« Bêtes de science », c’est comme un recueil d’histoires. De belles histoires qui racontent le vivant dans toute sa fraîcheur. Mais aussi dans toute sa complexité. Une parenthèse pour s’émerveiller des trésors du monde. Pour ce nouvel épisode, pas d’invité de marque. Mais un plongeon dans le monde des émotions et… des sentiments.
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Saviez-vous qu'une émotion, ce n'est pas la même chose qu'un sentiment ? C'est ce que nous disent les scientifiques. La joie, la tristesse, la colère, la peur, ce sont des émotions. Des réactions physiologiques instantanées, brèves et irraisonnées à une situation. Dans notre cerveaucerveau, tout se passe au niveau de l'amygdale. C'est ce petit élément caché dans notre cerveau limbiquelimbique -- la partie de notre cerveau la plus ancienne, le siège de nos émotions -- qui ordonne la libération d'hormoneshormones en réponse à un stimulus. Puis, c'est notre corps qui se met en mouvementmouvement. Face à une araignée, par exemple, il recule ou il crie.
Les sentiments, eux, sont propres à chacun d'entre nous. Ils se construisent sur la base de nos représentations mentales. Ils peuvent durer dans le temps. Et ils correspondent surtout à un processus complexe qui se joue dans le cortexcortex. La matièrematière grise. Cette région du cerveau dans laquelle se jouent des fonctions telles que la mémoire, le raisonnement, le langage ou la conscience. C'est donc à ce niveau que la colère, qui est bien une émotion, si elle est réprimée, peut se transformer en haine, qui est un sentiment.
Mais alors, les animaux sont-ils capables d'éprouver des sentiments ? C'est la grande question qui fait débat au sein de la communauté scientifique. Il faut dire que, pendant plus de quarante ans, les chercheurs se sont d'abord disputés sur la question des émotions. Aujourd'hui, les éthologues rappellent que l'émotion comporte trois composantes. Elle a d'abord une composante physiologique qui détermine la façon dont le corps réagit à un stimulus. Puis, il y a la composante comportementale qui permet d'exprimer ses émotions. Enfin, reste une composante cognitive qui fait faire un certain choix. C'est sur cette base que les chercheurs montrent que de nombreuses espèces animales vivent des émotions. Des mesures physiologiques -- comme la fréquence cardiaque -- ou des observations de comportements -- position des oreilles ou posture de la queue -- peuvent renseigner les scientifiques sur ce point. Il est prouvé, par exemple, que les éléphants ressentent la tristesse lorsqu'ils sont confrontés à la perte de l'un d'entre eux. Les chiens ressentent eux de la joie lorsque leur humain rentre après une journée de travail.
La conscience de soi et des autres au cœur du problème
Concernant les sentiments, les choses se compliquent. Car, par définition, ils sont un peu l'interprétation subjective des émotions. Ils naissent du fait que nous sommes capables d'identifier les causes et les effets des émotions. Pour les chercheurs qui étudient l'humain, il y a la possibilité de poser des questions -- avec tout de même le risque de n'obtenir que des réponses socialement acceptables ou simplement erronées, car il n'est pas toujours évidemment de bien reconnaître même ses propres sentiments. Mais les animaux, eux, ne sont pas capables de répondre.
Et si le secret des sentiments résidait finalement d'abord dans la capacité à prendre conscience de soi ? Peut-être un peu plus encore dans la capacité à prendre le point de vue d'un autre ? C'est l'hypothèse soutenue par certains éthologues. Or il est des animaux qui sont désormais connus pour avoir conscience de leur propre corps. Connus aussi pour copier et interpréter les émotions des autres, pour partager leurs désirs et même, pour comprendre ce que les autres croient. Oui oui, vous avez bien lu. L'expérience a été menée sur des grands singes, nos proches cousins, certes, mais elle a été concluante. Ils se sont montrés capables de comprendre même des croyances fausses. Celle d'un humain qui cherche un objet au dernier endroit où il l'a vu. Alors même que les singes ont été les témoins du déplacement de l'objet en question.
Pour savoir si et comment les animaux interprètent subjectivement leurs émotions en sentiments, les chercheurs devront encore mener d'autres études. Des études multiméthodes qui pourront combiner observations comportementales et cognitives, et données neurophysiologiques et hormonales, par exemple. En attendant, les éthologues suggèrent de supposer que les animaux sont bien doués de sentiments, jusqu'à preuve du contraire. Ne serait-ce que pour être en mesure de mieux répondre à leurs besoins. Une suggestion... pas si bête !