Le retour du loup inquiète les éleveurs. Malgré l’adoption de stratégies préventives, certaines situations imposent de sortir les armes : une adaptation par la défense non sans conséquences sur les populations de loups, pourtant indispensables à l’équilibre des écosystèmes. Il est urgent de cohabiter. 


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    Avez-vous lu l'épisode précédent ? On y explore les causes et les conséquences du retour du loup en France, à travers un voyage dans le temps.

    Les mesures de protection ont des limites (voir l'épisode 2)), et lorsque même des tirs d'effarouchement ne suffisent pas à écarter un loup en action de prédation, des tirs létaux peuvent prendre le relais « dans un cadre strictement encadré réglementairement », assure toutefois la Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement). Il en existe plusieurs types « dont les modalités sont graduées en fonction de l'importance et de la récurrence des dommages subis sur les troupeaux ». 

    Dans un premier temps, les tirs de défense simples et renforcés permettent de tuer des loups en situation d'attaque et ce, de janvier à septembre. Ils ont pour objectif de défendre le troupeau contre une prédation imminente, et peuvent être effectués par toute personne détentrice du permis de chasse C. Dans un second temps, il existe les tirs de prélèvement simples et renforcés, quant à eux organisés à l'automne, pour réduire la pressionpression de prédation quand cette dernière est forte dans les foyers d'attaques. Seuls les officiers des deux brigades loups de l'OFB (Office français de la biodiversité) et les louvetiers (chasseurs assermentés) y sont habilités. Nous retrouvons Gilles Apeloig, éleveur de chèvres et brebis à Gresse en Vercors, qui soutient que « la régulation doit être faite par des professionnels, qui connaissent bien la meute », au risque d'une déstructuration qui démultiplierait les attaques. Explications.

    Malgré l'autorisation, sur dérogation, de tirs de défense et de prélèvement, l'abattage des loups est loin d'être la solution face aux attaques sur les troupeaux. © Dan, Adobe Stock
    Malgré l'autorisation, sur dérogation, de tirs de défense et de prélèvement, l'abattage des loups est loin d'être la solution face aux attaques sur les troupeaux. © Dan, Adobe Stock

    Pourquoi l’abattage n’est-il pas la solution ?

    Une étude a montré que la reprise de la chasse ne diminue non seulement pas la prédation, mais augmente même la reproduction. Conséquence : les loups éliminés sont rapidement remplacés, et colonisent de nouveaux territoires. Malgré l'existence de quotas, les tirs « au hasard » ne sont vraisemblablement pas la solution : alors qu'un seul loup peut être responsable de nombreux dégâts, une meute peut ne jamais toucher à un animal domestique. Coralie Mounet, chargée de recherche au CNRS, rappelle que « la mise en chiffres peut être une erreur : il faut privilégier une approche qualitative de ce qui se passe sur le terrain ». Identifier l'individu problématique et engager une réponse ciblée serait donc plus adapté à la réalité des attaques, même si l'abattre est parfois contre-productif. En effet, l'élimination d'un individu dominant risque d'éclater la meute, et entraîner la dispersion d'individus sur d'autres territoires... Un phénomène qui s'explique par le mode de vie de ces animaux sauvages.

    Territorialité, dispersion, prédation

    Le loup vit en meute, sédentarisée sur un territoire donné allant de 150 à 300 km². En France, elle est constituée de quatre à cinq loups en moyenne : un couple reproducteur dominant, et ses descendants. En se reproduisant une fois par an, le couple donne naissance à quatre à huit louveteaux, qui connaissent une mortalité allant jusqu'à 50 % durant leur première année. Si les effectifs dépassent un seuil dans la meute, des individus âgés de 1 et 4 ans partent, avec un taux de dispersion variant de 10 à 30 % de l'effectif d'une population. Cette dispersion peut être motivée par certains comportements d'évitements sociaux ou encore la quête de partenaire, mais le motif le plus récurrent reste la recherche de nourriture.  

    Le loup est un mammifère carnivore opportuniste, chassant préférentiellement la nuit. Il mange entre deux et cinq kilos de nourriture par jour en moyenne, à un rythme aléatoire entrecoupé de plusieurs jours de jeûne. 76 % de ses proies sont des ongulés sauvages de taille moyenne (chevreuil, chamoischamois, mouflon, cerf, sangliersanglier), même s'il lui arrive de consommer des proies plus petites (lièvres, marmottes, petits rongeursrongeurs, voire même insectesinsectes, batraciensbatraciens, oiseaux, reptilesreptiles...) et parfois, des ongulés domestiques comme les ovins et les caprins. 

    Un ongulé sauvage isolé et vulnérable constitue la proie idéale pour un loup en action de prédation, comme ce jeune chamois. © Serge, Adobe Stock
    Un ongulé sauvage isolé et vulnérable constitue la proie idéale pour un loup en action de prédation, comme ce jeune chamois. © Serge, Adobe Stock

    Toutefois, comme tout prédateur, lorsqu'il se nourrit, le loup cherche à optimiser son énergieénergie. Ainsi, il préfère les proies les plus vulnérables, comme celles qui sont âgées, blessées ou malades. Ce comportement a le double avantage de limiter la propagation des maladies, et de permettre aux individus les plus robustes de se reproduire et de transmettre leurs gènesgènes à leur progéniture. 

    Partout où le loup a repris sa place, c’est bénéfique pour la faune et pour la flore

    En outre, le comportement du loup illustre parfaitement la notion d'autorégulation des espècesespèces : sa population est proportionnelle à celle de leurs proies. En d'autres termes, le loup ne peut pas pulluler car il s'adapte aux ressources, c'est-à-dire à la fois aux espèces disponibles, mais également à leurs effectifs*. Il ne fait pas disparaître ses proies - sans quoi il disparaîtrait lui aussi -, mais il régule leurs populations sauvages, comme le certifie Gille Apeloig : « partout où le loup a repris sa place, c'est bénéfique pour la faunefaune et pour la flore ».

    Les grands prédateurs sont indispensables aux écosystèmes

    Le loup joue un rôle crucial dans l'équilibre écologique des forêts. En régulant les populations d’ongulés sauvages, il prévient une surpopulation qui pourrait exercer une pression excessive sur les jeunes pousses d'arbresarbres. En effet, en présence de loups, les grands herbivoresherbivores sont plus vigilants, réduisent leur temps de broutage et se dispersent davantage, ce qui permet une meilleure régénération de la végétation localement. Cette dynamique ne se limite pas qu'aux loups : la présence de grands prédateurs, tels que l'ours ou le lynx, est un indicateur de la richesse biologique des écosystèmesécosystèmes qu'ils habitent. 

    Si les loups, et autres grands prédateurs, sont essentiels à l'équilibre écosystémique, comment expliquer la circulation d'idées fausses à leur égard ? Quel rôle jouent les médias dans la constructionconstruction de l'image d'un prédateur ? Je vous donne rendez-vous pour un dernier épisode, qui terminera cette série de la seule manière possible : déconstruire le mythe du « grand méchant loup  » pour en édifier un nouveau, à la lumièrelumière des paroles de Gilles Apeloig : « si on arrive à vivre en harmonie avec le loup, on arrivera à vivre en harmonie ensemble ». 

    Retrouvez tous les épisodes de l'enquête : 


    * Étant donné le coût énergétique élevé d'une action de chasse, le loup ne se livre pas à cette activité pour le plaisir ou par cruauté, mais pour se nourrir. Toutefois, il arrive qu'il tue davantage que nécessaire sous certaines conditions, un phénomène connu sous le nom de « surplus killing » ou « over-killing ». Le loup choisit généralement des proies vulnérables (très jeunes, âgées, affaiblies ou malades). Lorsqu'il attaque un troupeau domestique, la concentration de nombreuses proies dans un enclos en fait des cibles idéales, empêchant le loup de sélectionner adéquatement sa proie. La panique du troupeau peut aussi exciter l'instinct de chasse du loup, le conduisant parfois à tuer plus qu'il ne lui en faut.