Ce petit vautour, grand migrateur intercontinental, revient d’Afrique au mois de mars pour nidifier dans nos montagnes du sud de la France. Mais l’espèce, au rôle de nécrophage particulièrement utile, est en déclin. Sa population hexagonale compterait moins de 100 couples… Pourtant, cet oiseau si particulier, possède une identité culturelle forte auprès des populations humaines.
au sommaire
Pour le tournage d'un documentaire en Provence, j'ai exploré avec mon équipe la région méditerranéenne française de la Côte bleue à la Haute-Provence, à la recherche de sa biodiversité emblématique et du lien homme-animal. Dans le splendide massif du Luberon, écosystème de basses montagnes calcaires et rocailleuses recouvertes de garrigues et de forêts sèches, nous avons recherché un des rapaces les plus rares de France : le Percnoptère d'Égypte (Neophron percnopterus). Un nom bien compliqué pour ce petit vautour blanc sale aux ailes noires (perknos-pteron signifie « aile tâchée de noir » en grec) et à la face nue jaune orangée, qui mesure 70 cm, pèse environ 2 kilos et possède une envergure de 1,70 mètre.
Cadavres, bouses de vaches, insectes ou même œufs d’autruche : le Percnoptère possède un régime alimentaire extrêmement varié
Essentiellement nécrophagenécrophage, c'est-à-dire charognard, il est spécialisé dans le nettoyage des carcasses de mammifères. Il se concentre notamment sur les tendons, les lambeaux de peau et les restes de chair difficiles à atteindre pour le becbec massif des plus grands vautours, comme le vautour fauve ou le vautour moine. Mais l'oiseauoiseau, opportuniste, s'intéresse aussi aux animaux écrasés sur les routes -- reptilesreptiles, amphibiensamphibiens ou petits mammifères -- voire vivants, insectesinsectes et oisillons. Il sait même se montrer coprophagecoprophage, en s'alimentant occasionnellement de bouses de vachevache. En consommant cadavres et excréments, l'espèceespèce joue un rôle écologique crucial : elle contribue à limiter la contaminationcontamination organique du milieu naturel et de l'agrosystème, notamment pastoral. En Afrique, le Percnoptère utilise parfois une pierre pour fendre l'épaisse coquillecoquille d'un œuf d'autruche !
Mais les menaces qui pèsent sur le Percnoptère sont toujours plus intenses : lignes électriques, empoisonnements, perte d'habitat et dérangements humains sont les plus connues. L'espèce est considérée comme en danger (EN) par l'UICNUICN (Union internationale pour la conservation de la nature), tant au niveau mondial que national, avec une tendance globale à la diminution. On compte moins d'une centaine de couples nicheurs dans l'hexagone, exclusivement dans les Pyrénées (60 à 70 couples) et le sud-est (une vingtaine de couples).
Serviteur écosystémique menacé, le Percnoptère est aussi une figure culturelle
D'un point de vue « bioculturel », c'est-à-dire à la fois biologique et culturel, le rapacerapace est pourtant un cas particulièrement riche. L'espèce, qui est répartie sur trois continents, est migratrice en Europe où elle vient nicher de mars à septembre. Elle est sédentaire ou hivernante dans l'espace saharo-sahélien, et strictement sédentaire en Asie du Sud, aux Canaries ou en Arabie.
En Inde, j'ai pu observer des individus très proches de l'Homme, nichant sur des bâtiments urbains, et fréquentant les décharges publiques. En Égypte, sa place dans la culture provient de la protection pharaonique qui lui était accordée dans les anciens cultes polythéistes, lui valant d'incarner la première lettre de l'alphabet hiéroglyphique.
En Espagne, le Percnoptère est présent sur des sites très touristiques et aux abords de certains abattoirs, où il est facile à observer. Du Portugal à la Turquie en passant par l'Italie et la Grèce, les légendes qui concernent l'oiseau sont nombreuses, l'associant au Phœnix, à la mort ou à des mythes anciens qui contribuent parfois localement à sa protection. Dans le sud de la France, ces rapaces ont également un statut culturel à part. L'oiseau est localement nommé Dame blanche ou Marie-blanque dans les Pyrénées, et « Peyre blanc » dans le Luberon. En fin d'hiverhiver, le retour du Percnoptère annonce symboliquement l'arrivée du printemps.
Un suivi minutieux pour un avenir incertain
La France représente la limite nord de son aire de répartitionaire de répartition européenne. Mais ces petits vautours y sont farouches et difficiles à localiser, ce qui contribue à alimenter leur statut d'oiseaux mystiques pour les naturalistes. Nous avons ainsi dû multiplier les affûts pour réussir à observer et filmer les percnoptères, en étant pourtant au cœur de leur territoire de nidification. Avec le Conservatoire d'Espaces Naturels de Provence-Alpes-Côte-D'azur (CENCEN Paca), j'ai assisté au mois de juillet à la descente en rappel de volontaires le long de parois abruptes, pour parvenir à baguer de jeunes individus prêts à l'envol. Ceci afin d'assurer leur suivi scientifique, et de pouvoir les identifier lors de potentielles futures observations. Certains percnoptères sont même équipés de balises pour suivre leurs déplacements jusqu'au Sahel.
D'abord bruns à face verdâtre, les juvéniles ne deviennent blancs qu'à partir de leur cinquième année. À cet âge, ils se mettent en quête d'un partenaire et d'un territoire pour se reproduire. Mais avant cela, ils devront traverser six fois la Méditerranée, le Sahara et l'habitat des Hommes, tantôt hostiles à leur présence, tantôt admiratifs devant cette figure animale unique et légendaire.