Sais-tu quel géant à écailles, créature de légende et pourtant bien réelle, peut faire des bébés sans s’accoupler ? Aujourd’hui, on va parler du dragon de Komodo dans Bêtes de Science.
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Les îles sont des endroits hors du commun. Séparées du continent, parfois par des milliers de kilomètres d'océan, ces territoires servent de sanctuaire et d'écrin à des espèces animales et végétales uniques en leur genre. C'est par exemple le cas dans l'archipel des Galápagos, où nous avions observé ensemble les iguanes marins. Aujourd'hui, je te propose une nouvelle expédition, à l'autre bout de la planète, en Indonésie, sur l'île de Komodo. Tu sais, là où on avait croisé les raies manta ! Accroche-toi, c'est parti !
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Komodo : l'île des lézards géants
L'île de Komodo n'est pas très grande, à peine 30 km de long pour 16 km de large. Mais son relief est impressionnant ! Formée par l'éruption des volcans, l'île, comme les plus de 17 000 autres qui forment le pays que l'on appelle Indonésie, est couverte de montagnes dénudées gris-rose sur lesquelles apparaissent quelques buissons et fourrés verts. De la plage où nous sommes, dont le sable clair tire lui aussi vers le rose, on voit que l'eau est presque transparente. Regarde, on peut même entrevoir les poissonspoissons à travers la surface ! Mais si je t'ai amené ici, ce n'est pas pour plonger. J'espère plutôt que tu as pris de bonnes chaussures, parce que ça va grimper ! Approchons-nous des hautes herbes, et de la zone boisée plus haut, sur la colline. On m'a dit qu'il y avait quelques marigots où nous pourrions trouver notre héros du jour. Allons-y !
Sous les arbresarbres, il fait un peu plus frais. Une mare légèrement boueuse attire les insectesinsectes. Tiens, mets un peu d'anti-moustiquemoustique si tu ne veux pas finir piqué de partout. Oh, baisse-toi ! Regarde dans les jumelles. Ils sont là ! Tu les vois ? À l'ombre, de part et d'autre du point d'eau, les deux grandes formes brunes ? Le plus grand doit faire 2 m 50 de long et le plus petit, un peu moins d'1 m 50, à vue de neznez. Presque ma hauteur totale ! Et ils pèsent autant qu'un homme adulte. Ce sont des varans de Komodo, de leur nom latin Varanus komodoensis. Ce sont les plus grands lézards du monde, et on ne les trouve nulle part ailleurs. Leur museau est rond et leur corps trapu. Ils pèsent 70 kilos en moyenne, mais le plus costaud connu à ce jour, pesait 166 kilos pour plus de 3 m de long. Aussi grand qu'une petite voiturevoiture et aussi lourd qu'un réfrigérateur ! C'est cet aspect impressionnant qui leur a valu leur surnom de « dragons », même si, désolée de te décevoir, ils ne crachent pas de feufeu.
Oh tu as vu ? Le plus gros des deux a ouvert un oeil et tiré une longue langue, jaune clair, qui ressemble à celle d'un serpent. Il a dû sentir notre odeur ! Même si c'est peu courant, les dragons peuvent attaquer des humains. Et vu leur format, on ne fait pas le poids ! Bien que ces deux pépères aient l'airair partis pour un roupillon, je te propose que nous restions à distance pour les observer.
Car, même s'ils peuvent avoir l'air débonnaires comme ça, à faire paisiblement la sieste, ce sont des prédateurs redoutables. Regarde le bout de leurs pattes : elles sont munies de griffes recourbées très aiguisées. Leur longue queue peut se transformer en fouet dangereux et rudement efficace *bruit de fouet*: en la faisant claquer, ils peuvent sonner une proie ou remettre un concurrent à sa place. Leur corps est recouvert d'écailles épaisses qui les protègent, notamment lors des violents combats entre mâles. Les opposants s'affrontent à la manière de lutteurs, dressés sur leurs pattes arrières ; ils s'enlacent avec leurs pattes avant et se repoussent. Un câlin pas vraiment amical ! Ils possèdent en plus, sous leurs écailles, des plaques osseuses appelées ostéodermes, qui recouvrent tout leur corps et leur servent d'armure. Les scientifiques n'ont pu en décrire la structure précise que tout récemment en 2019, en utilisant des scanners pour voir à travers leur peau. Mais malgré cette cotte de maille très résistante, certains d'entre eux récoltent de vilaines morsuresmorsures lors des bagarres.
Une morsure venimeuse et mystérieuse
Il faut dire que les dents des dragons valent le détour. Courbées comme des petits poignards, elles sont crantées, couvertes de petites pointes, sur leur face arrière. Ce sont de véritables petits rasoirs très tranchants qui leur permettent de déchirer la viande dont ils se nourrissent. Leurs quenottes ressemblent d'ailleurs plus à celles des requins qu'à celles des autres reptilesreptiles, comme leurs cousins crocodilescrocodiles, par exemple. La similitude ne s'arrête d'ailleurs pas là. Comme les requins, nos dragons possèdent des dents de rechange, qui repoussent juste derrière celles qu'ils ont cassées ou perdues. Pratique ! Comme leurs gencives sont très épaisses, leurs dents sont le plus souvent cachées. Même si tu regardes la bouche de nos dormeurs aux jumelles, tu ne pourras pas les apercevoir : on ne voit leurs dents que lorsqu'ils se nourrissent. Un peu comme pour Krokmou, dans le film Dragons ! Et autre petite particularité, on peut parfois voir un peu de sang dans leur bouche, quand ils mordent un objet. Ce n'est pas parce qu'ils se sont fait mal, mais parce que leurs dents percent leurs gencives à chaque fois qu'elles sortent ! Trop bizarre !
Il existe de nombreuses histoires qui racontent que les dragons empoisonnent leurs proies en les mordant, mais en réalité, on ne sait pas précisément ce qu'il se passe. Il peut en effet arriver qu'un varan morde un animal affaibli et que celui-ci meurt des suites de sa blessure. On a donc longtemps pensé que leur bouche abritait de nombreuses bactériesbactéries et que la morsure s'infectait, mais on n'en est plus si sûr aujourd'hui. Apparemment leur bouche est aussi propre que celle d'autres carnivorescarnivores, même si... bon, c'est très relatif. Ils ne doivent pas sentir la rose non plus ! Ce qui arrive assez souvent, en revanche, c'est que des animaux blessés, comme les buffles d'eau, se réfugient dans des mares où leurs blessures entrent en contact avec des bactéries, qui peuvent alors déclencher une infection et provoquer leur mort. Ils ne mourraient donc pas empoisonnés par notre varan.
Sauf que ! Depuis peu, on sait que les dragons possèdent bien un veninvenin qui empêche le sang de coaguler, de sécher en somme. Il entraîne aussi une baisse de pressionpression du sang dans les artèresartères et la paralysie des muscles. Ce qui fait que s'ils attaquent une proie, la blessure ne peut pas cicatriser et l'animal s'affaiblit. Les dragons n'ont plus qu'à patienter sagement jusqu'à ce qu'il rende son dernier souffle pour passer à table. La morsure de cet animal est donc encore entourée de pas mal de mystère, mais ce qui est sûr, c'est qu'il vaut mieux éviter de s'y frotter !
Globalement, en matièrematière de menu, les dragons de Komodo ne font pas les difficiles. Ils peuvent aussi bien se contenter de crabes, de poissons et d'œufs que d'animaux plus gros comme des oiseaux, des singes et certains ongulés, tels que des cerfs et des sanglierssangliers ! Les plus gros d'entre eux peuvent aussi croquer les plus petits. Eh oui, certains sont cannibales ! D'ailleurs, les jeunes dragons passent une grande partie de leur temps cachés dans les arbres pour rester à l'abri de leurs aînés. Ils redescendent au sol une fois qu'ils ont suffisamment grossi et que leur cote de maille s'est bien développée, pour s'imposer et se défendre face aux autres adultes. En captivité, plusieurs dragons ont dépassé les 25 ans, et certaines mesures faites sur des animaux sauvages laissent penser qu'ils peuvent atteindre 40 ans. Comme ils grandissent toute leur vie, les plus grands sont les plus vieux !
Dragons en danger !
Avec de tels attributs, on pourrait croire les dragons de Komodo invincibles. Mais, la réalité est tout à fait différente. Ils sont classés « en danger » sur la liste rouge de l'UICNUICN, l'Union internationale pour la conservation de la nature, bien qu'ils soient intégralement protégés depuis les années 1990. Comme ils ne vivent que sur quelques îles en Indonésie, à Komodo et à Flores notamment, leur population est faible, et on estime qu'il ne resterait que 1 400 individus adultes et 2 000 jeunes environ dans leur milieu naturel. Mais qui est capable de menacer la survie de ces géants redoutables ? Tu le devines peut-être déjà : c'est le dérèglement climatique ! Avec la montée des eaux et la sécheressesécheresse, leur territoire se réduit d'année en année. Et si l'île de Komodo est classée en parc naturel national, ce n'est pas le cas des autres îles, où notre varan géant peut être menacé par les feux que les habitants allument pour fertiliser les terresterres agricoles, ou la disparition des cerfs, chassés de manière trop intensive. Les chienschiens errants représentent aussi un danger pour leurs œufs, et la présence des touristes peut être envahissante. Bref, même quand on est le roi des lézards, on n'est pas tranquille pour autant !
Même si nos deux compères, qui dorment près de la mare, se tolèrent, les dragons de Komodo sont plutôt du genre solitaires. Ils peuvent parfois se regrouper autour d'une carcasse et manger au même endroit, mais le plus souvent, chacun mène sa vie de son côté. Quand vient la période des amours, de mai à août, les mâles se combattent, parfois violemment, pour s'accoupler avec les femelles. On a longtemps pensé que les couples se formaient juste le temps de faire des bébés, mais des observations laissent penser que certains amoureux sont fidèles le temps d'une saisonsaison de reproduction, ce qui est très rare chez les lézards ! Nos dragons seraient-ils de grands romantiques ? La femelle pond et enterre ses œufs. Elle profite bien souvent des nids géants en forme de dôme de certains oiseaux, comme les mégapodes, qui ressemblent un peu à des dindes. Recouverts de feuilles et de branches en décomposition, ces nids maintiennent les oeufs bien au chaud, sans aucun effort ! La femelle dragon ne s'occupe ainsi plus des œufs une fois qu'ils sont enterrés et ils éclosent au bout de 7 à 8 mois d'attente.
Elle a fait un bébé toute seule !
Mais ce qui a ému la communauté scientifique au début des années 2000, c'est que l'on a découvert que des femelles dragons de Komodo, vivant en captivité en parc zoologique, ont été capables de faire des bébés... toutes seules ! Sans mâles, elles ont tout de même pondu des œufs, qui ont donné naissance à des petits. Impressionnant non ? On appelle cela de la parthénogénèseparthénogénèse. Et même si l'on sait que certains animaux, comme les phasmes, ces insectes qui imitent l'aspect de feuilles ou de bâtons, ou certains lézards et oiseaux en sont capables, ce sont rarement des animaux aussi gros qui ont recours à cette technique ! Elle permet aux femelles de se reproduire même si elles sont toutes seules, mais cette stratégie a aussi ses limites. Afin d'exister durablement, une espèce a besoin de ce qu'on appelle le « brassage génétiquebrassage génétique ». Grosso modo, un bébé sera plus costaud si ses parents viennent de familles différentes, car chacun apportera des forces complémentaires.
Par exemple, si l'un des parents est résistant à une maladie et l'autre parent, lui, est peu sensible à une autre, alors leur bébé aura plus de chance d'être immunisé contre ces deux maladies à la fois. Mais si les deux parents sont de la même famille, ils risquent d'être tous les deux sensibles aux mêmes troubles. C'est pour ça que dans la nature, les jeunes animaux quittent leur foyer et se séparent, une fois qu'ils sont assez grands, pour éviter qu'ils ne fassent des bébés entre frères et sœurs, car leur ADNADN est trop similaire.
Les petits dragons nés sans père ont ainsi les mêmes gènesgènes que leur maman et sont donc sensibles aux mêmes maladies qu'elle. Et en plus, ce ne sont que des mâles ! Pour la survie de l'espèce, il vaut mieux donc éviter que les femelles se reproduisent uniquement toutes seules.
Des géants fragiles dont on ne sait presque rien...
Tu l'as peut être remarqué, les différentes découvertes sur le mode de vie du dragon de Komodo, que ce soit sur sa reproduction, sur la structure de sa cotte de maille ou encore sur son venin, sont relativement récentes. On ne sait encore que très peu de choses sur lui ! Il faut dire que la première description de cet animal par un scientifique européen ne date que de 1912. L'une des personnes qui a contribué à mieux les faire connaître est une femme scientifique anglaise, malheureusement tombée dans l'oubli : Joan Beauchamp Procter. En plus d'être une excellente artiste naturaliste, qui dessinait et sculptait les animaux avec précision, elle était passionnée des reptiles depuis l'enfance. Devenue conservatrice des reptiles de la société zoologique de Londres en 1923, elle a conçu leur bâtiment, révolutionnaire pour l'époque, qui est toujours utilisé à l'heure actuelle au zoo de Londres. C'est celui que tu peux voir dans le premier film Harry Potter !
Elle a adapté les lumièreslumières et les systèmes de chauffage avec soin pour que ses protégés soient installés le plus confortablement possible ! C'est d'ailleurs lors de l'inauguration du vivarium en 1927 que deux mâles dragons de Komodo, baptisés Sumba et Sumbawa, ont été présentés au public. À l'époque, on ne savait rien d'eux ! On pensait qu'il avalaient des humains vivants, qu'ils mesuraient 10 m de long et qu'ils étaient des monstres effrayants et très agressifs ! Joan, qui nourrissait Sumbawa sur scène à la main, a essayé de casser les idées reçues sur ces animaux. Elle a appris à les soigner et les a étudiés avec précision. À force, un lien spécial s'est créé entre Sumbawa et elle. Le varan géant avait pour habitude de la suivre docilement dans les allées du zoo, jusqu'à la mort de Joan, en 1931 !
Incroyable, non ?