L’ambition de la France, c’est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Et c’est aujourd’hui dans un contexte d’urgence climatique que se dessinent les scénarios énergétiques de notre futur. Au cœur de la problématique, notre consommation d’électricité fait débat. Dominique Vignon, président du Pôle Énergie de l’Académie des technologies, décrypte pour nous, les enjeux de la question.
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Quelle sera notre consommation d'électricité en 2050 ? Dans le contexte du réchauffement climatiqueréchauffement climatique induit par nos émissions de gaz à effet de serre, la question se pose aujourd'hui de manière brûlante à ceux qui travaillent à élaborer les scénarios énergétiques du futur. Et les divergences qui apparaissent dans les rapports d'experts pourraient finalement affecter la sécurité de notre approvisionnement.
En 2015, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergieAgence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) estimait à moins de 400 TWh la demande en électricité dans notre pays à l'horizon 2050. Deux ans plus tard, elle revoyait sa copie, évoquant une consommation qui pourrait s'élever à plus de 500 TWh. « La Stratégie nationale bas carbonecarbone (SNBC) retient désormais le chiffre de 630 TWh. Pour l'Académie des technologies, d'ici 2050, la demande en électricité en France pourrait même monter jusqu'à 850 TWh », nous précise Dominique Vignon, le président du Pôle Énergie de l'Académie des technologies.
Comment les experts de l'Académie des technologies sont-ils arrivés à ce chiffre ? « En 2019, un quart de l'énergie que nous avons consommé, environ, était de l'électricité, soit 470 TWh. Et il faut noter qu'environ 90 % de cette électricité était déjà décarbonée », souligne Dominique Vignon. « Trois quarts de notre énergie -- environ 1.450 TWh --, en revanche, provenaient encore du gazgaz, du pétrolepétrole et du charboncharbon. Or, l'ambition est de faire de la France un pays ZEN - comprenez Zéro ÉmissionsÉmissions Nettes - dès 2050. » En moins de trente ans, le défi est donc tout simplement de s'affranchir des trois quarts de la production d’énergie actuelle.
Faire de la France un pays zéro émissions nettes
A priori, il n'existe que trois façons d'y arriver. D'abord, en misant sur les économies d’énergie. « Nous avons été ambitieux de ce point de vue dans notre calcul. Nous avons opté pour un scénario dans lequel nous parviendrons à réaliser 50 % d'économies. » Un scénario plus ambitieux que celui de l'Ademe - qui retient 45 % d'économies - et de celui retenu par la SNBC.
Un tel niveau d'économies d'énergie sera probablement difficile à atteindre. Pour exemple, la politique d'isolation des bâtiments peine à donner des résultats. Faute de financements. Mais aussi de ce que les experts appellent l'effet rebond. Dans un logement mieux isolé, les études montrent que les gens ont tendance à monter le thermostat, pour profiter d'une température plus élevée pour une consommation finalement presque identique à celle qui était la leur avant les travaux d'amélioration énergétique.
Deuxième manière de rendre plus verte notre production d'énergie : se tourner vers les bioénergiesbioénergies. La SNBC évoque un équivalent, là aussi qualifié d'ambitieux, de 425 TWh de biomassebiomasse disponible à cet usage. « Car la part des bioénergies ne peut pas croître indéfiniment. Les ressources restent limitées, notamment par une compétition pour l'accès au sol avec l'alimentation. Et sur le terrain, des résistances apparaissent à l'installation de méthaniseurs », commente Dominique Vignon.
Le saviez-vous ?
La méthanisation permet de produire du biogaz par fermentation des déchets, des effluents d’élevage ou encore des résidus de cultures. Une production renouvelable locale qui pourrait aider la France à atteindre ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Mais des Côtes-d’Armor à l’Indre-et-Loire en passant par la Mayenne, la Loire-Atlantique ou l’Allier, des projets d’installations de méthaniseurs sont vivement contestés par la population.
« Pour le reste, soit pour quelque 750 TWh, nous devrons compter sur une électricité décarbonée. Et c'est encore sans évoquer la production d’hydrogène. » Car produire de l'hydrogènehydrogène par électrolyseélectrolyse consomme... de l'électricité. « Aujourd'hui, nous produisons un million de tonnes d'hydrogène. Si demain, nous envisageons de produire simplement deux millions de tonnes d'hydrogène - ce qui n'est cette fois, pas tellement ambitieux -, le tout sans s'appuyer sur les hydrocarbureshydrocarbures, il faudra une centaine de térawattheures d'électricité en plus. »
L’avenir se prépare au présent
L'Académie des technologies souligne par ailleurs dans sa note que l'Allemagne et le Royaume-Uni, de leur côté, prévoient un doublement de leurs consommations d'électricité d'ici 2050. « Ça crédibilise nos estimations », estime Dominique Vignon.
Et si notre consommation d’électricité augmente à ce point, il faudra non seulement multiplier les moyens de production. Mais aussi développer les réseaux électriques. « Ces derniers doivent être dimensionnés en fonction de la pointe de consommation d'électricité », nous précise Dominique Vignon. Une pointe qui va bien sûr augmenter elle aussi. De quelque 30 %, selon les chiffres de l'Académie des technologies. « Or les réseaux sont impopulaires. Les territoires n'en veulent pas. En comptant les litiges, les procédures devant les tribunaux ou le Conseil d'État, il faut des années, voire des dizaines d'années, pour les déployer. Prenez l'exemple de cette ligne franchissant les Pyrénées pour relier l'Espagne à la France. Il a fallu trente ans pour la construire. Et dans trente ans, nous serons en 2050. »
« Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que ces projections ne sont pas juste faites pour le plaisir. Elles ont un réel impact sur notre futur mix énergétiquemix énergétique. Car plus la demande en électricité est importante, plus il devient difficile d'imaginer un mix composé uniquement d'énergies solaires, éolienneéolienne et hydraulique », ajoute Dominique Vignon. « Mais puisque tous les scénarios se basent sur une part de renouvelables importante, il faudra développer aussi des systèmes de stockage intersaisonnier. Et s'il s'agit de stocker de grandes quantités d'hydrogène et de développer les réseaux de transport ad hoc, il faut commencer dès maintenant. À l'échelle du développement d'infrastructures énergétiques, 2050, c'est déjà demain. »
D'autant que nos voisins européens élaborent leurs scénarios de leur côté. Jusqu'ici, en cas de vaguevague de froid importante, la France pouvait compter sur une électricité importée d'Allemagne, notamment. Mais l'Allemagne, justement, et la Belgique, la Suisse ou encore le Royaume-Uni ont d'ores et déjà annoncé la fermeture, d'ici dix à douze ans, d'un équivalent de plus de 110 GW de puissance pilotable. « Cela aura un impact sur la sécurité de l'alimentation électrique en France si nous n'avons pas prévu, d'ici là, de moyens de production suffisants. »
“L’heure est à la révolution énergétique”
Une production nucléaire ? Selon l'Académie des technologies, elle peut notamment « garantir une continuité de fourniture d'électricité décarbonée et pilotable. » Et dans une récente interview, Bill GatesBill Gates, le fondateur de MicrosoftMicrosoft confirme : « Dans un futur proche, le nucléaire sera incontournable ! » Mais, quelles que soient les décisions prises pour la France, « elles doivent être prises sans plus attendre », conclut Dominique Vignon. « Nous ne devons plus parler de transition énergétiquetransition énergétique. L'heure est à la révolution énergétique ! »