La crise sanitaire, nous la subissons de plein fouet. La crise climatique, elle, se manifeste de plus en plus franchement. Mais la crise de la biodiversité reste discrète. Les espèces disparaissent sans faire de bruit. Et c’est l’une des difficultés qu’il y a à mobiliser pour inverser la tendance, selon Bruno David, naturaliste, président du Muséum national d’histoire naturelle et auteur de « À l’aube de la 6e extinction de masse », paru aux éditions Grasset en ce début janvier 2021. Il partage avec nous quelques pistes qui pourraient nous aider à préserver cette biodiversité.
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Que celui qui n'a pas une anecdote à raconter à propos de la façon dont il a vécu la dernière canicule lève la main. « Je me souviens des vents brûlants que j'ai sentis sur mon visage en sortant d'un bâtiment », nous raconte Bruno David, naturaliste, président du Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle et auteur de « À l'aubeaube de la 6e extinction de masse », paru aux éditions Grasset début janvier 2021. « Le réchauffement climatique se manifeste par des événements extrêmes qui marquent personnellement. La disparition de la biodiversité se fait le plus souvent en silence. »
Aviez-vous noté que ces vingt dernières années, à Paris, plus de la moitié des moineaux ont disparu ? Pourtant, les scientifiques sont unanimes à ce sujet. Ils parlent même d'un déclin de 60 à 75 %. « Pour noter ce genre de mouvementmouvement, il faut savoir être attentif d'une part et se souvenir d'autre part. C'est difficile pour la plupart d'entre nous. Il reste toujours des moineaux, après tout. Alors pour se convaincre qu'ils disparaissent peu à peu, il faut faire confiance à la science qui mène des campagnes d'observation et de mesures. »
Faire confiance à la science ? En cette période secouée par une crise sanitaire mondiale, cette période où l'on voit défiler les experts sur les plateaux de télévision, tenant des discours par toujours cohérents les uns avec les autres, cela semble être devenu encore plus difficile pour beaucoup d'entre nous. Alors, comment réussir à redonner du crédit à la science ? Bruno DavidBruno David a quelques idées.
Accepter la complexité et l’incertitude
« D'abord, je crois qu'il ne faut pas reculer devant la complexité. Le fonctionnement d'un écosystème, c'est quelque chose d'infiniment complexe. Il faut l'accepter et accepter aussi que cela génère de l'incertitude. À trop réduire la complexité du message que l'on fait passer, on risque de ramener la science au rang de simple opinion. Dès lors, n'importe quelle autre opinion peut s'y confronter. Or c'est la gloire de la science que d'accepter les incertitudes. Il faut savoir d'un autre côté, comprendre et accepter que la science évolue. Elle ne change pas d'avis mais évolue en tenant compte des observations qu'elle fait. Certes le message n'est pas simple, je reste toutefois convaincu qu'il peut passer. »
Et pour le faire passer, le président du Muséum national d'histoire naturelle propose d'abord « d'expliquer la démarche scientifique ». De raconter comment les connaissances se sont construites au fil des siècles. Parfois assez récemment même. Lorsque Alfred WegenerAlfred Wegener a proposé sa théorie de la dérive des continents, au début du XXe siècle, les scientifiques étaient peu à le suivre. « Puis, on a découvert les dorsales océaniquesdorsales océaniques et les choses se sont mises en place. Aujourd'hui, la théorie fait consensus et ce n'est pas par le simple fait du hasard, mais le résultat d'observations. »
Une biodiversité sensible aussi à nos bonnes actions
L'autre levier qu'envisage Bruno David pour redresser la barre en matièrematière de biodiversité, c'est celui des bonnes nouvelles. « Il faut donner un peu d'espoir. D'autant que parlant de biodiversité, il y a deux vraies bonnes nouvelles. C'est que nous avons les moyens d'agir, d'abord. Et que la biodiversité réagit relativement vite ensuite. » Elle peut se régénérer parfois en seulement quelques années. Contrairement à ce qui se passe au niveau du climatclimat pour lequel l'inertieinertie est bien plus importante. « Les fruits de notre investissement peuvent non seulement être récoltés rapidement, mais aussi localement. » Là encore, à l'inverse que ce qui se passe pour la lutte contre le réchauffement climatiqueréchauffement climatique pour laquelle les efforts se retrouvent dilués au niveau du climat mondial.
« Je peux citer l'exemple de la Haute-Loire de mon enfance. Les rivières étaient très polluées et la faunefaune était pauvre. Depuis, j'ai vu y revenir beaucoup d'espècesespèces d'oiseaux. Parce que les cours d'eau français sont en bien meilleur état qu'il y a 40 ans. », nous raconte le naturaliste. Le résultat de politiques nationales, mais aussi de petits gestes personnels. « Les choix des consommateurs sont essentiels. Ils ont un réel impact. Nous pouvons choisir de manger des poissonspoissons locaux et de saisonsaison. Dans nos jardins, nous pouvons laisser s'épanouir des fleurs pour accueillir des pollinisateurs. Nous pouvons tous faire quelque chose. Et tout ce que nous ferons, quelle qu'en soit l'échelle, sera bon à prendre. »
“La vie fonctionne sur le principe de la symbiose”
En guise de conclusion, Bruno David nous confie : « Je n'ai pas de crainte pour la vie sur TerreTerre. Elle survivra. En revanche, j'ai des inquiétudes pour le fonctionnement des écosystèmes tels que nous les connaissons. J'ai des inquiétudes pour la survie de l'humanité. Notre complexité nous rend fragiles. Les organismes rudimentaires ont des capacités d'adaptation extraordinaires. Mais nous, nous nous plaçons dans une fenêtrefenêtre physiologique extrêmement étroite. Nous sommes finement adaptés à cet environnement dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Dans les forêts du CarbonifèreCarbonifère, il y a quelque 280 millions d'années, le taux d'oxygène était trop élevé pour les Hommes. Dans l'atmosphèreatmosphère terrestre d'il y a 400 millions d'années, il y avait vingt fois plus de CO2 qu'aujourd'hui. De quoi nous faire suffoquer. Lentement, notre Planète évolue. Et les écosystèmes s'adaptent. Mais depuis quelques décennies, nous avons commencé à bouger le thermostatthermostat très rapidement. C'est risqué. Imaginez que je vous mette dans une pièce, habillé d'une tenue de ski et qu'avant que vous puissiez la retirer, je monte le chauffage à 50 °C. Nul doute que vous vous sentiriez vite très mal à l'aise. N'oublions pas que nous sommes en symbiose avec la nature. Toute la vie fonctionne sur le principe de la symbiose. Et prendre soin du tissu vivant de cette planète, c'est tout simplement essentiel à notre propre survie. »