« Bêtes de science », c’est comme un recueil d’histoires. De belles histoires qui racontent le vivant dans toute sa fraîcheur. Mais aussi dans toute sa complexité. Une parenthèse pour s’émerveiller des trésors du monde. Pour ce nouvel épisode, partons à la rencontre de l’un de nos cousins : le lémurien.


au sommaire


    L'indri, vous connaissez ? Non, ce n'est pas une langue exotiqueexotique. C'est le nom d'une espèce de lémurien un peu particulière. Parce que l'indri est le plus grand lémurien au monde, tout d'abord. Imaginez. Lorsque ses jambes sont entièrement détendues, il peut mesurer jusqu'à 1,20 mètre de hauteur. Et certains individus pèsent jusqu'à 9 kilos. Ce n'est pas rien.

    Les légendes, quant à elles, racontent le lien étroit qui existerait entre l'Homme et l'indri. Du côté de Madagascar -- où vit ce lémurien --, il se dit, de bouche à oreille, que dans les forêts d'autrefois, vivaient deux frères. Un jour, l'un des deux décida de quitter la forêt pour cultiver quelques terres fertiles. Il devint un être humain. L'autre resta dans la forêt et devint un indri.

    Voir aussi

    Ida : notre ancêtre lémurien, vieux de 47 millions d'années

    Malheureusement, ce lien semble s'être effiloché au fil du temps. L'indri est aujourd'hui classé parmi les espèces en danger critique d’extinction. En cause, la destruction de son habitat pour l'agriculture ou l'exploitation forestière. Mais également la chasse. Parce que l'indri est apprécié aussi bien pour sa viande que pour sa peau. Au placardplacard les légendes, donc. Place à la réalité du monde. Au délitement des cultures.

    À moins que les scientifiques ne parviennent à inverser la tendance. En montrant peut-être à quel point l'indri nous est réellement proche. Car le saviez-vous, ce grand lémurien est aussi l'un des rares primates au monde à savoir... chanter ! C'est ainsi qu'il communique avec ses compagnons d'infortune. Parfois, les indris forment même des duos ou des trios. Et leurs chants s'envolent alors sur des kilomètres. Étonnant, non ? Mais attendez, ce n'est pas fini.

    Les chants des indris comme ceux des humains

    Après douze années de travaux sur une quarantaine d'individus, les chercheurs sont parvenus à distinguer un tempo différent chez les mâles et chez les femelles. Toutefois, tous leurs chants semblent suivre les mêmes rythmes. Des rythmes dits « catégoriques » qui aident à reconnaître une chanson. C'est le terme que les scientifiques emploient pour désigner des sons espacés d'intervalles de temps de même duréedurée -- on parlera de rythme 1:1 -- ou de durée doublée -- on parlera alors de rythme 1:2.

    Le rythme 1:1 n'est pas si rare dans la nature. Plusieurs espèces d'oiseaux l'ont adopté. Le rythme 1:2 est beaucoup moins fréquent. C'est même la toute première fois qu'il est observé chez un mammifèremammifère. Autre que l'Homme. Le signe d'une capacité très spéciale développée par l'indri. Lui permettant de proposer des chants complexes et articulés. Jusqu'à reproduire la célèbre introduction de « We will rock you ».

    Tout ça pourrait aider les chercheurs à retracer les origines du rythme lui-même. Ils pensaient que ce rythme catégorique, traversant les époques et les cultures, constituait une sorte d'universel musical. D'universel spécifiquement humain. Mais avoir observé ce trait chez l'indri a brusquement fait tomber la musique humaine de son piédestal. Encourageant les scientifiques à imaginer de nouvelles racines à l'arbrearbre de l'évolution de la musique. Reste toutefois à comprendre si ce trait nous a été transmis par notre dernier ancêtre communancêtre commun, il y a plus de 77 millions d'années ou s'il a évolué indépendamment. Peut-être pour aider à la communication au sein des groupes. Une étude plus poussée d'autres rythmes universels -- il en existe six -- chez l'indri ou chez d'autres espèces pourrait apporter la réponse.

    En attendant, sur les enregistrements des chercheurs, on peut aussi entendre que les lémuriens sont des adaptes du ritardando. C'est ainsi que les musiciens appellent le fait de ralentir progressivement le tempo d'une mélodie. Pour l'indri, une autre manière de faire la preuve de ses capacités musicales hors du commun. De défendre peut-être également sa place dans ce monde -- comme la popularisation du chant des baleines avait, en son temps, aidé les efforts de conservation du mammifère marin. Et de montrer, en tout cas... qu'il n'est pas si bête !