Sais-tu quel animal fait briller son derrière pour échanger des informations dans la nuit ? Aujourd’hui, on va parler de la luciole dans Bêtes de Science.


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    Ça y est, le moment tant attendu, que je planifie depuis plusieurs mois pour notre aventure du jour, est enfin arrivé ! C'est la toute fin du printemps, nous sommes début juin. Les températures sont douces. Il est temps de nous rendre à notre destination, si l'on ne veut pas manquer le coche ! Direction l'Est des États-Unis d'Amérique. Tous les ans, le Parc National des Smoky Mountains, qui se trouve dans l'État du Tennessee, est en effervescence. Pendant 8 petits jours, toutes les équipes de rangers sont sur les dents. Il faut dire que 1 000 personnes sont attendues chaque soir, tu imagines ?! Certains de ces visiteurs, comme nous, viennent de très loin pour assister au spectacle. Et tous ont été chanceux, car pour participer à l'événement de ce soir, il faut remporter sa place... à la loterie !

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    Un rendez-vous annuel très prisé

    Les instructions que j'ai reçues par message sont très claires. Il faut que nous nous rendions au campement, situé près de la ville d'Elkmont. C'est là qu'a lieu l'événement principal. On se gare ici, et les équipes du parc viendront nous chercher dans un petit train. Suivons les autres visiteurs pour attendre au point de rassemblement. Tout est boisé autour de nous. Plusieurs sentiers aménagés révèlent cependant que l'endroit n'est pas du tout sauvage, mais géré par les équipes du parc.

    Une vue aérienne des Smoky Mountains au coucher du soleil. © Aviator31, Wikimedia Commons
    Une vue aérienne des Smoky Mountains au coucher du soleil. © Aviator31, Wikimedia Commons

    Il fait bon. Même si c'est la fin de l'après-midi, il doit bien faire encore 18 °C. La lumièrelumière dorée traverse les feuilles vertes des arbres qui nous entourent et éclaire le chemin. La forêt est assez vallonnée tout autour de nous. J'aperçois quelques petites mares dans le sous-bois. Viens, allons nous installer. Il y a plusieurs endroits où l'on peut poser nos chaises pour ne rien louper du show de ce soir. Attention à ne pas s'écarter du sentier ! Il y a déjà un peu de monde, tâchons de ne pas faire trop de bruit. Tiens, là-bas, dans cette clairière on devrait être bien ! Hop, on déplie les chaises. Et j'ai ramené des plaids bien chauds pour que l'on s'emmitoufle bien. À la tombée de la nuit, il risque de faire frais. J'ai aussi pris des lampes frontales. Veille à bien les utiliser uniquement en lumière rouge. Et sur les téléphones, hop, on scotche ce petit autocollant rouge, pour ne pas déranger les stars. Maintenant que nous sommes installé·e·s, il n'y a plus qu'à attendre que le spectacle commence ! Il y a une bonne ambiance ; les gens discutent, et essaient de réfréner leur impatience. L'heure de début ? Ah ça, je ne peux pas te dire, ce sont elles qui décident ! Habituellement, elles sortent vers 21h30, quand il fait sombre.

    Des scarabées brillants !

    Nos héroïnes du jour, qui font se déplacer les gens en massemasse, comme pour assister au concert exceptionnel d'une rock star, sont des lucioleslucioles. Ici, au parc national des Smoky Mountains, on peut en croiser 19 espèces différentes. Mais celles qui représentent la vraie attraction sont les lucioles qui appartiennent à l'espèce Photinus carolinus. Tu verras tout à l'heure leur particularité en action !

    Un spécimen de <em>Photinus Carolinus</em> mâle, vu du dessus et du dessous, où l'on voit apparaître un arrière-train jaune clair. © National Park Service, Wikimedia Commons
    Un spécimen de Photinus Carolinus mâle, vu du dessus et du dessous, où l'on voit apparaître un arrière-train jaune clair. © National Park Service, Wikimedia Commons

    Si elles font se déplacer tant de monde, nos lucioles ne sont pourtant pas très impressionnantes. Une fois adultes, ces insectes mesurent 1 à 1 centimètre et demi, en moyenne. La taille d'une de mes phalangesphalanges ! Ce sont des coléoptères, des scarabées, de couleurcouleur marron, légèrement allongés, avec deux grandes antennes plantées sur le dessus de la tête. Celle-ci est protégée par une cuticule épaisse, qui forme comme un bouclier sur leur dosdos, appelé pronotum. Cela donne un peu l'impression que la luciole passe sa vie la tête cachée sous son oreiller ! Leurs yeuxyeux sont aussi très impressionnants, car ils sont très gros. Ils ressemblent un peu à ceux des libelluleslibellules, en moins globuleux. Comme elles, les lucioles ont une vue excellente, nécessaire pour détecter la moindre lumière ! Le mâle possède sur le dos des élytresélytres, des carapaces amovibles qui recouvrent ses ailes. Les femelles, en revanche, ne volent pas, et naviguent au sol. C'est un exemple de dimorphisme sexueldimorphisme sexuel, c'est-à-dire de différence facile à observer entre mâles et femelles. Comme chez le paon par exemple, chez qui seul le mâle est capable de faire la roue avec les plumes de sa queue. Enfin, si on les retourne délicatement, on peut voir au bout des abdomensabdomens de nos lucioles une zone plus claire, couleur crème. C'est cette zone, qu'elles sont capables de faire briller comme une lampe !

    Ver luisant et luciole : cousins de lumière

    Cette lueur est en fait le résultat d'une réaction chimique complexe entre une protéineprotéine appelée luciférine, une enzymeenzyme, la luciférase, et l'oxygène. Elle permet de convertir toute l'énergieénergie en lumière, et ce, sans produire de chaleurchaleur. Si les substances impliquées ont un nom proche de celui de Lucifer, ce n'est pas un hasard : c'est qu'ils ont tous deux un lien avec la lumière ! Eh oui ! En latin, lucifer signifie « porteur de lumière ». C'est aussi l'une des nombreuses appellations données à l'angeange déchu, l'étoile du matinétoile du matin, qui deviendra le Diable dans la religion chrétienne. Le super pouvoir des lucioles c'est donc ça : la bioluminescencebioluminescence ! Si elle est très répandue chez les animaux marins, comme les médusesméduses, les coraux, les calamarscalamars et les poissonspoissons des abysses, qui éclairent l'obscurité avec leurs corps, cette particularité est beaucoup plus rare chez les espèces qui vivent sur terreterre.

    Un exemple de bioluminescence que l'on trouve chez une espèce de plancton des Maldives. © Youtube, ViralHog

    Toutefois, c'est bien une spécificité que l'on retrouve chez tous les membres de la grande famille des lampyridés, dont les lucioles font partie. On estime qu'il en existe plus de 2 400 espèces à travers le monde, et plus de 270 espèces en Amérique du Nord. Mais on en trouve partout sur le Globe, sauf aux pôles. Elles aiment les champs et les forêts légèrement humides. En France métropolitaine, l'insecte lumineux que tu as le plus de chance de croiser est le ver-luisant, de son nom latin Lampyris noctulica, qui est bien un scarabée, lui aussi, et non un ver, mais qui n'est pas une luciole non plus: c'est un cousin lampyridé. On dénombre sur le territoire dix espèces de vers luisants, et une seule espèce de luciole Luciola lusitanica, mais on ne la trouve que dans le Sud-Est, près de Nice et en Corse, et elle est malheureusement peu courante. 

    Briller de concert pour mieux séduire

    Oh ça y est, la nuit est tombée. Le noir nous enveloppe... Oh, là, regarde ! Voici notre première luciole ! Tu as vu ce flashflash de lumière jaune-vert, là bas sur le tronc ? Ce sont les mâles qui lancent la parade et brillent en premier ! Ainsi, ils cherchent à attirer des femelles, qui luisent à leur tour pour leur indiquer leur position, alors qu'elles les attendent au sol. Les mâles les rejoignent alors pour s'accoupler. Oh, là, à gauche, une deuxième ! Et là-bas, deux autres ! Tu les vois ? Des points brillants apparaissent partout ! Les mâles peuvent scintiller en vol ou en étant posés, mais ils choisissent souvent de se mettre en hauteur, pour être vus de loin. Leurs lumières clignotent à raison de 4 à 8 flashs à la suite, dans un temps très court, quatre secondes en moyenne, suivis d'une pause dans l'ombre. Bon, à ce stade, chacun brille à des moments différents... Mais si tu fais attention, tu verras que petit à petit, les lumières s'allument en simultané. Les mâles Photinus carolinus se synchronisent : tous s'illuminent à l'unisson, et s'arrêtent en même temps. Cela fait comme une vaguevague étincelante, qui remonte le long de cette petite colline. C'est incroyable non ? Les Américain·e·s appellent cet évènement le Light show, le spectacle des lumières.

    Un aperçu du « spectacle des lumières » qu'il est possible d'observer chaque année aux abords d'Elkmont. © National Geographic, YouTube

    Pendant 3 heures, chaque nuit, pendant quelques jours seulement, des milliers de lucioles éclairent la nuit dans une danse magique ! Ce phénomène est rare : seules quelques espèces de lucioles synchronisent leurs signaux lumineux, et même chez cette espèce, ce comportement n'apparaît que si les insectes sont suffisamment nombreux. Les scientifiques l'ont également étudié en laboratoire, et ils ont pu constater que les femelles lucioles réagissent beaucoup plus quand les flashs lumineux des mâles sont émis en même temps. Ainsi, travailler de concert fonctionne mieux : chacun a plus de chances de trouver sa chacune !

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    Il faut dire qu'il n'y a pas de temps à perdre. Les lucioles adultes ne vivent pas très longtemps, 3 à 4 semaines tout au plus. Leur unique but est de trouver des partenaires et de faire des bébés ! Certaines lucioles adultes ne mangent même pas ! Pas le temps ! Après l'accouplementaccouplement avec plusieurs mâles, les femelles pondent des œufs qui éclosent au bout de 3 semaines environ. Les larveslarves, qui sont dépourvues d'ailes, vivent au sol pendant 1 à 2 ans, et elles se nourrissent principalement de limaces, d'escargots et de vers ! Des proies bien plus grosses qu'elles ! Certaines mangent aussi d'autres insectes. Malgré leur petite taille, ce sont de redoutables prédatrices !

    Lucioles en danger !

    Mais leur appétit ou leur nombre ne les protège pas des menaces du monde moderne qui pèsent sur elles. Comme tu peux le voir ici, le spectacle lumineux qui s'offre à nous ce soir attire de multiples curieux, et des mesures ont dû être prises pour réduire le nombre de visiteurs. En effet, même si les gens sont respectueux, la foule peut déranger les insectes. Il faut bien rester sur les sentiers pour éviter de marcher sur des femelles lucioles, ou sur des larves qui se cachent au sol et dans les hautes herbes. Il est aussi essentiel de n'utiliser que de la lumière rouge car les lumières blanches de nos lampes ou de nos téléphones perturbent les insectes et brouillent leurs signaux. Plusieurs études scientifiques ont d'ailleurs démontré que les lumières artificielles de nos lampadaires affectent les parades des lucioles, qui se basent sur la lumière pour que les partenaires se retrouvent. En présence de ces lumières, mâles et femelles sont désorientés, se perdent et se reproduisent moins. Réduire les zones éclairées en ville est donc une bonne piste pour venir en aide aux lucioles ! Et... mieux voir les étoiles. Comme quoi, on peut tou·te·s y trouver un avantage !

    Durant les mois d'octobre et de novembre, vous pouvez participer à l'opération Sentinelles de la nuit en signalant les points lumineux qui vous paraissent illégaux ou nuisibles. © FNE Pays de la Loire, X

    Par ailleurs, il existe en France métropolitaine un large programme citoyen qui recueille les témoignages pour évaluer la population de lampyridés et les localiser. Il s'agit de l’Observatoire des vers luisants et des lucioles, créé en 2015, et il a déjà mobilisé plus de 15 000 observateurs et observatrices. Si tu veux participer, toi aussi, c'est simple : il suffit de s'inscrire sur leur site internetinternet, et de leur dire tous les ans si tu as vu un ver luisant ou une luciole dans ton jardin ! Ainsi, avec ces données, on pourrait mettre en place des mesures pour les protéger.  Mais tu verras qu'un autre danger pèse sur nos petites lumières volantes ! Même entre lucioles, la guerre fait ragerage

    Clignoter pour communiquer... ou se déguiser

    On l'a vu, les lumières des lucioles ne servent pas seulement à éclairer les nuits d'été. Ce sont des messages qui permettent d'échanger des informations. Les larves peuvent aussi briller pour dissuader des prédateurs de les manger, mais chez les adultes, ces messages visuels sont essentiellement utilisés pour marquer leur territoire et pour se signaler auprès de partenaires afin de se retrouver lors de la saisonsaison des amours. Chaque espèce de luciole a son propre code lumineux, identifiable au nombre de flash, à leur rapiditérapidité, aux temps de pause entre chaque rafale, etc. C'est un peu comme du morsemorse, ce langage composé de bips courts et longs créé par les humains au tout début des communications longues distances ! Par ailleurs, au sein de chaque espèce de lucioles, mâles et femelles émettent des signaux lumineux de fréquences différentes. On pourrait donc penser qu'avec tous ces détails, l'information circulerait sans accroc. Mais ce serait trop simple. Certaines lucioles trichent et peuvent changer la duréedurée et les délais de leurs flashs lumineux pour piéger les lucioles d'autres espèces ! 

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    Par exemple, les lucioles femelles du genre Photuris, des lucioles nord-américaines surnommées « femmes fatales », imitent les signaux des femelles lucioles du genre Photinus, le même genre que celui de nos lucioles synchronessynchrones du parc national des Smoky Mountains. Ainsi, elles attirent des mâles Photinus, qui pensent trouver des partenaires, mais qui se font croquer à l'arrivée ! Ces femelles tueuses obtiennent ainsi un repas facile, et absorbent des moléculesmolécules défensives qu'elles ne peuvent pas produire elles-mêmes et qui les protègent, elles et leurs œufs, des prédateurs. Mais le jeu de dupes ne s'arrête pas là. Les mâles Photuris, les mâles de ces lucioles « femmes fatales » copient eux aussi parfois le signal lumineux des mâles d'autres espèces de lucioles, les proies que recherchent activement leurs femelles. Ainsi, les femelles qui envoient des signaux lumineux pour attirer un mâle d'une autre espèce pour le manger, se retrouvent face à un mâle, qui imitait le signal d'une proie mais qui s'avère être en réalité, un mâle de leur espèce prêt à s'accoupler. Le casse-croûtecroûte se transforme en prétendant. À tricheur, tricheur et demi : tous les coups sont permis !