Dans les profondeurs des grottes gabonaises, des crocodiles à la peau orange défient les lois de l’évolution. Isolés dans un environnement singulier, ces reptiles intriguent les chercheurs par leur signature génétique unique.


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    L'émergence d'une nouvelle espèce est un processus long et complexe. En général, il peut s'étaler sur des milliers, voire des millions d'années. Ce phénomène repose sur l'accumulation de mutations génétiquesgénétiques et l'émergence de barrières reproductives entre populations. Cependant, certaines espèces présentent des évolutions rapides, notamment lorsqu'elles sont isolées dans des environnements particuliers.

    Ce cas de figure pourrait être en train de se produire en Afrique, avec des crocodiles uniques au monde. Découverte en 2008 et étudiée pour la première fois en 2010, cette population de crocodiles vit exclusivement dans des grottes du Gabon. Leur évolution rapide intrigue les chercheurs.

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    Ces crocodiles cavernicoles appartiennent à l'espèce des crocodiles nains d'Afrique Osteolaemus tetraspis, des reptiles généralement petits et adaptés aux environnements forestiers. Leur peau est habituellement sombre, un camouflage idéal pour les forêts tropicales denses où ils se nourrissent d'une variété de proies comme des poissons, des oiseaux et des petits mammifèresmammifères.

    Répartition de l'espèce <em>Osteolaemus tetraspis</em>. © Achim Raschka, Wikimedia Commons
    Répartition de l'espèce Osteolaemus tetraspis. © Achim Raschka, Wikimedia Commons

    D'importantes différences entres les deux types de crocodiles

    En 2016, une étude comparative a révélé des différences significatives entre les crocodiles des grottes et leurs congénères des forêts. Les crocodiles des grottes ont un régime alimentaire très spécifique : ils se nourrissent presque exclusivement de grillons et de chauves-sourischauves-souris, contrairement aux crocodiles des forêts qui consomment une grande diversité de proies.

    Mais l'élément le plus frappant est leur couleurcouleur. Les crocodiles des grottes présentent une teinte orange vive, contrairement au brun sombre caractéristique des crocodiles nains des forêts.

    Un crocodile nain orange vivant dans les cavernes, à gauche, et un crocodile nain vivant dans la forêt, à droite. © Olivier Testa, Wikimedia Commons
    Un crocodile nain orange vivant dans les cavernes, à gauche, et un crocodile nain vivant dans la forêt, à droite. © Olivier Testa, Wikimedia Commons

    Une espèce en pleine mutation ?

    Au début, les chercheurs ont pensé que la coloration orange des crocodiles des grottes était liée à leur alimentation, en particulier à la consommation de chauves-souris orange. Cependant, des études ultérieures ont montré que cette coloration est probablement due à leur environnement. Ces crocodiles passent une grande partie de leur temps dans un mélange alcalin d'eau et de guanoguano de chauves-souris, riche en urée. Ce milieu particulier altère progressivement la pigmentationpigmentation de leur peau.

    « Nous pourrions dire que nous avons une espèce en mutation, car le crocodile des grottes a déjà un haplotypehaplotype génétique différent », explique Richard Oslisly, l'archéologue qui a découvert ces crocodiles en 2008, dans une interview pour The Guardian. Il précise que ces haplotypes, qui désignent des variations génétiques pouvant être uniques à une population, n'ont été retrouvés chez aucun autre crocodile.

    Avec leur isolement génétique et les conditions uniques de leur habitat, les crocodiles des grottes pourraient bien être en train de diverger rapidement des crocodiles nains d'Afrique sans pour autant devenir une espèce à part entière pour le moment. « L'ADNADN de cette population cavernicole n'est pas assez différent de son cousin nain de la surface pour en faire une nouvelle espèce, expliquait Matthew Shirley au Mondemais ces animaux ont développé leur propre signature génétique. »

    La question reste pour le moment en suspens, mais depuis quelques années, les chercheurs travaillent à transformer la zone en sanctuaire afin de protéger ces reptiles et continuer de les étudier.