Sais-tu quel drôle d'oiseau couleur de mousse, l’un des plus rares au monde, fait "boum" ? Aujourd’hui, on va parler du kākāpō dans Bêtes de Science.


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    J'espère que tu as le cœur bien accroché. Aujourd'hui, nous partons à la rencontre de l’un des animaux les plus menacés au monde. Plus rare et plus doué encore pour le camouflage que la discrète panthère nébuleuse ou que le timide quetzal que je t'ai déjà emmené découvrir, arriver jusqu'à lui représente une aventure en soi. Direction l'autre bout de la planète, la Nouvelle-Zélande, que les māoris, le peuple autochtone de l'archipel, appellent Aotearoa. Après de longs mois de négociations, le département de la conservation du gouvernement néo-zélandais nous a donné son accord pour venir les rencontrer. Seules quelques autorisations sont délivrées chaque année, pour des journalistes ou des scientifiques, et les places sont très chères ! Il faut argumenter et montrer patte blanche pour obtenir le précieux sésame. Les māoris désignent notre héros du jour comme un taonga, un trésor. Il faut dire que ce joyau national emplumé est très farouchement gardé ! 

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    Une rareté  sous très haute surveillance

    Nous nous rendons donc sur l'île du Sud, car oui, la Nouvelle-Zélande est constituée de deux grandes îles principales, celle du Nord et celle du Sud. Mais, tout autour, on trouve pas moins de 700 îles de toutes les tailles ! Notre périple ne s'achève pas ici. Nous partons pour l'une de ces petites îles, qui se trouve au sud-ouest de l'île du Sud, mais chut, notre destination finale doit rester secrète ! Seules cinq îles, dont l'accès est hautement surveillé, servent de sanctuaires à nos drôles d'oiseaux, bien cachés du monde extérieur. Sitôt arrivé·e·s sur l'île, les rangers viennent à notre rencontre. Tiens, les voilà, saluons-les. « Hi ! Thank you for having us », merci de nous accueillir. Prépare-toi à crapahuter, nous partons tout de suite avec les équipes pour tenter de repérer l'un de nos héros du jour. Quatre mâles ont été réintroduits sur l'île il y a quelques mois : Elwin, Kanawera, Manawanui et Motupōhue. Et, pour ne pas les perdre, ils sont tous équipés d'émetteurs qui permettent de les localiser, même au milieu de la végétation foisonnante, le terrain escarpé de ces montagnes, et ses nombreuses cachettes. Allez, c'est parti !

    La Nouvelle-Zélande abrite des paysages variés, des forêts aux volcans et des fjords aux plaines. © A. Karnholz, Adobe Stock
    La Nouvelle-Zélande abrite des paysages variés, des forêts aux volcans et des fjords aux plaines. © A. Karnholz, Adobe Stock

    Les rangers utilisent du matériel très performant, qui permet de capter les signaux des émetteurs. Il est crucial qu'ils fonctionnent bien, sinon, ils risquent de perdre la trace des animaux qu'ils protègent. Et ils sont aujourd'hui si peu nombreux qu'il faut tous les garder à l'œilœil ! Ah ! Elwin a été repéré dans la zone, on entend les bips de l'émetteur. Mais maintenant, il faut le trouver. Regarde au sol, dans les fourrés. Fini le suspense : l'animal que nous cherchons est le plus gros perroquet au monde. Un oiseau au plumage vert moucheté de brun, et incapable de voler : le kākāpō. Son nom latin Strigops habroptila, fait référence aux stryges, des créatures mythologiques ailées un peu effrayantes, aux cris perçants. Elles ont également donné leur nom à la famille des strigidés, qui regroupe les chouettes et les hiboux. Chouettes et kākāpōs se ressemblent un peu : ils possèdent un masque de plume qui leur donne une bouille toute ronde, et ils ont la particularité de vivre la nuit ! Eh oui, d'ailleurs kākāpō en māori, veut dire « perroquet de nuit ».  

    Un randonneur-grimpeur, incapable de voler

    Ah ! Les rangers fouillent parmi les racines d'un vieil arbre, il semblerait qu'ils se rapprochent. Suivons-les de loin. C'est très difficile de trouver un kākāpō dans son milieu naturel, tant son plumage est mimétique, c'est-à-dire qu'il imite son environnement. On dirait qu'il est recouvert de moussemousse ! Même son odeur le dissimule. Ceux qui ont eu la chance d'en approcher disent qu'il sent bon le sous-bois. Oh ! Regarde là-bas ! Deirdre, la cheffe ranger plonge le bras dans une cavité, et sort un très gros oiseau, qui semble étrangement immobile. C'est Elwin ! Il est presque aussi gros qu'une dinde ! Aussitôt l'équipe le mesure et fait les contrôles de routine pour s'assurer que son émetteur est bien en place et que tout va bien. Elwin est un bel adulte de 15 ans et il pèse près de 3 kilos ! Pour un oiseau, c'est énorme ! Mais comme il ne vole pas, cela ne lui pose pas de souci.

    Avec son plumage camouflage, le kākāpō se fond facilement dans la végétation. © Mike Bodie
    Avec son plumage camouflage, le kākāpō se fond facilement dans la végétation. © Mike Bodie

    En regardant par-dessus l'épaule des rangers qui le manipulent délicatement, on peut apercevoir son gros becbec clair légèrement crochu et surmonté de deux narinesnarines bien visibles. Pourtant, malgré ce bec impressionnant, le kākāpō est végétarienvégétarien. Il ne se nourrit que de feuilles, de bourgeonsbourgeons et de baies. Et regarde. Tu vois, de chaque côté de son bec ? Ces longues plumes noires, fines comme des poils ? Elles jouent le même rôle que les moustachesmoustaches des chats, et lui permettent de naviguer de nuit sans se cogner. Mais l'une de ses caractéristiques les plus impressionnantes, ce sont ses grandes griffes puissantes. Car s'il ne vole pas, le kākāpō est un sacré grimpeurgrimpeur, qui escalade facilement les troncs avec ses pattes et son bec. Même les arbres de 20 mètres de haut ne lui font pas peur ! C'est aussi un excellent randonneur, qui peut marcher pendant des kilomètres.
    Elwin s'agite un peu. Les rangers se dépêchent de noter les dernières informations dont ils ont besoin, et ils le posent au sol. Il s'ébouriffe les plumes, pousse un petit grognement outré, et s'éloigne d'un airair bourru avant de s'enfoncer lentement dans la végétation et de disparaître complètement en quelques instants.

    Un perroquet solitaire qui fait "boum" ! 

    Le revoilà donc parti à sa vie solitaire ! Car oui, les kākāpōs vivent en solo. Mâles et femelles ne se croisent qu'au moment de la reproduction. Mais là aussi, les kākāpōs ne font pas les choses comme les autres perroquets. Ce sont des originaux. Tu te souviens quand je t'ai parlé des perroquets gris du Gabon et des perruches calopsittes, qui, bien souvent forment des couples sur la duréedurée ? Eh bien les kākāpōs, pas du tout ! Les mâles creusent dans le sol de petites cavités en forme de cuvettes, qui leur servent d'amphithéâtres qui amplifient leurs cris. Ils s'y installent et déploient tous leurs talents de chanteurs pour attirer les femelles. Ils émettent même des "boums", des grondements très graves qui peuvent être entendus à très longue distance. Tous les prétendants se retrouvent dans la même zone, un peu espacés les uns des autres. Les femelles n'ont plus qu'à choisir et faire leur marché ! On appelle ce type de parade, où les mâles font les beaux, et les femelles les choisissent, des leks. Après l'accouplementaccouplement, les femelles se construisent un nid, et pondent 3 à 4 œufs. Elles élèvent leurs petits toutes seules, ce qui est aussi plutôt rare chez des oiseaux, où les parents s'entraident souvent.  

    Un kākāpō produit des « boums » sonores pour attirer une compagne. © The Proud Kiwi, YouTube

    Le hic, c'est que l'on estime que les femelles ne pondent que tous les deux ou trois ans seulement, quand les fruits du rimu, un arbre de la famille des pins, sont produits en grande quantité. Ces fruits très riches en énergieénergie les aident à fabriquer les œufs et élever leurs petits au mieux. Sur le principe, ce mode de reproduction plutôt lent fonctionne bien, vu que les kākāpōs font de vieux os. Ils pourraient vivre plus de 60 ans ! Si un ou deux bébés naissent tous les 3 ans, cela reste rentable ! Mais ça, c'était avant... En Nouvelle-Zélande, avant toute invasion humaine, il n'y avait aucun mammifèremammifère, excepté deux espècesespèces de chauves-sourischauves-souris. Nos kākāpōs n'avaient donc aucun prédateur et pouvaient arpenter leurs îles sans danger. Le problème c'est qu'à chaque colonisation humaine, Polynésiens, Māoris, Européens, de nouveaux animaux sont amenés sur l'île, dont certains comme les chats, chienschiens, rats, fouinesfouines et furets...raffolent de leurs oeufs et aiment les chasser, puisqu'ils sont patauds et incapables de s'envoler pour fuir.

    C'est le début de la fin pour nos pauvres perroquets-hiboux, qui disparaissent à la vitessevitesse de l'éclairéclair et qui sont désormais en danger critique d'extinction. Je ne sais pas si tu réalises, mais Elwin que nous avons eu la chance de croiser tout à l'heure est l'un des 247 kākāpōs encore en vie aujourd'hui. 247, c'est très peu et les kākāpōs ne sont pas sortis d'affaire. 
    Mais laisse-moi quand même te dire qu'ils reviennent de loin !

    Il faut sauver le kākāpō !

    Comme je te l'ai dit, les kākāpōs sont considérés comme des trésors nationaux. Avec leur mode de vie étrange, ce sont de drôles d'oiseaux, tout à fait uniques en leur genre. Mais, à cause des prédateurs apportés par les humains sur les îles, ils ont bien failli disparaître complètement. Heureusement, certaines personnes sensibles à leur sort ont tout mis en œuvre pour leur venir en aide.

    Le kākāpō se traîne une réputation d'oiseau un peu bêta, notamment à cause d'un documentaire de la BBC où on le voit « confondre » la tête d'un zoologue avec une partenaire sexuelle. © The Proud Kiwi, YouTube

    À la fin du XIXème siècle, les kākāpōs se font de plus en plus rares, et certains s'inquiètent de ne plus les voir. En 1894, le gouvernement nomme Richard Henry, un naturaliste, pour les sauver. Il déplace alors plusieurs centaines de kākāpōs sur l'île de Resolution, une terreterre émergée sans aucun prédateur. Mais malheureusement, six ans plus tard, c'est le drame : des belettesbelettes arrivent sur l'île et tous les kākāpōs sont tués. Pendant des décennies, et malgré plus de 60 expéditions, on ne croise que quelques rares spécimens. Tous des mâles ! Tout espoir semble alors perdu. Cependant, en 1995, un programme d'envergure voit le jour pour tenter de sauver l'espèce, coûte que coûte. Le kākāpō recovery programme. Tous les oiseaux trouvés sont déplacés par avion sur des îles-sanctuaires, débarrassées de leurs prédateurs et passées au peigne fin. En plus d'équiper chaque oiseau d'un émetteur, comme Elwin, les soigneurs se mettent à défendre les nids contre les rats, les protègent du froid, etc...

    Les dangers de la consanguinité

    Mais l'autre grande menace qui plane sur les kākāpōs, c’est la consanguinité. C'est-à-dire que les petits ont plus de risques d'être affaiblis ou malades si leurs parents viennent de la même famille ou de familles très proches génétiquement. C'est pour ça que, bien souvent, les animaux dont on parle dans Bêtes de Science quittent le nid parental et s'aventurent sur de nouveaux territoires, où le risque de croiser une sœur ou un cousin est faible, au moment de fonder une famille à leur tour. Ainsi, avec un si petit groupe de kākāpōs au départ, les oisillons risquent d'hériter des mêmes fragilités et sensibilités aux maladies que leurs parents, qui sont souvent cousins entre eux. Les scientifiques du programme sélectionnent donc les meilleurs parents possibles en étudiant leur ADNADN, le code génétiquecode génétique de chaque oiseau, pour que leurs petits aient la meilleure santé possible. Les œufs sont ensuite prélevés dans les nids, pour les mettre à l'abri en incubateurs. Et les poussins sont nourris à la main par des volontaires dévoués, qui prennent bien soin de ne pas les imprégner, ce qui rendrait leur relâcher dans la nature impossible ! En effet, quand un jeune oiseau est nourri par des humains, il les identifie comme étant ses parents, et, devenu plus grand, il ne s'intéresse pas vraiment aux autres kākāpōs. Il n'ira pas vers eux et ne cherchera pas à se reproduire. C'est pour cela que toutes les précautions sont prises pour que les bébés kākāpōs se prennent bien pour des kākāpōs! C'est un travail titanesque ! Plus de 200 bénévoles sont recrutés à chaque période de reproduction, pour prendre soin des bébés.

    Un ambassadeur qui redonne espoir

    SiroccoSirocco, un kākāpō qui fête cette année ses 27 ans, a été habitué à l'humain, car il a souffert quand il était petit d'une maladie pulmonaire, qui a nécessité des soins quotidiens. Comme il est désormais impregné et est donc incapable de vivre seul à l'état sauvage, il sert de représentant officiel des kākāpōs. Il a même été nommé ambassadeur de la biodiversitébiodiversité par le Premier Ministre néo-zélandais, en 2010. Rien que ça ! Il voyage, rencontre son public et fait parler de lui. Assister à l'une de ces rencontres est d'ailleurs l'une des rares opportunités pour les Néo-zélandais de croiser un kākāpō vivant !

    Sirocco s'est habitué à la compagnie des êtres humains, mais il semble aussi capable de se débrouiller tout seul. Sur cette vidéo, les rangers le voient revenir après deux ans d'absence. © Department of Conservation, YouTubeYouTube

    Malheureusement, les kākāpōs sont encore en sursis. Leur population reste minuscule, et il y a, encore aujourd'hui, beaucoup plus de mâles que de femelles, ce qui est un vrai souci pour leur reproduction. Mais grâce au travail acharné des équipes de conservation du gouvernement, leur nombre augmente sans cesse. De 51 oiseaux restants en 1995, il en existe aujourd'hui plus de 240. Il y a de quoi se réjouir ! Et l'an passé, en juillet 2023, l'équipe du programme kākāpō recovery a même réintroduit quatre mâles sur l'île du Nord, alors que l'on n'a pas croisé ces oiseaux sur les îles principales depuis les années 1980. Enfin, les prévisions annoncent qu'en 2026, les arbres rimu se couvriront à nouveau de fruits ! On croise les doigts et on garde l'espoir pour que plein de nouveaux petits kākāpōs voient le jour à ce moment-là.

    Le rendez-vous est pris !