Sais-tu quel animal ressemblant à une grosse souris jaune est capable de reconnaître la structure des phrases ? Aujourd’hui, on va parler de la gerbille, dans Bêtes de science.


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    C'est un beau matin d'automne. Il fait frais. Dans les hautes herbes à perte de vue, un chien heureux récolte la rosée matinale. Nous sommes en plein cœur des steppes mongoles. L'étendue d'herbe verte et drue s'arrête un peu plus au sud, là où débute le désert de Gobi et son infinité de sablesable fin. La capitale du pays, Oulan-Bator, est à plusieurs jours de cheval, tout au nord. Bientôt, l'hiverhiver recouvrira le paysage d'une épaisse couche de neige et les humains frissonneront près du feufeu, dans le coconcocon de leur yourtes. En Mongolie, l'hiver est rude : le thermomètrethermomètre peut descendre jusqu'à - 40 °C. Mais nous n'y sommes pas encore. Pour l'instant, l'airair est doux et l'automne commence son ouvrage : par endroit, le paysage brunit, et la nature, déjà, somnole. Les animaux, eux aussi, profitent des dernières douceurs de la saisonsaison. La Mongolie abrite des espècesespèces extraordinaires : loups, ours du désert, chevaux robustes ou encore saïgassaïgas, une espèce d'antilopeantilope qui semble tout droit sortie des profondeurs de la préhistoire. Parmi eux, il est un animal, qui n'est ni le plus grand, ni le plus spectaculaire, mais qui n'en est pas pour autant moins étonnant : la gerbille.

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    La gerbille de Mongolie : un mignon petit rongeur vivant sous terre

    Elle vit sous nos pieds, dans la terreterre. Son pelage, couleurcouleur sable, lui permet de se confondre avec terre. Elle la gratte, la façonne, transforme la terre mongole pour en faire sa maison, son village. Allons lui rendre visite... Mais avant cela il va falloir creuser un peu et... rétrécir au passage ! Nous y voici : un véritable terrier de gerbille. De nombreuses galeries sont séparées par de longs tunnels. Le réseau dans lequel nous nous trouvons s'étend sur plusieurs mètres ! Chaque galerie a une fonction (chambre, litièrelitière, stockage de la nourriture), et les tunnels relient les différents terriers du coin entre eux. Viens, il est temps d'aller rencontrer les habitants des lieux. La gerbille, petit génie de la maçonneriemaçonnerie, est un rongeur, de la taille de ton poing, appartenant à la famille des muridés. Elle ressemble à une espèce de souris trapue, avec un museau plutôt large et deux gros yeuxyeux, comme ceux d'un écureuilécureuil. Souvent, tu la verras dressée sur ses pattes arrière à la manière d'un chinchilla, sa queue large et duveteuse lui permettant de se maintenir en équilibre.

     Un pelage couleur sable, un museau plutôt large et deux gros yeux, c'est une gerbille, appartenant à la famille des muridés. © Alastair Rae, Londres, Royaume-Uni (œuvre dérivée de Bérichard), <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 2.0
     Un pelage couleur sable, un museau plutôt large et deux gros yeux, c'est une gerbille, appartenant à la famille des muridés. © Alastair Rae, Londres, Royaume-Uni (œuvre dérivée de Bérichard), Wikimedia Commons, CC by-sa 2.0

    Nous voilà dans la chambre. Regarde-les, agglutinées les unes contre les autres, leurs grands yeux clos, elles dorment paisiblement en se tenant chaud. De temps à autre, leurs petites oreilles frémissent. Elles sont à l'affût. Les gerbilles ont une très bonne ouïe et une très bonne vue mais c'est souvent insuffisant pour échapper aux nombreux prédateurs qui les menacent. En fait, les gerbilles sont des proies de choix pour les rapacesrapaces qui peuplent le ciel mongol et pour les chats, toujours friands de croquer un petit rongeurrongeur. Mais ici, au chaud dans leur terrier, loin de la surface, nos gerbilles sont en sécurité. Les petits viennent à peine de naître : ils n'ouvriront les yeux que bien plus tard. Pour l'instant, ils ne pèsent encore que quelques grammes, et leurs parents veillent sur eux avec beaucoup d'attention. Bientôt, ils leur apprendront à aller chercher de la nourriture, dans les champs de bléblé ou de hautes herbes tout près d'ici. Car la gerbille est granivoregranivore même si elle mange volontiers de petits insectesinsectes, et son grand appétit pour les céréalescéréales en fait bien souvent une menace pour les cultures humaines.

    Un grand sens de la famille et une endurance remarquable

    Les gerbilles font partie des rares mammifèresmammifères à être monogames, ce qui signifie qu'une fois en couple, elles ne se séparent jamais. Pour séduire la femelle gerbille, le mâle tape des pieds (ou plutôt des pattes) sur le sol. Oui, c'est particulier comme approche. Ce signal leur permet aussi d'exprimer l'approche imminente d'un danger. Comme les lapins, les gerbilles se dressent sur leurs pattes arrières et tambourinent le sol : il faut alors prendre la fuite au plus vite ! Un couple de gerbilles donne naissance à des petits, et constitue une famille, qui vivra ensemble au sein d'un même terrier. Les gerbilles sont ce que l'on appelle des animaux grégaires. Comme les moutons, elles aiment vivre en groupe, des groupes qui peuvent compter jusqu'à une vingtaine d'individus. Les petits restent très longtemps auprès de leurs parents, et les aident même à prendre soin des plus jeunes. 

    La gerbille est monogame et ne sépare pas de l'élu(e) de son cœur. © J G Keulemans, Public domain, <em>Wikimedia Commons</em>
    La gerbille est monogame et ne sépare pas de l'élu(e) de son cœur. © J G Keulemans, Public domain, Wikimedia Commons

    Avec le grand froid de l'hiver, elles vont ralentir leur activité, tout comme en été lorsque la chaleurchaleur devient suffocante. Car la gerbille a des capacités d'adaptation aux conditions climatiques difficiles absolument remarquables. Elle boit peu, urine peu, et pour réguler sa température elle prend des bains... de sable ! Peu commun n'est-ce pas ? Ce petit rongeur mignon à croquer a été adopté par les humains comme animal de compagnie et survit dans des conditions très différentes, de l'Eurasie à l'Afrique. Et tu vas voir que son intelligenceintelligence n'a pas un petit rôle à jouer dans ses capacités d'adaptation. Les scientifiques, qui l'étudient depuis des décennies, ont bien des choses à nous apprendre sur le monde fascinant des gerbilles.

    La gerbille est capable de comprendre la syntaxe des phrases

    En mettant à profit l'ouïe exceptionnelle des gerbilles, les chercheurs ont voulu comprendre si elles étaient en mesure de déceler la structure dans une séquence sonore. La structure des sons, c'est ce qui nous permet de faire la différence entre deux phrases pourtant composées des mêmes mots. Par exemple, la phrase « la petite fille poursuit le chien » n'a pas du tout le même sens que la phrase « le chien poursuit la petite fille ». Nous sommes là face à deux situations très différentes. Pourtant, ces deux phrases contiennent exactement les mêmes mots. Ce qui leur donne un sens différent, c'est leur structure, c'est-à-dire l'ordre dans lequel les mots sont prononcés. Cette structure, si importante pour le langage humain, est ce que nous appelons « la syntaxe ». Dès l'âge de 7 mois, les petits humains sont capables de repérer cette structure dans des suites de sons. Les chercheurs ont utilisé un test comparable à celui utilisé pour les humains et ont décidé de mettre au défi nos chères gerbilles. Voilà un pari audacieux !

    Ils ont ainsi fait écouter à nos petits rongeurs deux « phrases sonores » qui étaient composées ainsi : un bruit, un silence, un bruit, un silence. Mais entre chaque phrase, ils ont fait varier la duréedurée des bruits et des silences, en les rendant plus longs ou plus courts et en créant ainsi deux structures différentes. Un peu comme nous avec la petite fille et le chien de tout à l'heure.

    Cela ressemblait à peu près à cela :

    • première phrase (AB) : 250min/s bruit, 125min/s silence, 125min/s bruit, 500 min/s silence ;
    • seconde phrase (BA): 125min/s bruit, 125min/s silence, 250min/s bruit, 500 min/s silence.
    Les gerbilles sont bavardes et comprennent la structure d'un langage. © Skyimages, Adobe Stock
    Les gerbilles sont bavardes et comprennent la structure d'un langage. © Skyimages, Adobe Stock

    Pour savoir si les gerbilles, sont capables de percevoir la différence, les chercheurs leur ont fait écouter la première phrase plusieurs fois, pour les y habituer. À force de l'entendre, l'intérêt des gerbilles pour notre première séquence sonore diminuait : elles finissaient par reconnaître la suite de sons et s'en lasser. Puis, soudain, les chercheurs leur ont fait écouter la seconde phrase. Et là : les gerbilles ont retrouvé l'intérêt qu'elles avaient au début de l'expérience. Elles se sont montrées curieuses à nouveau ! Bien que la seconde phrase soit constituée des mêmes sons, le changement d'ordre, et donc de structure, était perçu comme une nouveauté par les gerbilles. Nos petits rongeurs sont donc en mesure de faire la différence entre deux séquences sonores de structure différente ! Incroyable, n'est-ce pas ?

    Modèle de laboratoire, la gerbille est parfois plus habile que le rat

    Alors, bien sûr, d'autres études plus poussées seront nécessaires pour explorer ce talent plus en détail. Tu pourrais te dire que, même si une gerbille entend la différence entre ces sons, ça ne veut pas dire pour autant qu'elle comprendrait des phrases aussi complexes que « Le chien poursuit la petite fille » par exemple. Mais, en fait, quand on parle d'intelligence chez des espèces très différentes, comme l'être humain et la gerbille, comparer leurs performances sur des exercices identiques n'est pas forcément le meilleur choix. Par exemple, tu ne saurais sûrement pas creuser des galeries comme le fait la gerbille. Mais ça ne veut pas dire pour autant que tu es bête, évidemment.

    Ça, les chercheurs l'ont bien compris et aujourd'hui, les gerbilles sont devenues l'un de leurs animaux préférés à étudier, le plus souvent en laboratoire. Ces petits rongeurs passent avec succès les tests de mémoire, d'apprentissage, d'évitement ou encore de repérage dans l'espace auxquels ils sont confrontés. Dans certains cas, elles sont même plus habiles que les rats ! Les études ont démontré que la lumièrelumière apaise les symptômessymptômes de profonde tristesse chez les gerbilles, que l'huile essentielle de lavandelavande les détend, ou encore qu'elles sont capables d'apprendre à se repérer dans des labyrinthes virtuels de plus en plus complexes ! Dans la nature, elles creusent leurs terriers au plus près des plantes, pour profiter du soutien et de la structure de leurs racines et utilisent une large variété de vocalisations pour communiquer avec leurs congénères. Encore une fois, Bêtes de Science nous démontre que l'intelligence n'est pas une histoire de taille !