Lors de deux anciennes périodes glaciaires, l'océan Arctique a peut-être été empli d'eau douce. Une hypothèse étayée par l'absence d'un marqueur isotopique !
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L'Océan, l'ensemble des cinq océans couvrant le monde, est fait d'eau salée. Mais ce qui sonne comme une évidence aujourd'hui ne l'a pas été hier. Par deux fois, l'océan Arctique aurait été gorgé d'eau douce. D'au moins 1.200 km3 d'eau douce supplémentaires par an, cloîtrés sous une couche de 900 mètres de glace ! Cet événement aurait eu lieu une première fois entre 150.000 et 131.000 ans avant nos jours, et une seconde fois aux alentours de -70.000 à -62.000 ans.
Cette conclusion, des chercheurs allemands y sont parvenus en remarquant une absence. L'absence d'un isotopeisotope du thorium, le thoriumthorium 230, dans des carottes de sédiments issues de l'océan Arctique. « Dans l'eau de mer saline, la désintégration de l'uraniumuranium naturel se traduit toujours par la production du thorium 230, cette substance s'accumule au fond de la mer, où elle reste détectable pendant très longtemps puisque sa demi-viedemi-vie est de 75.000 ans », précise Walter Geibert, géochimiste et coauteur de l'étude.
Le manque total et généralisé de ce thorium 230 dans les sédiments est un « cadeau », estime Jutta Wollenburg, micropaléontologue et coautrice de l'étude. « Selon nos connaissances, la seule explication raisonnable de ce schéma est que l'océan Arctique a été rempli d'eau douce deux fois dans sa plus jeune histoire -- sous forme congelée et liquideliquide », indique-t-elle.
Prison de glace
Mais comment cette situation aurait-elle pu être possible ? L'eau douce n'aurait-elle pas dû se répartir au sein de l'océan mondial ? Actuellement, sans doute, car nous sommes au beau milieu d'une période interglaciaire. Mais, entre 150.000 et 131.000 ans avant notre ère, la Terre est en pleine période glaciairepériode glaciaire, dite glaciation saalienne. De la même façon, entre 70.000 et 62.000 ans, notre planète subit la glaciation vistulienne. « Un tel scénario est perceptible si l'on se rend compte qu'en période glaciaire, le niveau mondial de la mer était jusqu'à 130 mètres plus bas qu'aujourd'hui, et les massesmasses de glace dans l'Arctique pourraient avoir restreint encore davantage la circulation océanique », décrypte Ruediger Stein, géologuegéologue et coauteur de l'étude.
À ces époques, l'océan Arctique aurait été abreuvé d'eau douce -- a minima 1.200 km3 par an -- , surplombée par une épaisse couche de glace qui l'aurait maintenue en ces lieux, tandis que l'eau saline aurait été recluse à l'extérieur par des barrières de glacebarrières de glace. « Une fois que le mécanisme des barrières de glace prend fin, l'eau salée aurait à nouveau rempli l'océan Arctique », suppose Walter Geibert. L'eau douce aurait alors été expulsée vers les mers nordiques. Une hypothèse qui ferait concorder les différentes reconstructions du passé océanique, jusqu'ici irréconciliables.
« Ces résultats signifient un réel changement dans notre compréhension de l'océan Arctique dans les climatsclimats glaciaires. À notre connaissance, c'est la première fois qu'une transmutationtransmutation complète en eau douce de l'océan Arctique et des mers nordiques est envisagée, non pas une, mais deux fois ! », apprécie Walter Geibert. Des résultats pouvant combler certaines lacunes dans nos compréhensions, et peut-être, aider à la gestion des risques dus au dérèglement climatique.