Notre Terre a déjà connu plusieurs extinctions de masse. La dernière, vraisemblablement déclenchée par la chute d’une météorite il y a quelque 66 millions d’années. Les dinosaures n’y ont pas survécu. Et les chercheurs craignent que nous soyons aujourd’hui au début d’une nouvelle disparition massive de ce type. Précipitée par les activités humaines cette fois. Bruno David, naturaliste, président du Muséum national d’histoire naturelle et auteur de « À l’aube de la 6e extinction de masse », paru aux éditions Grasset en ce début janvier 2021, nous le confirme. Mais il nous assure surtout qu’il n’est pas trop tard pour inverser la tendance.


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    Il y a quelques jours, l'Académie des sciences se prononçait pour la toute première fois sur la crise de la biodiversité. Elle attirait tout particulièrement l'attention sur le déclin des insectes. Une biodiversité qu'on ne voit pas. Moins médiatisée que les ours blancs. Mais dont la disparition menacerait l'équilibre des écosystèmes terrestres.

    « Jusqu'à la révolution industrielle, le système terre était globalement stable. L'impact de l'activité humaine était limité et localisé », nous fait remarquer Bruno David, naturaliste, président du Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle et auteur de « À l'aubeaube de la 6e extinction de masseextinction de masse », paru aux éditions Grasset en ce début janvier 2021. Depuis, la situation s'est largement dégradée. Chaque jour, presque, les chiffres tombent. Quarante millions d'hectares de forêts disparus en vingt ans. 80 % d'insectes en moins dans certaines régions sur la même période. Un taux d'extinction des espècesextinction des espèces parfois estimé à cent fois celui des précédentes extinctions de masse qu'a connues notre Planète.

    « Ne nous y trompons pas. Les hommes ont toujours eu un comportement de prédation sans limites sur la nature. Lorsque nous n'étions que 500 millions sur Terre, avec un accès à la technologie restreint, ce comportement ne posait pas de problème. Mais la démographie a explosé et, en parallèle, notre pressionpression moyenne sur l'environnement a considérablement augmenté », nous explique Bruno DavidBruno David.

    Selon Bruno David, c’est essentiellement notre emprise sur le territoire continental qui nuit à la biodiversité. Ici, la mégapole de Tokyo (Japon). © Alain Crépin, Adobe Stock
    Selon Bruno David, c’est essentiellement notre emprise sur le territoire continental qui nuit à la biodiversité. Ici, la mégapole de Tokyo (Japon). © Alain Crépin, Adobe Stock

    Biodiversité, réchauffement climatique : ne pas opposer les combats

    Emprise territoriale, surexploitation des ressources, pollution, déplacement d'espèces, réchauffement climatiqueréchauffement climatique. Aujourd'hui, les activités humaines mettent la biodiversité en danger. « C'est un peu comme lorsque l'on se prépare à une randonnée. On met quelque chose dans son sac à dosdos. Ça ne pèse pas trop lourd. Puis on ajoute une deuxième chose. Et une troisième. À force, le sac à dos devient impossible à supporter. » D'autant que les différents facteurs peuvent interagir entre eux et noircir ainsi encore un peu plus le tableau.

    Évoquant un exemple désormais bien connu de tous, Bruno David souligne qu'« il n'est pas question de hiérarchiser. Fonctionnellement, biodiversité et réchauffement climatique sont liés. Le climatclimat influence la biodiversité et réciproquement. Prenez le cas de la biodiversité marine : le planctonplancton produit de l'oxygène et, en se développant, il pourrait même piéger des carbonates et aider ainsi à refroidir notre Planète. D'où l'importance, lorsque l'on se retrouve dans une situation d'antagonisme, de bien veiller à s'orienter vers des solutions gagnant-gagnant. »

    Et le président du Muséum national d'histoire naturelle de nous citer l'exemple de forêts que l'on détruit pour implanterimplanter des champs de panneaux solaires. Dans les Landes, un débat public autour d'un projet d'implantation d'un parc photovoltaïque vient justement d'être lancé. Il nécessiterait la destruction de mille hectares de pins. « C'est sans doute bon pour le climat, mais pas pour la biodiversité », estime Bruno David.

    Le saviez-vous ?

    En 2015, une étude corédigée par des chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle a montré la décroissance de la biodiversité dans les dessins animés de Walt Disney au fil des décennies. Dans les années 1940, 80 % des scènes figuraient des paysages naturels. Seulement 50 % dans les années 2000. Et à partir des années 1980, certains films comme Aladin ou Monstres et Compagnie ne montraient presque pas de scènes de nature. Et si vingt-deux espèces différentes apparaissent en 1937 dans Blanche Neige, il n’y en a pas plus de six dans Mulan, en 1998. Comme le signe d’une sorte de distance culturelle entre les humains et le reste du vivant, selon les chercheurs.

    « Il ne faut pas oublier que nous faisons partie intégrante de cette nature. Sans les autres êtres vivants, nous ne pourrions tout simplement pas vivre. Pensez par exemple au microbiotemicrobiote de nos intestins. Nous faisons partie du jeu, non pas dans une position d'arbitre, mais de joueur. La question aujourd'hui est de savoir comment nous voulons nous comporter par rapport aux autres joueurs. Parce qu'attention, nous avons tout autant que les autres le droit de jouer. Mais nous sommes peut-être les seuls à avoir conscience de ce qui se joue réellement. Et nous sommes peut-être en train de jouer et de marquer contre notre camp ! »

    Dans <em>Blanche-Neige et les sept nains</em> (1938), la biodiversité était joliment représentée. Selon des travaux publiés en 2015, c’est moins le cas dans les dessins animés de Disney plus récents. © <em>The Walt Disney Company</em>
    Dans Blanche-Neige et les sept nains (1938), la biodiversité était joliment représentée. Selon des travaux publiés en 2015, c’est moins le cas dans les dessins animés de Disney plus récents. © The Walt Disney Company

    Agir directement sur les facteurs de pression

    La comparaison donne à réfléchir et laisse aussi penser que nous aurions notre avenir entre nos mains. « Il est toujours temps d'inverser la tendance. D'autant que la biodiversité est très résiliente. Nous avons déjà pu observer que, lorsque l'on redonne ses droits à la nature, elle s'en saisit rapidement pour se relever. » Parmi les exemples positifs : celui du thon rougethon rouge. En Méditerranée, il était au bord de l'extinction. Un moratoiremoratoire et un plan de pêchepêche raisonnée plus tard, le thon rouge est de retour. Cela peut donc fonctionner.

    Mais plus généralement, comment faire ? « Il ne faut pas penser que nous allons pouvoir jardiner la planète. La biodiversité est bien trop complexe pour cela. Croire que nous allons réussir à gérer les écosystèmes serait d'une arrogance extrême car nous ne pouvons pas contrôler la vie. En revanche, les facteurs de pression que nous exerçons sont aujourd'hui parfaitement identifiés. Il suffit donc d'agir sur ces facteurs de pression pour aboutir à des résultats. Comment et à quelle vitessevitesse ? On ne sait pas. Mais on sait que ça ira mieux. »

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    Pour sauver la biodiversité, il faut donc tout simplement changer notre comportement. « Nous avons commencé à le faire », nous fait remarquer Bruno David, optimiste. « Regardez au Moyen âge ou à la Renaissance, l'humanité se moquait du sort du reste du vivant. » Mais il faut maintenant aller plus loin. Préserver les sols - pour le naturaliste, c'est tout particulièrement important, car « on n'a jamais encore vu de champ de bléblé hors sol » -, revoir nos pratiques agricoles basées sur les intrantsintrants chimiques, restreindre le fractionnement des territoires, adopter des moratoires sur la pêche. En résumé, « se donner enfin des limites » !