les insectes des champs plutôt que ceux des forêts, ou ceux de l'Europe plutôt que ceux de l'Amazonie... Notre vision reste donc très imparfaite et partiale !
On recherche à mesurer trois indicateurs : l'abondance (le nombre des insectes présents, par espèces), la biomassebiomasse (tous insectes confondus), qui présente l'inconvénient de compter ensemble et de façon indistincte les insectes, et la biodiversitébiodiversité (le nombre d'espèces existantes, ce qui suppose de savoir les reconnaître !). Dans les faits, on peut très bien noter que certaines espèces peuvent voir leur population augmenter, au milieu d'un déclin général, parce qu'elles sont généralistes, adaptables à divers environnements... ou prédatrices des autres.
Beaucoup se méfient des insectes, comment fait-on pour les éradiquer ?
Les insectes nous faisaient peur au XIXe siècle : on y cultivait « l'entomophobieentomophobie » (crainte que « d'origine » et les insectes « invasifsinvasifs » la pullulation des insectes ne puisse faire disparaître l'humanité), ce qui était à la mode, c'était « l'ornithophilie » (protection des oiseaux insectivoresinsectivores qui étaient alors les seuls remparts au danger des insectes). C'était avant que l'on invente les insecticidesinsecticides, beaucoup plus efficaces ...beaucoup trop !
Il faut dire que, parfois, cette crainte reste justifiée et crédible. En Afrique, chaque décennie, on doit affronter des nuages de criquets pouvant couvrir 2 400 km2 et rassembler 200 milliards d'individus, qui mangent littéralement tout sur leur passage, l'équivalent de la nourriture consommée par 80 millions de personnes, provoquant de graves famines. Ne croyons pas que l'Europe ne sera jamais concernée par ce désastre, surtout avec le dérèglement climatique : en 1748, les criquets sont arrivés jusqu'à la Pologne, la Hongrie et l'Angleterre !
Affronter des hordes de fourmis carnivorescarnivores ou un nid de frelonsfrelons n'a pas non plus rien d'une partie de plaisir...
Le moustique reste sans conteste le plus grand ennemi de l'Homme : il en tue environ 750 000 chaque année en lui transmettant des maladies comme le paludismepaludisme, la denguedengue, le chikungunyachikungunya, le zikazika, etc. Beaucoup plus que l'Homme lui-même, qui s'entretue quand même à raison de 475 000 par an, et sans commune mesure avec le serpent (50 à 100 000 morts) le crocodilecrocodile (quelques milliers), le lion, l'hippopotame et l'éléphant (quelques centaines) ou le requin, le loup et la méduseméduse (quelques dizaines) !
De nombreux insectes sont aussi considérés par les agriculteurs comme nuisibles ou prédateurs, des ennemis à éradiquer. À ne pas confondre avec ceux qu'ils baptisent « auxiliaires de culture », parce qu'au contraire ils favorisent la production agricole.
La catégorie la plus importante, qui représente la moitié des insectes répertoriés, concerne les insectes phytophagesphytophages, qui se nourrissent des plantes : au choix, ils peuvent manger les feuilles, les tiges, les racines, le pollenpollen, les fleurs, les fruits, les graines, la sève, etc., et au passage, ils transmettent souvent des agents pathogènespathogènes. Malheureusement, il leur arrive de sauter d'un continent à l'autre, provoquant alors d'autant plus de dégâts qu'ils arrivent sans leurs propres prédateurs : par exemple, le phylloxera et le doryphore, arrivés d'Amérique du Nord ont pratiquement détruit l'un, le vignoble français, et l'autre, les cultures de pomme de terrepomme de terre au début du XXe siècle. Actuellement, la pyrale du buispyrale du buis et le charançon rouge du palmier (venus d'Asie) menacent directement ces deux arbresarbres en France.
La lutte contre les insectes ravageurs des plantes est donc souvent indispensable, d'autant plus que le coût des différents moyens destinés à limiter leur propagation est souvent très inférieur au coût des dégâts causés par une invasion. On utilise actuellement divers insecticides souvent carrément dangereux également pour d'autres animaux, voire pour l'Homme. De plus, ils multiplient souvent les « dégâts collatéraux » par exemple, ils détruisent au passage les pollinisateurs qui, eux, sont absolument indispensables...
C'est pourquoi on cherche activement d'autres voies : quarantaine pour les importations, lutte biologique, épandageépandage d'insectes stériles, lâcher de prédateurs naturels, répulsifs, plantes génétiquement modifiées, piégeages, rotation plus importante des cultures, travail du sol, irradiationirradiation, etc. Mais elles sont beaucoup plus difficiles à mettre en œuvre, plus coûteuses et souvent moins efficaces (à court terme pour les agriculteurs).
Le défi de se débarrasser de la plupart des insectes dits « nuisibles » tout en conservant au maximum les autres est une des principales questions scientifiques de notre époque, et nous n'avons pas beaucoup de temps pour le relever !